Archive pour mai, 2009

Week-end Rital avec Cavanna

À quelques encablures du pavillon Baltard où s’affrontent, chaque semaine, de soi-disant espoirs de la chanson, je suis allé à la recherche d’une star ancienne, une vraie de vraie, une indiscutable celle-là, une qui vous fait rêver, une qui vous cultive, une qui traverse votre vie !
En effet, les archives municipales, le musée et la bibliothèque de Nogent-sur-Marne consacrent une triple exposition à la vie passionnée et l’œuvre foisonnante de l’enfant du pays, François Cavanna.
Cet après-midi là, la manifestation intitulée « Cavanna raconte Cavanna » mérite plus que jamais son titre puisque tandis que j’entre dans la cour du musée, je reconnais dans le véhicule qui me suit, la silhouette familière du célèbre journaliste et écrivain.
Trois jours auparavant, il s’excusait dans un communiqué lapidaire en lieu et place de sa chronique hebdomadaire dans Charlie Hebdo : « J’avais pondu un papier. Il ne me plaît plus. Je suis fatigué, et pas en très bonne santé. Je n’ai pas le courage d’attaquer un article de rechange. Je vous en demande pardon ». Mes craintes sont dissipées, il est venu !
Ému, je le regarde s’avancer d’un pas traînant et las. Un beau vieillard de 86 ans qui en impose malgré tout avec ses bacchantes à la Vercingétorix et sa toison blanche de Jason à me faire pâlir de jalousie, moi que les attaques capillaires n’ont pas épargné. Ma compagne, si elle était là, me chuchoterait discrètement : « La classe ! un Rital quoi ! »
Deux comédiennes, un peu plus tard en soirée, évoqueront ses moustaches à travers la lecture de quelques lignes de Philippe Val, tout frais ex directeur de Charlie Hebdo depuis que des services possiblement rendus en Sarkozie l’ont propulsé à de nouvelles fonctions à Radio France … mais pour reprendre les mots de Cavanna surpris dans une conversation privée, « je ne m’exprimerai pas sur le sujet » !
Donc : « Dans les premières décennies qui ont suivi la guerre, dans la France tristounette et coinçouillée de René Coty et Yvonne De Gaulle, on a vu arriver deux bourrus qui avaient quelques points communs : sous la moustache, un sourire à faire fondre un caillou, un amour communicatif de la langue colorée, un sens aigu de ce qui faisait hululer d’indignation les bourgeois des Trente Glorieuses. Oui les moustaches de Cavanna et de Brassens étaient le sirop de la rue, les gros mots du populaire et le réconfort d’aimer secrètement des mauvaises réputations ».
Pour l’instant, je descends les quelques marches qui mènent au rez-de-chaussée du musée, à la bibliothèque municipale … François Cavanna, récemment inaugurée.

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Touchante attention envers celui qui écrit dans Les Ritals, son livre de souvenirs d’enfance : « La bibliothèque municipale de Nogent pour un dévorant d’imprimé comme moi, c’est la caverne d’Ali Baba, c’est le grenier de la grand-mère que j’ai jamais eue, c’est les yeux plus gros que le ventre, c’est l’extase et le paradis ». Cette phrase est d’ailleurs recopiée à la craie sur un tableau de classe à l’entrée de l’exposition comme en écho à un savoureux dessin (de Charb) où un Cavanna sentencieux affirme à un spectateur admiratif que « les hommages, c’est vraiment de la merde ! » Voilà sa recette : intelligence et humour, tendresse et insolence.

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« J’ai découvert la bibliothèque avant le bordel, longtemps avant (moue malicieuse de la comédienne validant avec scepticisme le longtemps ! ndlr). Je devais avoir douze ans. Un peu plus tôt, j’avais connu la bibliothèque de la classe. Le père Bouillet nous avait sacrifié une armoire, vitrée et fermant à clef. Faites cadeau à la classe des livres que vous avez en double, il avait dit. En double ! Il y avait des types qui avaient des livres en double ? Eh, oui… La bibliothèque compta bientôt une centaine de livres, soigneusement couverts par nous de papier bleu foncé, avec au dos une étiquette et un numéro …
Tous les jeudis matin, jour sans classe, j’allais avec un cabas à la bibliothèque municipale. Les livres étaient vénérables pour la plupart, tous uniformément vêtus d’une grosse reliure de toile noire faite pour résister pendant des siècles aux poignes calleuses des ouvriers avides de culture, suivant l’idyllique vision julesferrique de l’instruction publique.
»
Ce samedi après-midi, soixante-quinze ans plus tard, autour des tables ou assis par terre, des petits nogentais ont encore le nez plongé dans des ouvrages aux couvertures beaucoup plus chatoyantes.
En haut de l’escalier, je plonge dans la faible lumière d’une classe comme au temps des « doigts pleins d’encre », à la communale de la rue Gallieni non loin d’ici : « Nous autres les grands, on écrit à l’encre, avec de la vraie encre. Nous trempons nos plumes sergent-major dans le petit encrier de faïence blanche en forme de pot de fleur enfoncé dans le trou de la table étudié pour. La table est de chêne massif et trapu, on y grave son nom au canif ou, si on est vrai dur de dur, au Laguiole ou à l’Opinel… » Comment voulez-vous que je ne fonde pas ? On dirait, en tellement mieux écrit, l’avant propos de mon blog À l’encre violette.
Au milieu de la pièce, trônent deux pupitres encaustiqués sans entailles telles « Nabu est un con » de Nabuchodonosor, le surnom de l’instit ! Les élèves y ont laissé un joyeux foutoir des œuvres de Cavanna ainsi que quelques anciens numéros de Charlie Hebdo.
Dans une vitrine, un extrait du manuscrit de L’œil du lapin relate les pleurs du premier jour à l’école primaire du petit Cavanna amoureux éconduit de Gisèle Bénotet parce qu’il est un  » simple Macaroniiiiii  » !

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Sur les murs de la classe, c’est justement le titre d’un ouvrage de Cavanna dans lequel, à partir de planches pédagogiques et tableaux didactiques, il évoque avec poésie et humour, la vie des écoliers d’antan. Une valeureuse enseignante m’en fit cadeau lors de mon départ en retraite.
« Tous les matins, on commence par la dictée. Moi j’aime bien, parce que la dictée, ça raconte une petite histoire, ou alors ça décrit un paysage, mais c’est moins marrant. Dedans, il y a des pluriels, des féminins, des adjectifs qualificatifs et des conjugaisons, et en plus, par-ci par-là, des mots vraiment difficiles qu’on n’emploie pas pour parler, des mots de dictée, faits exprès pour, comme cependant, ou désormais, ou derechef, ou hippopotame, et aussi des mots qu’on croirait gentils et paf, c’est des pièges comme clef ou châtaignier. »
Je souris car, coïncidence, me trouvant un jour, dans la classe de l’institutrice chevronnée citée plus haut, je lui chuchotai à l’écart des élèves, de corriger discrètement son orthographe erronée de châtaignier au tableau. Nul n’est infaillible !
La jubilation que suscitait cet exercice de français chez l’écolier Cavanna, semble surréaliste à notre époque des dictées préparées et des textos.
La cinquantaine passée, le candidat Cavanna se présenta au baccalauréat, juste pour le plaisir, pas pour le diplôme, d’ailleurs son acolyte le professeur Choron n’en possédait aucun ! Il obtint une mention très bien et un vingt sur vingt à l’épreuve de philosophie.
Sur les murs de la classe donc, je m’attarde à lire quelques textes où Cavanna déclare son amour des mots : « Les hasards de la vie ont fait de moi un artisan de l’écrit. Je ne suis nullement un linguiste, pas même un grammairien, je ne pourrais pas exercer les fonctions de prof de français. J’écris d’instinct, c’est-à-dire que je laisse couler de mon cerveau sur le papier ce que me suggère le considérable stock accumulé par mes lectures et par ce qu’on appelle l’inspiration … Écrire est le plus exaltant des métiers … C’est tout bonnement en amoureux fervent du français que je l’exalte et que je le défends. » Quel plaidoyer limpide pour notre langue et quelle magistrale leçon d’immigration inculquée à tous les Hortefeux et Besson de notre pays !
Dans la classe, il y a, tout naturellement, un petit coin bibliothèque regorgeant d’ouvrages de et sur Cavanna. Je prends conscience de son œuvre prolifique hors ses milliers de chroniques parues dans les journaux. Une dame emprunte un livre et s’installe sur le banc à dossier d’un des bureaux d’écolier. Le temps me manque pour l’imiter mais je me promets de combler très vite quelques lacunes de ma culture cavannesque.
Direction le musée, à l’étage au-dessus, via une passerelle métallique extérieure qu’un vilain crachin rend légèrement glissante ! C’est un adorable musée qui fleure bon le temps des guinguettes sur les bords de Marne, les flonflons des petits bals et … « le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de Nogent » !

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Correspondance, comme en écho à cette époque révolue, elles le sont, belles, les deux comédiennes qui répètent le spectacle de la soirée et fredonnent :

 

« C’était tout juste après la guerre,
Dans un petit bal qu’avait souffert.
Sur une piste de misère,
Y’en avait deux, à découvert.
Parmi les gravats ils dansaient
Dans ce petit bal qui s’appelait…
Qui s’appelait…
qui s’appelait…
qui s’appelait…
Non je ne me souviens plus
du nom du bal perdu… »

Lorsque Bourvil interprète cette chanson, immanquablement, ma gorge se serre et une larme perle à ma paupière.

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Il me semble que la même cause produit le même effet chez l’ami François que je retrouve assis sur un banc. Peut-être, discernerai-je en plus un brin de malice dans son œil détaillant les deux girondes chanteuses. Bon sang d’italien ne saurait mentir quand il y a de l’amour et du vin !
Presque en solitaire, je déambule tranquillement dans les trois galeries du musée réservées à l’exposition en insistant sur un aspect moins connu du talent de Cavanna qui, avant d’être écrivain, se mit en tête de vivre du dessin. Je m’attendris devant quelques illustrations tirées de Kim « le Grand journal des Petits » relatant les aventures de « Micou et son chien Tomate » et de « Sauterelle et Cactus ». J’imagine bien que Cavanna ne pouvait se satisfaire de ces bleuettes : « J’aurais voulu donner une petite copine à Micou, orienter leurs rapports vers une complicité tendre, oh sans rien de libidineux… L’heure était à la vertu. On traquait le sexe sous les évocations les plus innocentes, et aussi la violence, l’éloge de la paresse, de la gourmandise ou d’autres vilains défauts ». Son côté rabelaisien s’épanouira plus tard.
Bientôt, il cherche sa signature d’artiste, un nom à l’américaine qui claque, Cav’, Vann’… ce sera Sépia comme la couleur de sa chatte qui vient de sauter sur ses genoux.
Économie de textes, ce sont souvent des dessins sans légende, le dessin seul fait sens.
Je me délecte de quelques croquis du « campionissimo » humoriste, consacrés au vélo. Au sein de la communauté italienne de Nogent, on suivait sans nul doute les exploits de Coppi et Bartali sur le poste à galène de chez Ohresser, le marchand de vélos de la Grande-Rue. Il semble que le dopage fût déjà d’actualité. Il combat l’affairisme dans le sport : « Quel coureur cycliste, ou quel autre champion surhumain, osera se montrer avec, comme seule inscription sur sa personne, celle-ci, en grosses lettres : Défense d’afficher, loi du 27 juillet 1881 ? »

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« Sport, qu’ont-ils fait de toi ? et « le tour du monde de la drogue » sont en accroche de la « une » de Zéro, un journal vendu sur le trottoir par des colporteurs dont Cavanna devient rédacteur en chef. Il y rencontre Georges Bernier, le futur professeur Choron … l’avenir s’annonce formidable.

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Pour l’heure, il se prête avec beaucoup de gentillesse et de disponibilité à la séance de dédicaces. De son regard bleu clair, il dévisage avec douceur chaque visiteur qui lui conte la petite anecdote qui le relie à lui.

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Je me rachète un exemplaire des Ritals pour connaître ces quelques instants d’éternité !
1980, un mois rue des Trois Portes dans les locaux de Charlie Hebdo mais de cette épopée, je vous entretiendrai dans un billet futur ! Il se souvient, il sourit, va peut-être surgir de sa bouche l’affectueux « Oh les cons ! » dont l’équipe du journal avait affublé notre projet … en lieu et place de cela, quelques fleurs de pavé jetées sur la page de garde du bouquin et une longue et chaleureuse poignée de main !

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Un rayon de soleil à l’âme mais également dehors que je mets à profit pour faire le tour du quartier. L’action des Ritals, la jeunesse de Cavanna, se déroule à quelques pas de là, dans un petit périmètre, en bas de la rue Gallieni.
Tiens, la rue Charles VII … « celui qui a gagné la guerre de Cent ans grâce à Jeanne d’Arc, celui-là, oui, il venait à Nogent pour tringler sa poule, une fille qui s’appelait Agnès Sorel et à qui il avait fait cadeau d’un beau château parce qu’elle le suçait bien, et ce château se trouvait à Beauté, qui était un hameau de la Marne … Jeanne d’Arc aurait mieux fait de sucer un peu le roi au lieu de faire sa pimbêche, il ne l’aurait peut-être pas laissée brûler toute vivante par les anglais, ce sans-cœur. Enfin, bon, c’est leurs oignons, mais moi je vois qu’une chose : il y a à Nogent une rue Agnès Sorel et une avenue de la Dame de Beauté, une belle avenue, tiens, et dans des quartiers très rupins, alors que de rue Jeanne d’Arc, pas la queue d’une. »
Racontée dans cette langue fleurie, l’Histoire à la manière de Cavanna, offrirait sans doute plus d’attrait pour nos collégiens. Amoureux de cette discipline, il a publié plusieurs romans historiques.
Cet après-midi, la Grande Rue, transformée en voie piétonne, prend ses atours de braderie et d’animation commerciale. Je ne suis pas surpris, Cavanna nous prévenait dès 1978 : « Surtout, n’y allez pas, Nogent est laid, Nogent est con, Nogent est mort ! »
Je lui désobéis, j’ai envie d’imaginer ses lieux de jeunesse à défaut de les voir. « Quand t’arrives par la Grande Rue, tu dirais une impasse. »… J’y suis à l’entrée de la rue Sainte Anne. Certes, il n’y a plus de nouilles blanches, molles, tristes, de nouilles françaises dans le caniveau mais une plaque apposée sur le mur du numéro trois, récompense ma curiosité :

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L’immeuble, reconstruit en brique par les premiers ritals débarqués, dans une rue qui, alors, n’avait sûrement pas bougé depuis Agnès Sorel, est le seul vestige de la jeunesse de Cavanna dans ce quartier entièrement rénové.
« J’ai eu une enfance merveilleuse. Oui, toutes les enfances le sont mais celle-là plus que ça, beaucoup plus. Et je m’en rendais compte. Comment dire ? J’étais heureux et je me regardais être heureux. »
C’est fou, un enfant noir surgi de je ne sais où, m’accoste en remontant la rue Sainte Anne et m’avoue tout de go, « j’ai passé une journée super ! ». Interloqué, j’oublie de lui répondre … moi aussi !
« Passé les deux coudes », c’est une rue piétonne qui se glisse entre quelques petites résidences calmes avant de s’ouvrir en haut dans l’ex rue des Jardins rebaptisée, moins bucoliquement, rue des héros nogentais.
Justement, il est temps de retrouver le héros nogentais du jour qui, fatigué, s’éclipse malheureusement avant la lecture de quelques uns de ses morceaux choisis par la troupe théâtrale Carpe Diem. Ayant eu le privilège de vivre ces moments d’émotion lors de la répétition en début d’après-midi, la déception est moindre et puis … Cavanna est omniprésent malgré tout à travers les photographies, ses dessins et ses mots.
La période Hara-Kiri et Charlie Hebdo, « canards historiques », m’est familière, vous saurez pourquoi, une autre fois. De superbes portraits en noir et blanc de Cavanna et des compagnons trublions de la bande, témoignent de cette époque mythique. Entre février 1969 et décembre 1981, j’attendais avec jubilation la parution hebdomadaire du journal « bête et méchant », avec sa couverture hilarante et provocatrice, et à l’intérieur, les dessins féroces du « Mon papa » de Reiser, les silhouettes des imbéciles heureux et leurs petites dames de Wolinski, les enquêtes de Cabu, les croquis pleins de rêves de Gébé, « les couvertures auxquelles vous avez échappé » … et les éditoriaux « Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu mais… » de Cavanna.
Avec son talent si particulier, il nous faisait rire et réfléchir, il nous apostrophait parfois et nous cultivait toujours, au final, il nous mettait dans sa poche. En relisant cette semaine, quelques numéros, tenez !
« On essaie -mollement- de nous exciter sur une Europe dont on ne sait pas trop ce qu’on veut en faire, dont elle-même ne sait pas ce qu’elle sera, ni même seulement si elle veut être. Une seconde patrie ? Une super patrie ? Au-dessus des patries ? Une patrie des patries ? On laisse ça dans le flou. Parce qu’au fond, tout le monde s’en fout. On veut nous persuader, sans conviction, que l’Europe est un grand devenir qui se fait, l’étape prochaine de quelque chose de majestueux, quelque chose d’inéluctable et d’optimiste à quoi on s’opposerait en vain parce que c’est le progrès, le sens de l’histoire, la marche irrésistible vers la lumière … Mouais. » Ces quelques lignes, tout à fait de circonstance à quinze jours des élections européennes, datent de 1972 !
De même, en 1975, Cavanna, visionnaire, dénonce « l’imposture du travail » : « L’état habituel et normal de l’homme du XXIème siècle sera le chômage. En fait, ça pourrait l’être déjà maintenant. Quiconque travaille est en porte à faux. À vous, ça vous a l’air d’un paradoxe à deux ronds, d’un mot d’auteur. D’auteur fatigué. Les gens renseignés, eux, savent que c’est vrai. On ne nous le dit pas parce que ça nous donnerait un choc que nous ne pourrions pas supporter ». Le temps est venu pourtant !
« À tous les Cavanna, les Taravella, les Giovanale, les Gariboldi, les Cistercerchi, les Nardelli … », soudain, à l’autre bout du musée, par delà les cloisons, deux comédiennes nous interpellent en déclinant cette longue litanie de « tous ceux qui font que la banlieue Est n’est pas la banlieue Ouest » et qui constitue la dédicace des Ritals, l’histoire d’un gosse entre six et seize ans qui parle du passé parfois au présent. Cavanna est absent mais Jeanjean, un de ses copains d’enfance, cité dans le livre, s’est glissé dans le public.
Au cours de la soirée, suivront d’autres lectures savoureuses avec dedans de bons gros morceaux de nostalgie, d’émotion, de drôlerie, de poésie. Pour ceux qui ne connaissent pas, vite plongez-vous dans Les Ritals, Les Russkofs (Prix Interallié), L’œil du lapin ! Un régal !

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Sur les cimaises de la galerie, quelques « unes » du journal prouvent que l’aventure de Hara Kiri et Charlie Hebdo, quoique exaltante, fut parsemée d’embûches. À côté des mots de Sylvie Caster, « c’était une ambiance. De préau, où l’on était ensemble une volée de moineaux. Comme dans une enfance où l’on ne se serait jamais fait de souci », rôdent malheureusement ceux de Michel Droit dans le quotidien Le Monde, « les vomissures de Charlie Hebdo menacent dangereusement notre société ».
Le 16 novembre 1970, la célèbre couverture nécrologique « Bal tragique à Colombey » consécutive à la mort du général De Gaulle et la disparition de 144 jeunes dans l’incendie d’un dancing en Isère, signe la fin de l’hebdo Hara-Kiri, interdit d’affichage, de publicité le concernant, et de vente aux mineurs de moins de dix-huit ans.

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La semaine suivante, la joyeuse équipe renaît de ses cendres avec le numéro 1 de Charlie Hebdo et un cinglant éditorial de Cavanna sur la loi scélérate de la censure contre la presse : « Lisez le texte de cette loi. C’est un chef-d’œuvre de concoction papelarde, un entrelacs d’ambiguïtés, la Neuvième Symphonie de l’hypocrisie. Ah, les vaches, ah, les sournois ! Vous rendez-vous compte, bonnes gens, et vous, journalistes superbes, que la presse française est sous le régime des journaux pour enfants ? … » Ouf, c’était reparti pour douze ans !

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Nos deux comédiennes se pâment maintenant devant la TSF et la voix de velours de Tino Rossi : « Pourtant, c’est rien que des choses osées, pleines d’amour fatal, de désirs fous, de baisers enivrants, de caresses ardentes, de trahisons, d’étranges femmes, de Catarinetta qui n’a que seize ans tchi-tchi… »

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Un guide les relaie pour expliquer avec pédagogie, sans effaroucher le visiteur, comment avec son humour décapant, Cavanna bat en brèche la religion et la publicité, pourfend ceux qui torturent, maltraitent ou abandonnent les animaux.

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Les Aventures de Dieu et du petit Jésus, deux chefs-d’œuvre d’iconoclastie au vrai sens du terme, me traversent l’esprit. « J’appelle secte toute religion, petite ou grosse. Une religion dite universelle n’est qu’une secte qui a réussi, commercialement parlant. » cavannablog.jpg

En ouverture des Aventures du petit Jésus, Cavanna imagine pour encart publicitaire de journal, la photographie du Christ affalé, ventre à terre, au pied de la croix, deux clous lui transperçant les mains, avec le slogan « Plus jamais ça ! grâce à la cheville BURP ». En commentaire de ce détournement, il ajoute en légende : « cette page, extraite d’un magazine à grand tirage, montre comment l’esprit de lucre, inspiré par Satan, s’est emparé de la notoriété de Jésus pour en faire un argument publicitaire ».
Le ton féroce est donné ! Mais de toute manière, « Si Dieu est Dieu, s’il est cet être infiniment bon, s’il est cette intelligence suprême, alors Il ne peut pas nous en vouloir de ne pas croire en lui. » !!!
La tendresse n’est jamais loin de l’insolence anarchiste chez Cavanna et les flonflons du petit bal qui s’appelait … sont repris a cappella par l’assistance. Il est presque temps de quitter la piste de danse comme autrefois « chez Pianetti, rue Thiers, ou chez le petit Cavanna, rue Sainte-Anne, ou chez le grand, face le ‘coummissaire’ ».
Pour clore cette émouvante journée dédiée au très grand François Cavanna, la chaleureuse équipe du musée nous offre un délicieux buffet à l’italienne avec « prosciutto di parma e melone ».
Un verre de lambrusco rouge à la main, j’arpente, une dernière fois, la galerie. La journée a filé trop vite à revivre plus de quarante ans que Cavanna a éclairés et égayés.

 


 

Publié dans:Coups de coeur |on 26 mai, 2009 |5 Commentaires »

Mon Oncle … et mon oncle!

J’ai profité du week-end prolongé du 8 mai pour me rendre chez Mon Oncle, plus exactement chez sa sœur. J’imagine votre mine circonspecte et je conçois, en effet, que ce n’est pas le genre d’information qui puisse vous captiver. Et pourtant …
Si je précise que le mari de sa sœur, Monsieur Arpel est directeur de la prospère usine Plastac spécialisée dans la fabrication de tuyaux en plastique, je devine aussitôt qu’un large sourire éclaire votre visage et que de sautillants accords de piano, accordéon et flûte trottent dans votre tête … qui sait même, vous sifflotez devant votre écran .
Les plus anciens d’entre vous viennent de replonger, cinquante ans en arrière, dans l’univers poétique et loufoque du film de Jacques Tati récompensé par le Grand prix du jury du Festival de Cannes 1958 et l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood en 1959.

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Bref, je me suis rendu au « Centquatre » rue d’Aubervilliers, un nouvel établissement de création artistique de la ville de Paris, où a été remontée à l’échelle réelle, la Villa Arpel, décor mythique de ce chef d’œuvre d’humour, construit à l’époque, dans les studios de La Victorine à Nice.
A l’entrée, cela commence presque par un gag beaucoup moins désopilant que ceux imaginés par Tati dans ses six longs métrages. Sur l’affiche de l’exposition, image culte tirée du film, « Mon Oncle » alias Monsieur Hulot, héros récurrent du cinéaste, avec son feutre mou, son imperméable fripé, son pantalon feu de plancher et ses chaussettes rayées, emmène sur son Solex, son neveu Gérard, le fils unique des époux Arpel.

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La société qui gère la publicité dans les transports publics parisiens, a exigé, par un stupide excès de zèle eu égard à la loi Evin sur le tabagisme, de camoufler la légendaire pipe que Hulot serre sempiternellement en bouche comme une béquille. Le tabac tue, c’est vrai, le ridicule non, c’est dommage !
Les concepteurs de l’exposition envisageaient si on les condamnait à ôter l’objet du délit sur toutes les affiches, de le remplacer par l’expression parodiant Magritte, « ceci est une pipe » ! Surréaliste et fumant !
Ce n’est sans doute pas demain la veille que nous verrons sur les murs de nos cités, la célèbre photographie qui réunit Jacques Brel, clope au bec, Léo Ferré mégot entre les doigts et Georges Brassens tripotant sa pipe.
Polémique minuscule comme sont minuscules finalement toutes les choses qui arrivent à Monsieur Hulot dont on ignore encore aujourd’hui le prénom. Son nom serait emprunté à l’architecte de l’immeuble où habitait Jacques Tati, le grand-père d’un autre rêveur, un certain Nicolas.
Je ne m’attarde pas devant l’écran qui passe en boucle quelques séquences cultes du film, pour vite jeter un oeil par dessus le mur des voisins Arpel car nous ne pouvons que faire le tour à l’extérieur de la villa.
L’âme de Monsieur Hulot plane : son parapluie surmonté de son chapeau, est planté dans un de ces buissons taillés ridiculement au cordeau, et son Solex est garé derrière la grille dans l’allée qui mène jusqu’au garage dernier cri dont l’ouverture magnétique n’est pas contrariée, cet après-midi, par un facétieux teckel. Une belle américaine verte, signe ostentatoire de la réussite professionnelle, attend son propriétaire.

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Rien ne manque dans le décor, qui plus est, éclairé comme au cinéma ! Mes pensées s’enchaînent au rythme de vingt-quatre images par seconde à la vision de tous les éléments architecturaux et accessoires prétextes à des gags inénarrables.
Évidemment, le clou du jardin, la fontaine en forme de poisson métallique éructe un jet d’eau, commandé électriquement, de taille variable selon la condition sociale des invités. Le modeste crachouillis ne me laisse aucun doute sur mon appartenance aux classes moyennes.

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Je longe le jardin à la géométrie parfaite avec le chemin sinusoïdal qui accède à la maison, avec ses rectangles et carrés de graviers aux couleurs acidulées, ses dalles disposées tels des nénuphars en plastique sur lesquels les personnages esquissaient quelques pas d’un invraisemblable tango pour circuler.

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Les héros du film sont « visibles » de manière sonore grâce à plusieurs haut-parleurs dissimulés à divers endroits de la promenade, qui restituent quelques bribes de séquences.
Mon Oncle est un film quasi-muet au sens où les dialogues sont insignifiants voire inaudibles au point qu’ils deviennent dialogues de sourds et monologues. Chez Tati, « la voix est un bruit et les sons prennent la parole ». Il applique à merveille la réflexion de Léonard de Vinci dans ses Carnets, « Pourquoi un petit bruit proche fait-il plus de bruit qu’un grand bruit lointain ? »
Les bruitages précis et variés fourmillent ; répétitifs, les volumes amplifiés, ils sont très reconnaissables comme ponctuation de la vie quotidienne des Arpel.
La monteuse de Mon Oncle écrit à propos du perfectionnisme de Tati : « Pour la fontaine, j’avais huit bobines de sons, il fallait entendre l’eau qui arrive dans le tuyau, qui monte dans le poisson en métal, qui commence à jaillir, qui retombe. Pour me montrer, Tati imitait chaque gargouillis ; c’étaient des crachotements, des bruits de gorge, de bouche, toute une série d’onomatopées… »
La maison aux formes cubiques grises est finalement le personnage principal du film ; d’ailleurs, en façade, ses deux fenêtres rondes en forme de hublots constituent de véritables yeux dont Monsieur et Madame Arpel, apeurés par le vacarme nocturne de Hulot, sont les cristallins.
À ce propos, sur un des pignons, on reconnaît les deux poiriers en espalier dont justement l’oncle tentait, cette nuit-là, avec son sécateur, de rétablir la parfaite symétrie.

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J’ose coller mon nez aux baies vitrées à l’arrière de la maison pour en découvrir l’intérieur blanc aseptisé digne d’un cabinet dentaire. Souci du détail, notamment dans la cuisine high tech, je retrouve amusé le « retourneur » de steak et le testeur automatique de la fraîcheur des œufs !
Aucun couloir, « tout communique » comme le clame Madame Arpel à tous ses visiteurs !

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Des enfants se bousculent pour découvrir la chambre salle de jeux du petit Gérard Arpel, « cage dorée » où il vit reclus quand son oncle n’est pas là. Rien ne communique !
J’achève le tour des propriétaires en passant devant la table de jardin sur laquelle subsistent quelques éléments de la mémorable garden-party organisée dans le dessein de marier « l’inmariable » Monsieur Hulot.

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Soudain, me reviennent en mémoire des souvenirs de ma prime jeunesse, des déplacements à Paris avec mes parents à l’occasion du salon des Arts ménagers, une visite à Marseille, à la Cité Radieuse de l’architecte suisse Le Corbusier. Curieusement, c’était au temps de la sortie de Mon Oncle ; en plein cœur des Trente Glorieuses, la France qui se relevait doucement du cauchemar de la guerre, se faisait une certaine idée du progrès et imaginait son bonheur dans le béton et le formica.
À l’époque, des critiques virulents reprochèrent à Tati, sa vision rétrograde en voyant à travers la villa Arpel, « un individualisme petit-bourgeois refusant au peuple le droit au confort et à la modernité ». Ce à quoi, Tati répondit avec talent et humour : « Je ne suis pas du tout contre l’architecture moderne, mais je crois que l’on devrait faire passer non seulement un permis de construire, mais aussi un permis d’habiter ». « Il montre la laideur en créant de la beauté car la villa Arpel … est en réalité superbe … avec la pureté de ses lignes, la luminosité des surfaces, le caractère moderne des matériaux, les couleurs électriques ».
En fait, Mon Oncle proposait avant tout une vraie réflexion philosophique sur la notion d’utilité des choses et de leur destination. Tati à travers l’oncle, se veut le témoin de deux mondes qui se confrontent, et pour cela, il imagine un double décor, la villa Arpel et l’invraisemblable maison de Hulot, séparées par un terrain aussi vague que son opinion sur la question soulevée.
Tati, moderne et visionnaire, affirme l’humain contre la déshumanisation et sent déjà l’évolution de la société vers l’uniformisation et la mondialisation.
Je rêve encore quelques minutes. J’aurais souhaité évidemment découvrir l’extravagant logis de l’oncle, tout en haut d’un immeuble biscornu, auquel il accède par un dédale d’escaliers, paliers et passerelles. Il existe ou, plus probablement, il existait réellement à Saint-Maur des Fossés.

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 L’enfant espiègle que je fus, comprend que le petit neveu adore s’évader souvent vers le terrain vague d’aventures où, dissimulé avec d’autres camarades derrière une palissade, il siffle pour attirer en contrebas, l’attention des passants les exposant alors à un choc violent avec un réverbère.
Comme Gérard, le teckel des Arpel, vêtu d’un petit manteau en tissu écossais, aime s’encanailler au contact des chiens bâtards, cul nu, hirsutes, sans manières, qui font les poubelles et pissent n’importe où !
Et puis, et puis… vite, découvrez ou redécouvrez Mon Oncle, ce merveilleux film d’un cinéaste en avance sur son époque!
En attendant, je vais tout de même vous entretenir brièvement de mon oncle, du mien, de mon regretté tonton Michel, un adorable monsieur d’une grande finesse qui avait acquis pudeur, sagesse et une infinie bonté à travers de terribles épreuves de la vie, une captivité en Allemagne de cinq années et une épouse totalement paralysée.
C’était l’oncle dont les gamins rêvent, celui qui fait le tampon entre le monde sérieux des adultes et l’insouciance de l’enfance, celui complice qui minimise vos bêtises pour modérer la vindicte parentale, celui pour qui vous êtes l’enfant qu’il n’a pas eu, votre compagnon de jeu aussi.
Je ne sais pourquoi mais Jacques Tati et Monsieur Hulot se seraient peut-être délectés de certaines de mes pitreries visant sa petite taille ; ainsi quand je m’emparais de son béret éternellement vissé sur la tête et que je jonglais avec, hors de sa portée (comique de situation), ou lorsque descendant avec lui, la rue Saint Gervais à Rouen, devant le crémier volailler hilare, je passais ma main au-dessus de son crâne (comique de répétition).
Étrangement, sans que son immeuble possédât une architecture aussi insensée que celui de Hulot, il vivait aussi au dernier étage, dans une sorte de perchoir fait de coins et recoins auquel on accédait par un étroit escalier en colimaçon.
Je riais aux éclats, peu charitablement, des situations burlesques qui émaillaient quasi immanquablement les voyages qu’il effectua avec la famille.
Ainsi, à l’occasion d’un périple en Espagne, nous devions retrouver un ami du Quercy qui, malheureusement, n’avait encore pu obtenir le visa indispensable, en ce temps-là, pour franchir la frontière au-delà des Pyrénées. L’ultime espoir pour se procurer le précieux sésame, était de filer dans les deux heures suivantes, au consulat de Toulouse, avant la fermeture du week-end. Nous voici donc partis pour une folle randonnée, à tombeau Peugeot 203 ouvert, sur les routes tourmentées entre le causse de Gramat et la ville rose. L’affaire se compliqua lorsque l’ami sans visa mais avec short réalisa qu’il ne pouvait se présenter dans cette tenue non autorisée dans un établissement relevant d’une Espagne catholique et pudibonde. L’idée lui vint donc, sans stopper la chevauchée fantastique, d’emprunter le pantalon de mon oncle, ce qui lui donnait en la circonstance, un vague air de Monsieur Hulot compte tenu de la différence des tailles.
Nous parvînmes à Toulouse quelques minutes avant l’heure fatidique, malgré tout guère rassurés lorsqu’un membre de la Guardia Civil peu amène (pléonasme à l’époque ?), le passeport de tonton Caron à la main, se pencha à la portière pour identifier le sieur Carrronnne (sic), en slip dissimulé sous un plaid ! Un instant, je craignis que mon oncle se retrouvât à l‘ombre des geôles franquistes pour attentat à la pudeur. Pour la petite histoire, l’ami, faute du fichu visa, ne nous rejoignit que quelques jours plus tard, à Saragosse.
Lors d’un repas de fête, mon oncle toujours dévoué se porta volontaire pour ouvrir une bouteille de champagne mais … « à l’insu de son plein gré », le bouchon heurta violemment le plafond avant de rebondir dans un vacherin glacé et éclabousser copieusement un des convives. Passé maître dans l’art du changement de pantalon, il eut donc l’occasion de manifester son talent le temps que le vêtement promptement nettoyé séchât!
Un hôtel de la petite ville alpestre d’Embrun fut le théâtre d’un autre fait d’armes burlesque. Bagages à la main, nous suivions mon oncle qui, d’un pas alerte et décidé, nous guidait jusqu’à la chambre qu’il venait de réserver. Une reconnaissance insuffisante des lieux lui fit, dans la semi pénombre, manquer une marche, cependant avec une exceptionnelle maestria, devant la famille interloquée puis hilare, il acheva son magistral vol plané en enfonçant directement la clé dans la serrure. Il n’était pas au terme de ses émotions car, cette nuit-là, éclata un terrible orage noyant complètement ses chaussures qu’il avait peu judicieusement rangées sous la lucarne ouverte de la chambre mansardée.
Mon oncle, acrobate de génie des alpages, sidéra encore les vaches des Dolomites lors d’une étonnante glissade sur les fesses « tout schuss » sur le gispet du Paso di Pordoï.
Une maladie cruelle qui l’empêchait de se souvenir de ce temps heureux, l’emporta.
Pardonne-moi mon cher oncle mais mes évocations quelque peu irrespectueuses cachent une affection et une tendresse aussi profondes que la sympathie et la poésie dégagées par l’autre Mon Oncle, le héros de Tati.

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Les Saints de glace

Ce printemps très clément, du moins en Ile-de-France, a suscité une fréquentation précoce des pépiniéristes et des centres de jardinage, de la part des citadins impatients de fleurir leurs fenêtres avec les inévitables géraniums et pétunias, ou de manier pelle et sarcloir pour planter les légumes qui seront la fierté de leur coin de potager dans quelques semaines … surtout s’ils sont les premiers dans le quartier à « sortir » !
Faut-il accorder du crédit à cette témérité agricole ? Comme l’affirme certaine banque, le bon sens pourrait bien se trouver au coin de ma rue, dans les sympathiques jardins ouvriers, dernières traces maraîchères d’avant la ville nouvelle, si malheureusement de plus juteux projets immobiliers ne les menaçaient pas !

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En matière de jardinage, « chi va piano va sano », qui va doucement va sûrement, ou encore « hâtez-vous lentement » comme disait Boileau, celui-là même qui appartient au fameux procédé mnémotechnique pour se souvenir des grands écrivains du XVIIème siècle, « sur la racine de la bruyère, la corneille boit l’eau de la fontaine Molière » !
Bref, comme me le confiait, il y a quelques jours encore, une aïeule ariégeoise, experte « main verte », il vaut mieux ne rien entreprendre qui pourrait geler avant les Saints de Glace.
Nous-y voilà justement à ce mini âge de glace de trois jours, les 11, 12 et 13 mai, annonciateurs d’un possible retour tardif des gelées capables d’anéantir complètement les efforts prématurés des jardiniers trop impatients.
Rien ne sert de vous précipiter sur votre calendrier de La Poste et ses adorables chatons ! À propos, vous imaginez Olivier Besancenot lors de sa tournée d’étrennes à Neuilly, « cette année, ma p’ite dame, c’est la crise, je n’ai que des bébés et des chiots à vous proposer » !
Ne vouez pas aux gémonies, sainte Estelle, saint Achille et sainte Rolande qui ne sont nullement à l’origine des problèmes existentiels des fleurs et des légumes. Le responsable est le Vatican qui, à l’occasion de plusieurs conciles à bulles, a nettoyé le calendrier des personnages douteux dégageant quelques réminiscences de paganisme.
Ainsi, depuis 1960, vous ne pouvez plus vous vouer à Mamert, patron du 11 mai, Pancrace saint du 12 mai et Servais fêté le 13.
Comme les trois mousquetaires, les Saints de Glace se les gèlent parfois par quatre ! Ainsi, certains leur associent Boniface , saint du 14 mai … n’y voyez aucun culte païen landais envers un inoubliable duo de frères rugbymen qui, au contraire, enflammaient les stades avec leur art du cadrage débordement !
Dans le Gard, on craint les « cavaliers » du froid, contemporains de gelées tardives, saint Georges le 23 avril, saint Marc le 25, saint Eutrope le 30, saint Croix le 3 mai.
Parfois, Urbain, patron du 25 mai, s’invite avec civilité : « Quand la saint Urbain est passée, le vigneron est rassuré » ou « Mamert, Pancrace et Servais sont les trois saints de glace mais saint Urbain les tient tous dans sa main ».
Est-ce à cause d’une confusion phonétique, saint Gervais, nom prédestiné il est vrai, traîne dans le coin, « saint Gervais quand il est beau, tire saint Médard de l’eau » !
Par une incompréhension auditive, Mamert, Pancrace et Servais devenus Saintes Glaces, perdent même leur virilité chez certains.
Comble du paganisme et probable coquille d’imprimerie de Wikipédia qui n’est pas la bible virtuelle, la preuve, « saint Servais, saint Pancrace et saint Mamelon font à trois un petit hiver », l’occasion d’évoquer en tout cas Les seins de glace, le film réalisé par Georges Lautner dans lequel Mireille Darc exhibait sa poitrine de feu à Alain Delon !

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Maintenant que la glace est rompue, faisons plus ample connaissance avec nos saints.
«Attention, le premier des saints de glace, souvent tu en gardes la trace ». Saint Mamert vécut au Vème siècle au temps des invasions barbares. Il était évêque de Vienne lorsque les Burgondes s’installèrent dans la vallée du Rhône et répandirent l’hérésie arienne avec les Wisigoths de Toulouse. Peu efficace dans ses tentatives de conversion des Burgondes, il obtint plus de succès en instituant les Rogations, du latin rogato signifiant prière de demande.
En effet, on lit dans la Légende dorée de Jacques de Voragine : « Vienne était affligée de fréquents et affreux tremblements de terre qui renversaient beaucoup de maisons et d’églises. Pendant la nuit, on entendait des bruits et des clameurs répétés. Quelque chose de plus terrible arriva, le feu du ciel tomba le jour de Pâques et consuma le palais royal tout entier. De même que, par la permission de Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pourceaux, de même aussi par la permission de Dieu, pour les péchés des hommes, ils entraient dans des loups et dans d’autres bêtes féroces, et sans craindre personne, ils couraient en plein jour non seulement par les chemins mais encore par la ville, dévorant çà et là des enfants, des vieillards et des femmes. »
Décidément, il se passait de drôles de choses dans la vallée du Rhône, souvenez-vous de la Tarasque, dragon terrifiant qui surgissait régulièrement des eaux du fleuve pour dévorer les enfants, le bétail et submerger les bateaux.
Bref, avec la bénédiction du pape, le saint évêque Mamert ordonna trois jours de prières, processions, litanies et jeûne, juste avant l’Ascension du Seigneur ; alors, ces tribulations s’apaisèrent !
Depuis 1969, les conférences épiscopales peuvent fixer les Rogations à une autre période de l’année en fonction des catastrophes mais cette année, on peut envisager de les célébrer aux dates traditionnelles pour conjurer l’épidémie de grippe porcine.

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Le 12 mai est le jour de naissance de ma tendre maman (Saint Ma Mère ?), ce qui ne peut que réchauffer mon coeur en cette date de célébration de Pancrace, second saint de glace de la trilogie et jeune martyr chrétien des premiers siècles. Originaire de Phrygie, en Asie Mineure, orphelin de ses parents très tôt, il est confié à Denys, son oncle paternel avec lequel il se rend à Rome. Il y rencontre le pape Corneille qui le convertit à la foi chrétienne. Malheureusement, il tombe très vite, c’est le moins qu’on puisse dire, dans une sale Galère du nom de l’instigateur des persécutions de Dioclétien promulguées par l’empereur contre les chrétiens, et est décapité sur la voie Aurélienne en 304 alors qu’il n’a que quatorze ans.
Pancras, Brancaziu en corse, signifie aussi rapine ce qui prête à sourire lorsqu’on sait que San Brancaziu fut le grand saint patron des bandits corses et que, sur l’île de Beauté, beaucoup de chapelles et oratoires champêtres sont consacrés au culte de ce saint. Chaque année, les Bastiais fidèles gagnent à pied l’oratoire de Monserrato et gravissent à genoux les marches du magnifique Escalier Saint, la Scala Santa jusqu’au reliquaire contenant des restes des martyrs Pancrace et … Achille (juste le talon ?), comme ils se retrouvent !
Pancrace est encore un saint guérisseur des rhumatisants et un protecteur des troupeaux ce qui explique que la fête de San Brancaziu se déroule à une période de tonte des brebis.
En Corse toujours, Pancrace est connu pour annoncer aux vivants leur mort prochaine en frappant trois coups au pied du lit de celui qui n’a plus que trois jours à vivre. En foi de quoi, n’ayant eu aucune nouvelle à ce jour, vous me subirez au minimum jusqu’à jeudi prochain … mais il est vrai que j’ignore si la prévision s’applique aussi aux natifs normands ! On retrouve pourtant des traces de Pancrace en Normandie sous le nom de Planchers, de même Crampas dans le sud-ouest.

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« Avant la Saint Servais point d’été, après la Saint Servais plus de gelée », voici le tour de notre dernier saint au sang de navet ! Servais occupa très probablement son siège d’évêque du diocèse de Tongres en Belgique, dès 344. On sait qu’au Concile de Rimini en 359-360, il se révéla, avec saint Phébade d’Agen, un des fervents défenseurs de l’orthodoxie catholique contre l’arianisme. Avec infiniment moins de certitude, on avance qu’ayant appris par une vision que les Huns allaient s’attaquer à la Gaule (en fait ce sont les autres, les Vandales qui saccagèrent Tongres !), il se rendit à Rome pour implorer sur sa tombe la protection de saint Pierre. Il semblerait qu’à l’époque, il n’y eût pas de karcher pour se débarrasser de la racaille !!! … mais ce bon saint Pierre, dans une autre vision, rassura Servais en l’informant que si cette invasion était inévitable, il n’en serait cependant pas témoin. Servais, rentré à Tongres, prit congé de ses diocésains et se rendit à Maastricht où il mourut vers 383. Bien vu saint Pierre !

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L’origine des saints de glace remonte à bien avant le christianisme. La météorologie, peu soucieuse des proverbes et de la religion catholique, ne nie pas que certaines périodes printanières jusqu’en mai, sont sujettes à une descente des températures en dessous de zéro, en fin de nuit, qui peut être préjudiciable aux cultures, arbres fruitiers et fleurs sensibles au gel, plus généralement, à une végétation qui aurait démarré précocement.
Les scientifiques avancent deux explications : d’abord, à cette époque, l’orbite de la Terre traverse une zone de l’espace sidéral particulièrement chargé en poussières provenant de résidus de la formation des planètes. Ces poussières faisant légèrement obstacle au rayonnement du soleil, l’intensité lumineuse serait affaiblie. On évoque également un essaim d’étoiles filantes venues de la constellation du Léon formant un écran entre la terre et le soleil et refroidissant donc l’atmosphère.
Ensuite, sous nos climats, mai correspond à la fin de la rapide circulation de systèmes météorologiques d’hiver et quand le ciel se dégage sous un anticyclone, la perte de chaleur est encore importante, surtout la nuit, car la couverture nuageuse ne remplit plus son rôle de conservation de la chaleur accumulée pendant la journée.
Devant ces phénomènes de gel tardif et nocturne constatés empiriquement par les paysans, l’Eglise, très opportuniste, imposa des intercesseurs (un peu comme les multiples coordinateurs pilotes qui pullulent aujourd’hui dans nos organigrammes !), nos trois saints de glace, qui étaient censés protéger les cultures pendant ces jours critiques.
Le hic, il fallait bien s’y attendre, leur patronage fut d’une inefficacité quasi totale et nos trois usurpateurs victimes de la vindicte populaire, finirent par endosser la responsabilité des gelées et recevoir leur lettre de licenciement des calendriers.

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Cependant, leur souvenir persiste et ils provoquent toujours méfiance et appréhension chez beaucoup de passionnés des travaux agricoles. Ceux-ci, dans le même ordre d’idées, regardent aussi d’un mauvais œil la lune rousse, la lunaison qui commence après Pâques, à laquelle on attribue les gelées tardives qui roussissent les feuilles et les bourgeons des jeunes pousses : « Tant que dure la lune rousse, mes fruits sont sujets à fortune ». En réalité, on accuse abusivement cette ronde dame qui a le seul tort d’être visible les soirs où l’atmosphère est dégagée et les nuages absents laissent échapper la chaleur de la terre dans l’espace.
« Le soleil de mai a rendez-vous avec la lune rousse et les saints de glace l’attendent », nul doute que Charles Trenet, dans sa folie chantante, nous aurait tricoté quelques rimes propres à réconcilier les laboureurs et jardiniers, Mamert, Pancrace, Servais, Gervais, Parfait, Miko et les autres dont saint Affrique, évêque du Comminges, quitte à les réunir dans un jardin de curé de la petite commune des Deux-Sèvres, proche de Bressuire, qui porte le nom poétique de Saint-Sauveur de Givre en Mai !
Au ciel, tous nos saints ont peut-être suivi les récents travaux du « Grenelle de l’environnement » avec intérêt et circonspection. En effet (de serre ?), avec la diminution de la couche d’ozone, que vaudront bientôt ces prédictions qui, depuis des siècles, refroidissent les jardiniers dignes de ce nom quand mai pointe son nez ?

Publié dans:Almanach |on 10 mai, 2009 |Pas de commentaires »

Le Héron (épilogue)

Tout arrive quand on sait flatter le héron dans le sens de la plume (voir billet Le Héron du 12 mars 2009) .
J’ai enfin mon gros plan ! Certes, il ne s’agit pas du héron de l’école Jean de la Fontaine mais d’un de ses congénères qui faisait trempette hier dans une mare au cœur de Paris, près des anciens entrepôts de Bercy.
Oserai-je dire qu’il a mis de l’eau dans son vin en revenant à de meilleurs sentiments face à mon objectif ?

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Publié dans:Leçons de choses |on 9 mai, 2009 |1 Commentaire »

Une matinée au cirque de Navacelles

Ceux qui me lisent assidûment, savent que chacune de mes visites sur le littoral languedocien, s’accompagne, tôt ou tard, d’une escapade sur le Causse du Larzac (voir billet Saint-Martin du Larzac du 14 mai 2008).
En ces derniers jours d’avril, pour ne pas déroger à mes habitudes, avant de filer vers l’A9 et le viaduc de Millau, je réserve en matinée, une séance au cirque … de Navacelles !
Ce n’est pas une première car je l’ai fréquenté dès le début des années 1970. Une photographie en noir et blanc immortalise d’ailleurs ce souvenir grandiose sur un mur de l’appartement de mon regretté oncle sétois. Peu de temps auparavant, je venais de parcourir les grands espaces de l’ouest américain et, notamment, dans l’état de l’Arizona, le parc national du Grand Canyon, une saillie creusée par le fleuve Colorado aux dimensions gigantesques : 450 kilomètres de longueur, entre 5 et 30 kilomètres de largeur, entre 1300 et 2000 mètres de profondeur. Les gorges du Verdon en Provence, m’avaient semblé tellement mièvres en comparaison. Étonnamment, Navacelles me coupa le souffle.
Alors, à la quête d’émotions sans cesse régénérées devant cette curiosité géographique, je retourne régulièrement au « pays des asphodèles » ; ainsi Adrienne Durand-Tullou appelle le causse dans son émouvant livre de souvenirs au titre éponyme. L’asphodèle, fleur typique des sols calcaires et des éboulis pierreux, emblème de la mort qu’on plantait sur les tombes grecques, commence d’ailleurs à dresser son long « bâton blanc » dans la garrigue, sur la route de Ganges.
Ce matin, tandis que les locations de canoës kayaks inaugurent la saison dans les gorges de l’Hérault, mes pensées rejoignent cette jeune institutrice fraîchement sortie de l’École Normale qui, le 3 janvier 1938, quitte la maison familiale de Nîmes pour rejoindre sa nouvelle affectation, un bout du monde, sur le causse de Blandas, à un vol d’aigle royal de Navacelles (il y vit encore un couple aujourd’hui) :
« Un horizon loin, très loin, une lande immense, quelques moutonnements rocheux, aucune trace de vie. Entre le ciel et la terre, un accord de gris en dégradés, une route toute droite sur un horizon en fuite. Un embranchement à gauche et, là, grises elles aussi, des maisons en file indienne, à la base d’une colline : Rogues. J’étais parvenue au terme du voyage. »
Elle y épousera Honoré Durand, caussenard de souche, et s’y installera pour le restant de ses jours. Maîtresse de classe unique, elle deviendra docteur ès Lettres, ethnologue, historienne, spécialiste éminente des Causses et des Cévennes. Admirable enseignante d’une autre époque, Adrienne Durand-Tullou nous a quittés à l’entrée du nouveau siècle.
Voilà, je délaisse Ganges engorgé en ce vendredi de marché, pour remonter vers l’ouest, le cours de la Vis, modeste rivière affluente de l’Hérault qui a creusé son lit dans les plateaux calcaires des causses. À petite cause, grand effet, suspense on y arrive !
Je frappe donc les trois coups annonçant le début de la plus impressionnante représentation de théâtre karstique à ciel ouvert de notre douce France. Le « karst », nom allemand tiré d’une région de plateaux calcaires de Slovénie, qualifie savamment l’ensemble de formes superficielles et souterraines résultant de la dissolution de roches carbonatées, calcaires et dolomies, sous l’effet de l’eau rendue acide par le dioxyde de carbone (d’après mes « vieux » cours de quatrième sur la géographie de la France ! J’entends le cancre au fond de la classe qui chuchote avec humour, « causse » toujours, tu m’intéresses !).

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À hauteur du riant village de Madières, vous avez le choix de votre futur emplacement dans l’enceinte du cirque: tout droit vers les gradins sud du causse du Larzac ou à droite, vers les travées nord du causse de Blandas ; aucune hésitation à avoir, c’est gratuit et c’est aussi grandiose des deux côtés ! Ce matin, j’opte pour la tribune Larzac. Par une route escarpée, je m’élève en sept kilomètres au-dessus du canyon vertigineux des gorges de la Vis, jusque sur le plateau, à Saint-Maurice de Navacelles.

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Encore quelques centaines de mètres dans la lande et j’atteins le belvédère de la Baume Auriol, une ancienne ferme réhabilitée avec goût, abritant désormais un restaurant, un bureau d’office de tourisme, des salles d’exposition de la vie caussenarde et un magasin de vente de produits du terroir. Au temps de ma première visite, il y a quarante ans, le tourisme y était encore confidentiel et une aimable paysanne proposait juste des pélardons, de délicieux fromages de chèvre de sa fabrication, et quelques cartes postales sur un présentoir. Le « grand site » qui draine aujourd’hui environ 300 000 visiteurs par an, a conquis ses lettres de noblesse de plus grand canyon d’Europe.
Encore quelques pas pour s’avancer au balcon et découvrir la scène du merveilleux spectacle géologique.
« Car on ne « voit » pas ce site, on « se le prend » en pleine face … Déjà, il y a comme une préparation, une sorte d’initiation visuelle progressive avant d’arriver sur les lieux : on quitte lentement les sentiers battus, la départementale normale et familière qui sinue dans les Cévennes. Tout est beau, sauvage, un peu rude ou farouche, les mots ne manquent pas encore, on les trouve aisément pour les inscrire au souvenir de sa mémoire. On est en attente d’un spectacle auquel assister, à cause du mot cirque … On s’imagine même être suspendu … dans l’air, dans le temps, à votre guise, à cause de l’association  » Navacelles », nacelle … La route, telle une belle qui aurait défait son chignon, vous sème ses épingles à cheveux. Petit à petit, vous « tordez » de plus en plus souvent votre volant, les manoeuvres sont de plus en plus périlleuses, car votre œil, avide, a désormais envie de dévorer tout ce qu’il capture. Prudence ! Et puis, vous arrivez face à ce … gouffre ? … ce puits naturel titanesque ? Face à ce poème j’ai envie de dire, car il n’y a que les poètes qui pourraient en parler … c’est là que les mots manquent soudain, il faut laisser les sensations, les sentiments s’exprimer… »

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Telle une photographie aérienne, trois cents mètres au-dessous de moi, au fond de la vallée entaillée par la Vis, sinue un ancien méandre recoupé isolant à l’intérieur, une colline rocheuse de forme pyramidale. Tout autour, les pentes vertigineuses des versants dessinent un amphithéâtre dont les barres calcaires constituent les gradins. Leur aspect minéral et aride tranche avec la verdeur de l’anneau de terrain plat correspondant à l’ancien cours de la rivière. Les tuiles des toits du hameau de Navacelles brillent au milieu de cette oasis.

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Mademoiselle La Vis, vous êtes une artiste de génie pour avoir sculpté une œuvre aussi sublime !
Les géologues estiment qu’elle aurait creusé son chemin dans le calcaire du causse durant 2 à 3 millions d’années et a achevé son travail de sape pour recouper le méandre, il y a 6 000 ans, à l’Holocène, juste après le Würm, dernière période glaciaire de l’ère quaternaire.
Son talent repose notamment sur la vitesse inégale de son cours. Quand elle sinue, elle creuse ses rives concaves et dépose ses alluvions sur les rives convexes où sa vitesse est plus faible. Son méandre devient ainsi une boucle de plus en plus serrée dont elle finit par se libérer en le recoupant à la base. De la même manière, en amont du cirque, la Vis a abandonné trois autres méandres, œuvres de moindre importance.
C’est toujours aussi époustouflant! Juché sur le toit du causse, un sentiment de domination se mêle à l’inquiétude suscitée par ce long serpent d’eau douce ondulant dans les entrailles calcaires. Pendant plusieurs minutes, je reste figé dans un silence religieux juste troublé par le gazouillis des oiseaux.
Il est temps de plonger au fond du gouffre où se blottit le hameau de Navacelles. Les vieux l’ont quitté un à un, remplacés par des résidents secondaires et des néo ruraux qui tiennent commerce à la belle saison.
Au point de recoupement du méandre, la Vis comme toute guillerette d’avoir trouvé un raccourci, effectue une cabriole de huit mètres devant quelques pêcheurs taquinant la truite. Grimpée sur une croix de fer, une madone touchante de simplicité, veille au-dessus de la cascade.

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Les maisons en pierre s’agrippent à la roche à proximité des seules terres cultivables du méandre, ce qui explique le caractère dispersé de l’habitat. En cette fin de matinée, il fait bon flâner dans les ruelles pittoresques qu’embaument lilas et glycines.

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Derrière les anciennes fermes, démarrent des sentiers bordés de murets en pierre sèche menant aux coteaux environnants et aux terrasses sur lesquelles poussaient vignes et oliviers.

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Fleur symbole du Causse du Larzac, une cardabelle séchée orne encore certaines portes des vieilles demeures. Antan, les bergers et éleveurs de moutons caussenards la clouaient à l’entrée des granges et des étables pour veiller sur les animaux.

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Ils la cueillaient aussi pour son cœur comestible (de la famille des artichauts ) et utilisaient ses feuilles épineuses pour carder la laine des troupeaux d’où son nom. Elle leur servait, à l’occasion, de baromètre car, comme le tournesol, elle capte la lumière solaire en s’ouvrant et se referme quand la pluie menace.
Au « soleil des herbes », un autochtone a préféré un vieux croquenot comme porte-bonheur sur sa porte.

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Avant d’assister à la seconde partie de l’opéra karstique depuis les gradins de la tribune Blandas, je me restaure d’un honnête menu campagnard à l’ombre d’une treille et d’une chapelle. « Que la montagne est belle ! », l’Ardèche de Jean Ferrat n’est pas si loin.

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Après un passage à gué sur le lit de la Vis, en route pour l’ascension de la face nord jusque sur le causse de Blandas situé dans le département du Gard ! Les échappées sur le cirque sont fulgurantes. Depuis chaque belvédère, les lacets inférieurs de la chaussée accentuent l’effet de profondeur. Les nuages portés par le vent marin, encombrent peu à peu l’azur, créant sur les reliefs, des jeux de lumière tour à tour joyeux ou inquiétants.

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En face, sur le rebord du Larzac, la ferme de la Baume Auriol pointe le bout de sa façade. Je retarde au maximum, l’instant fatidique où il me faut tourner le dos à la scène de ce grand théâtre naturel.
Ultime envie, je souhaite goûter à une autre spécialité régionale, les fameux mégalithes du causse de Blandas. Un aimable cantonnier me signale que je peux en trouver quelques spécimen à un petit kilomètre de là, vers le hameau de Peyrarines.
Adrienne Durand-Tullou, j’y reviens, a recensé plus de 80 monuments mégalithiques, dolmens et menhirs, sur le causse. Leur densité est presque identique à celle du massif armoricain, leur taille, par contre, très inférieure, s’explique par le matériau calcaire qui ne permettait pas des blocs de très grandes dimensions suffisamment résistants.
Très vite, peu après Blandas, je repère dans la lande, un étonnant cromlech, un cercle d’un diamètre de 120 mètres, dessiné par une quarantaine de menhirs, comme une mystérieuse ronde de bergers, sentinelles figées du causse. Si beaucoup d’hypothèses concernant leur origine sont émises, il existe par contre une certitude sur l’implantation de ces cromlechs sur des endroits stériles dénommés Lacam qui n’ont pu constituer que des aires de parcours à usage des troupeaux d’ovins et de caprins. À quand un Da Vinci code caussenard nous plongeant dans les mystères de ces pierres mégalithiques ?

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Une pancarte me menaçant de morsures de vipères, me dissuade d’approcher pour mieux photographier ces pierres levées et le dolmen nécropole tout proche. « Serpent qui sort en avril annonce la pluie » appartient à ces proverbes et dictons qui présageaient du temps et des futures récoltes. Je ne verrai, aujourd’hui, ni vipères, ni la fameuse couleuvre de Montpellier aussi effrayante qu’inoffensive.
Espèce protégée, la Malpolon monspessulanus est un reptile impressionnant pour nos contrées, qui peut dépasser les deux mètres de longueur. Qui l’a surprise, dressée comme un cobra, en garde un certain traumatisme. Une de mes connaissances eut la désagréable visite de cet hôte rampant sur la terrasse du mas perdu dans la garrigue sétoise qu’elle venait d’acquérir. Les pompiers et policiers alertés, se renseignèrent sur l’éventuelle fuite de quelque python ou boa d’un « autre » cirque dans la région. Après quelques heures de recherche, la pacifique couleuvre fut retrouvée somnolente dans un lit cage replié dans le garage !
N’ayez aucune répulsion et que mon anecdote ne vous dissuade surtout pas d’assister au spectacle fascinant du cirque caussenard et de sa ménagerie !
Je remonte le canyon en direction du Caylar. Bientôt, les toits de tuiles rouges de Vissec s’entortillent autour d’un ultime tour de Vis abandonné. Je souris à la confluence d’une modeste rivière, la Virenque. Que je me souvienne, ce coureur cycliste éponyme fut soupçonné de ne pas boire que l’eau claire de ces ruisseaux !
L’après-midi est déjà bien avancé, il est temps de baisser le rideau !

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 5 mai, 2009 |10 Commentaires »

valentin10 |
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