Week-end Rital avec Cavanna
À quelques encablures du pavillon Baltard où s’affrontent, chaque semaine, de soi-disant espoirs de la chanson, je suis allé à la recherche d’une star ancienne, une vraie de vraie, une indiscutable celle-là, une qui vous fait rêver, une qui vous cultive, une qui traverse votre vie !
En effet, les archives municipales, le musée et la bibliothèque de Nogent-sur-Marne consacrent une triple exposition à la vie passionnée et l’œuvre foisonnante de l’enfant du pays, François Cavanna.
Cet après-midi là, la manifestation intitulée « Cavanna raconte Cavanna » mérite plus que jamais son titre puisque tandis que j’entre dans la cour du musée, je reconnais dans le véhicule qui me suit, la silhouette familière du célèbre journaliste et écrivain.
Trois jours auparavant, il s’excusait dans un communiqué lapidaire en lieu et place de sa chronique hebdomadaire dans Charlie Hebdo : « J’avais pondu un papier. Il ne me plaît plus. Je suis fatigué, et pas en très bonne santé. Je n’ai pas le courage d’attaquer un article de rechange. Je vous en demande pardon ». Mes craintes sont dissipées, il est venu !
Ému, je le regarde s’avancer d’un pas traînant et las. Un beau vieillard de 86 ans qui en impose malgré tout avec ses bacchantes à la Vercingétorix et sa toison blanche de Jason à me faire pâlir de jalousie, moi que les attaques capillaires n’ont pas épargné. Ma compagne, si elle était là, me chuchoterait discrètement : « La classe ! un Rital quoi ! »
Deux comédiennes, un peu plus tard en soirée, évoqueront ses moustaches à travers la lecture de quelques lignes de Philippe Val, tout frais ex directeur de Charlie Hebdo depuis que des services possiblement rendus en Sarkozie l’ont propulsé à de nouvelles fonctions à Radio France … mais pour reprendre les mots de Cavanna surpris dans une conversation privée, « je ne m’exprimerai pas sur le sujet » !
Donc : « Dans les premières décennies qui ont suivi la guerre, dans la France tristounette et coinçouillée de René Coty et Yvonne De Gaulle, on a vu arriver deux bourrus qui avaient quelques points communs : sous la moustache, un sourire à faire fondre un caillou, un amour communicatif de la langue colorée, un sens aigu de ce qui faisait hululer d’indignation les bourgeois des Trente Glorieuses. Oui les moustaches de Cavanna et de Brassens étaient le sirop de la rue, les gros mots du populaire et le réconfort d’aimer secrètement des mauvaises réputations ».
Pour l’instant, je descends les quelques marches qui mènent au rez-de-chaussée du musée, à la bibliothèque municipale … François Cavanna, récemment inaugurée.
Touchante attention envers celui qui écrit dans Les Ritals, son livre de souvenirs d’enfance : « La bibliothèque municipale de Nogent pour un dévorant d’imprimé comme moi, c’est la caverne d’Ali Baba, c’est le grenier de la grand-mère que j’ai jamais eue, c’est les yeux plus gros que le ventre, c’est l’extase et le paradis ». Cette phrase est d’ailleurs recopiée à la craie sur un tableau de classe à l’entrée de l’exposition comme en écho à un savoureux dessin (de Charb) où un Cavanna sentencieux affirme à un spectateur admiratif que « les hommages, c’est vraiment de la merde ! » Voilà sa recette : intelligence et humour, tendresse et insolence.
« J’ai découvert la bibliothèque avant le bordel, longtemps avant (moue malicieuse de la comédienne validant avec scepticisme le longtemps ! ndlr). Je devais avoir douze ans. Un peu plus tôt, j’avais connu la bibliothèque de la classe. Le père Bouillet nous avait sacrifié une armoire, vitrée et fermant à clef. Faites cadeau à la classe des livres que vous avez en double, il avait dit. En double ! Il y avait des types qui avaient des livres en double ? Eh, oui… La bibliothèque compta bientôt une centaine de livres, soigneusement couverts par nous de papier bleu foncé, avec au dos une étiquette et un numéro …
Tous les jeudis matin, jour sans classe, j’allais avec un cabas à la bibliothèque municipale. Les livres étaient vénérables pour la plupart, tous uniformément vêtus d’une grosse reliure de toile noire faite pour résister pendant des siècles aux poignes calleuses des ouvriers avides de culture, suivant l’idyllique vision julesferrique de l’instruction publique. »
Ce samedi après-midi, soixante-quinze ans plus tard, autour des tables ou assis par terre, des petits nogentais ont encore le nez plongé dans des ouvrages aux couvertures beaucoup plus chatoyantes.
En haut de l’escalier, je plonge dans la faible lumière d’une classe comme au temps des « doigts pleins d’encre », à la communale de la rue Gallieni non loin d’ici : « Nous autres les grands, on écrit à l’encre, avec de la vraie encre. Nous trempons nos plumes sergent-major dans le petit encrier de faïence blanche en forme de pot de fleur enfoncé dans le trou de la table étudié pour. La table est de chêne massif et trapu, on y grave son nom au canif ou, si on est vrai dur de dur, au Laguiole ou à l’Opinel… » Comment voulez-vous que je ne fonde pas ? On dirait, en tellement mieux écrit, l’avant propos de mon blog À l’encre violette.
Au milieu de la pièce, trônent deux pupitres encaustiqués sans entailles telles « Nabu est un con » de Nabuchodonosor, le surnom de l’instit ! Les élèves y ont laissé un joyeux foutoir des œuvres de Cavanna ainsi que quelques anciens numéros de Charlie Hebdo.
Dans une vitrine, un extrait du manuscrit de L’œil du lapin relate les pleurs du premier jour à l’école primaire du petit Cavanna amoureux éconduit de Gisèle Bénotet parce qu’il est un » simple Macaroniiiiii » !
Sur les murs de la classe, c’est justement le titre d’un ouvrage de Cavanna dans lequel, à partir de planches pédagogiques et tableaux didactiques, il évoque avec poésie et humour, la vie des écoliers d’antan. Une valeureuse enseignante m’en fit cadeau lors de mon départ en retraite.
« Tous les matins, on commence par la dictée. Moi j’aime bien, parce que la dictée, ça raconte une petite histoire, ou alors ça décrit un paysage, mais c’est moins marrant. Dedans, il y a des pluriels, des féminins, des adjectifs qualificatifs et des conjugaisons, et en plus, par-ci par-là, des mots vraiment difficiles qu’on n’emploie pas pour parler, des mots de dictée, faits exprès pour, comme cependant, ou désormais, ou derechef, ou hippopotame, et aussi des mots qu’on croirait gentils et paf, c’est des pièges comme clef ou châtaignier. »
Je souris car, coïncidence, me trouvant un jour, dans la classe de l’institutrice chevronnée citée plus haut, je lui chuchotai à l’écart des élèves, de corriger discrètement son orthographe erronée de châtaignier au tableau. Nul n’est infaillible !
La jubilation que suscitait cet exercice de français chez l’écolier Cavanna, semble surréaliste à notre époque des dictées préparées et des textos.
La cinquantaine passée, le candidat Cavanna se présenta au baccalauréat, juste pour le plaisir, pas pour le diplôme, d’ailleurs son acolyte le professeur Choron n’en possédait aucun ! Il obtint une mention très bien et un vingt sur vingt à l’épreuve de philosophie.
Sur les murs de la classe donc, je m’attarde à lire quelques textes où Cavanna déclare son amour des mots : « Les hasards de la vie ont fait de moi un artisan de l’écrit. Je ne suis nullement un linguiste, pas même un grammairien, je ne pourrais pas exercer les fonctions de prof de français. J’écris d’instinct, c’est-à-dire que je laisse couler de mon cerveau sur le papier ce que me suggère le considérable stock accumulé par mes lectures et par ce qu’on appelle l’inspiration … Écrire est le plus exaltant des métiers … C’est tout bonnement en amoureux fervent du français que je l’exalte et que je le défends. » Quel plaidoyer limpide pour notre langue et quelle magistrale leçon d’immigration inculquée à tous les Hortefeux et Besson de notre pays !
Dans la classe, il y a, tout naturellement, un petit coin bibliothèque regorgeant d’ouvrages de et sur Cavanna. Je prends conscience de son œuvre prolifique hors ses milliers de chroniques parues dans les journaux. Une dame emprunte un livre et s’installe sur le banc à dossier d’un des bureaux d’écolier. Le temps me manque pour l’imiter mais je me promets de combler très vite quelques lacunes de ma culture cavannesque.
Direction le musée, à l’étage au-dessus, via une passerelle métallique extérieure qu’un vilain crachin rend légèrement glissante ! C’est un adorable musée qui fleure bon le temps des guinguettes sur les bords de Marne, les flonflons des petits bals et … « le petit vin blanc qu’on boit sous les tonnelles, quand les filles sont belles, du côté de Nogent » !
Correspondance, comme en écho à cette époque révolue, elles le sont, belles, les deux comédiennes qui répètent le spectacle de la soirée et fredonnent :
« C’était tout juste après la guerre,
Dans un petit bal qu’avait souffert.
Sur une piste de misère,
Y’en avait deux, à découvert.
Parmi les gravats ils dansaient
Dans ce petit bal qui s’appelait…
Qui s’appelait…
qui s’appelait…
qui s’appelait…
Non je ne me souviens plus
du nom du bal perdu… »
Lorsque Bourvil interprète cette chanson, immanquablement, ma gorge se serre et une larme perle à ma paupière.
Il me semble que la même cause produit le même effet chez l’ami François que je retrouve assis sur un banc. Peut-être, discernerai-je en plus un brin de malice dans son œil détaillant les deux girondes chanteuses. Bon sang d’italien ne saurait mentir quand il y a de l’amour et du vin !
Presque en solitaire, je déambule tranquillement dans les trois galeries du musée réservées à l’exposition en insistant sur un aspect moins connu du talent de Cavanna qui, avant d’être écrivain, se mit en tête de vivre du dessin. Je m’attendris devant quelques illustrations tirées de Kim « le Grand journal des Petits » relatant les aventures de « Micou et son chien Tomate » et de « Sauterelle et Cactus ». J’imagine bien que Cavanna ne pouvait se satisfaire de ces bleuettes : « J’aurais voulu donner une petite copine à Micou, orienter leurs rapports vers une complicité tendre, oh sans rien de libidineux… L’heure était à la vertu. On traquait le sexe sous les évocations les plus innocentes, et aussi la violence, l’éloge de la paresse, de la gourmandise ou d’autres vilains défauts ». Son côté rabelaisien s’épanouira plus tard.
Bientôt, il cherche sa signature d’artiste, un nom à l’américaine qui claque, Cav’, Vann’… ce sera Sépia comme la couleur de sa chatte qui vient de sauter sur ses genoux.
Économie de textes, ce sont souvent des dessins sans légende, le dessin seul fait sens.
Je me délecte de quelques croquis du « campionissimo » humoriste, consacrés au vélo. Au sein de la communauté italienne de Nogent, on suivait sans nul doute les exploits de Coppi et Bartali sur le poste à galène de chez Ohresser, le marchand de vélos de la Grande-Rue. Il semble que le dopage fût déjà d’actualité. Il combat l’affairisme dans le sport : « Quel coureur cycliste, ou quel autre champion surhumain, osera se montrer avec, comme seule inscription sur sa personne, celle-ci, en grosses lettres : Défense d’afficher, loi du 27 juillet 1881 ? »
« Sport, qu’ont-ils fait de toi ? et « le tour du monde de la drogue » sont en accroche de la « une » de Zéro, un journal vendu sur le trottoir par des colporteurs dont Cavanna devient rédacteur en chef. Il y rencontre Georges Bernier, le futur professeur Choron … l’avenir s’annonce formidable.
Pour l’heure, il se prête avec beaucoup de gentillesse et de disponibilité à la séance de dédicaces. De son regard bleu clair, il dévisage avec douceur chaque visiteur qui lui conte la petite anecdote qui le relie à lui.
Je me rachète un exemplaire des Ritals pour connaître ces quelques instants d’éternité !
1980, un mois rue des Trois Portes dans les locaux de Charlie Hebdo mais de cette épopée, je vous entretiendrai dans un billet futur ! Il se souvient, il sourit, va peut-être surgir de sa bouche l’affectueux « Oh les cons ! » dont l’équipe du journal avait affublé notre projet … en lieu et place de cela, quelques fleurs de pavé jetées sur la page de garde du bouquin et une longue et chaleureuse poignée de main !
Un rayon de soleil à l’âme mais également dehors que je mets à profit pour faire le tour du quartier. L’action des Ritals, la jeunesse de Cavanna, se déroule à quelques pas de là, dans un petit périmètre, en bas de la rue Gallieni.
Tiens, la rue Charles VII … « celui qui a gagné la guerre de Cent ans grâce à Jeanne d’Arc, celui-là, oui, il venait à Nogent pour tringler sa poule, une fille qui s’appelait Agnès Sorel et à qui il avait fait cadeau d’un beau château parce qu’elle le suçait bien, et ce château se trouvait à Beauté, qui était un hameau de la Marne … Jeanne d’Arc aurait mieux fait de sucer un peu le roi au lieu de faire sa pimbêche, il ne l’aurait peut-être pas laissée brûler toute vivante par les anglais, ce sans-cœur. Enfin, bon, c’est leurs oignons, mais moi je vois qu’une chose : il y a à Nogent une rue Agnès Sorel et une avenue de la Dame de Beauté, une belle avenue, tiens, et dans des quartiers très rupins, alors que de rue Jeanne d’Arc, pas la queue d’une. »
Racontée dans cette langue fleurie, l’Histoire à la manière de Cavanna, offrirait sans doute plus d’attrait pour nos collégiens. Amoureux de cette discipline, il a publié plusieurs romans historiques.
Cet après-midi, la Grande Rue, transformée en voie piétonne, prend ses atours de braderie et d’animation commerciale. Je ne suis pas surpris, Cavanna nous prévenait dès 1978 : « Surtout, n’y allez pas, Nogent est laid, Nogent est con, Nogent est mort ! »
Je lui désobéis, j’ai envie d’imaginer ses lieux de jeunesse à défaut de les voir. « Quand t’arrives par la Grande Rue, tu dirais une impasse. »… J’y suis à l’entrée de la rue Sainte Anne. Certes, il n’y a plus de nouilles blanches, molles, tristes, de nouilles françaises dans le caniveau mais une plaque apposée sur le mur du numéro trois, récompense ma curiosité :
L’immeuble, reconstruit en brique par les premiers ritals débarqués, dans une rue qui, alors, n’avait sûrement pas bougé depuis Agnès Sorel, est le seul vestige de la jeunesse de Cavanna dans ce quartier entièrement rénové.
« J’ai eu une enfance merveilleuse. Oui, toutes les enfances le sont mais celle-là plus que ça, beaucoup plus. Et je m’en rendais compte. Comment dire ? J’étais heureux et je me regardais être heureux. »
C’est fou, un enfant noir surgi de je ne sais où, m’accoste en remontant la rue Sainte Anne et m’avoue tout de go, « j’ai passé une journée super ! ». Interloqué, j’oublie de lui répondre … moi aussi !
« Passé les deux coudes », c’est une rue piétonne qui se glisse entre quelques petites résidences calmes avant de s’ouvrir en haut dans l’ex rue des Jardins rebaptisée, moins bucoliquement, rue des héros nogentais.
Justement, il est temps de retrouver le héros nogentais du jour qui, fatigué, s’éclipse malheureusement avant la lecture de quelques uns de ses morceaux choisis par la troupe théâtrale Carpe Diem. Ayant eu le privilège de vivre ces moments d’émotion lors de la répétition en début d’après-midi, la déception est moindre et puis … Cavanna est omniprésent malgré tout à travers les photographies, ses dessins et ses mots.
La période Hara-Kiri et Charlie Hebdo, « canards historiques », m’est familière, vous saurez pourquoi, une autre fois. De superbes portraits en noir et blanc de Cavanna et des compagnons trublions de la bande, témoignent de cette époque mythique. Entre février 1969 et décembre 1981, j’attendais avec jubilation la parution hebdomadaire du journal « bête et méchant », avec sa couverture hilarante et provocatrice, et à l’intérieur, les dessins féroces du « Mon papa » de Reiser, les silhouettes des imbéciles heureux et leurs petites dames de Wolinski, les enquêtes de Cabu, les croquis pleins de rêves de Gébé, « les couvertures auxquelles vous avez échappé » … et les éditoriaux « Je l’ai pas lu, je l’ai pas vu mais… » de Cavanna.
Avec son talent si particulier, il nous faisait rire et réfléchir, il nous apostrophait parfois et nous cultivait toujours, au final, il nous mettait dans sa poche. En relisant cette semaine, quelques numéros, tenez !
« On essaie -mollement- de nous exciter sur une Europe dont on ne sait pas trop ce qu’on veut en faire, dont elle-même ne sait pas ce qu’elle sera, ni même seulement si elle veut être. Une seconde patrie ? Une super patrie ? Au-dessus des patries ? Une patrie des patries ? On laisse ça dans le flou. Parce qu’au fond, tout le monde s’en fout. On veut nous persuader, sans conviction, que l’Europe est un grand devenir qui se fait, l’étape prochaine de quelque chose de majestueux, quelque chose d’inéluctable et d’optimiste à quoi on s’opposerait en vain parce que c’est le progrès, le sens de l’histoire, la marche irrésistible vers la lumière … Mouais. » Ces quelques lignes, tout à fait de circonstance à quinze jours des élections européennes, datent de 1972 !
De même, en 1975, Cavanna, visionnaire, dénonce « l’imposture du travail » : « L’état habituel et normal de l’homme du XXIème siècle sera le chômage. En fait, ça pourrait l’être déjà maintenant. Quiconque travaille est en porte à faux. À vous, ça vous a l’air d’un paradoxe à deux ronds, d’un mot d’auteur. D’auteur fatigué. Les gens renseignés, eux, savent que c’est vrai. On ne nous le dit pas parce que ça nous donnerait un choc que nous ne pourrions pas supporter ». Le temps est venu pourtant !
« À tous les Cavanna, les Taravella, les Giovanale, les Gariboldi, les Cistercerchi, les Nardelli … », soudain, à l’autre bout du musée, par delà les cloisons, deux comédiennes nous interpellent en déclinant cette longue litanie de « tous ceux qui font que la banlieue Est n’est pas la banlieue Ouest » et qui constitue la dédicace des Ritals, l’histoire d’un gosse entre six et seize ans qui parle du passé parfois au présent. Cavanna est absent mais Jeanjean, un de ses copains d’enfance, cité dans le livre, s’est glissé dans le public.
Au cours de la soirée, suivront d’autres lectures savoureuses avec dedans de bons gros morceaux de nostalgie, d’émotion, de drôlerie, de poésie. Pour ceux qui ne connaissent pas, vite plongez-vous dans Les Ritals, Les Russkofs (Prix Interallié), L’œil du lapin ! Un régal !
Sur les cimaises de la galerie, quelques « unes » du journal prouvent que l’aventure de Hara Kiri et Charlie Hebdo, quoique exaltante, fut parsemée d’embûches. À côté des mots de Sylvie Caster, « c’était une ambiance. De préau, où l’on était ensemble une volée de moineaux. Comme dans une enfance où l’on ne se serait jamais fait de souci », rôdent malheureusement ceux de Michel Droit dans le quotidien Le Monde, « les vomissures de Charlie Hebdo menacent dangereusement notre société ».
Le 16 novembre 1970, la célèbre couverture nécrologique « Bal tragique à Colombey » consécutive à la mort du général De Gaulle et la disparition de 144 jeunes dans l’incendie d’un dancing en Isère, signe la fin de l’hebdo Hara-Kiri, interdit d’affichage, de publicité le concernant, et de vente aux mineurs de moins de dix-huit ans.
La semaine suivante, la joyeuse équipe renaît de ses cendres avec le numéro 1 de Charlie Hebdo et un cinglant éditorial de Cavanna sur la loi scélérate de la censure contre la presse : « Lisez le texte de cette loi. C’est un chef-d’œuvre de concoction papelarde, un entrelacs d’ambiguïtés, la Neuvième Symphonie de l’hypocrisie. Ah, les vaches, ah, les sournois ! Vous rendez-vous compte, bonnes gens, et vous, journalistes superbes, que la presse française est sous le régime des journaux pour enfants ? … » Ouf, c’était reparti pour douze ans !
Nos deux comédiennes se pâment maintenant devant la TSF et la voix de velours de Tino Rossi : « Pourtant, c’est rien que des choses osées, pleines d’amour fatal, de désirs fous, de baisers enivrants, de caresses ardentes, de trahisons, d’étranges femmes, de Catarinetta qui n’a que seize ans tchi-tchi… »
Un guide les relaie pour expliquer avec pédagogie, sans effaroucher le visiteur, comment avec son humour décapant, Cavanna bat en brèche la religion et la publicité, pourfend ceux qui torturent, maltraitent ou abandonnent les animaux.
Les Aventures de Dieu et du petit Jésus, deux chefs-d’œuvre d’iconoclastie au vrai sens du terme, me traversent l’esprit. « J’appelle secte toute religion, petite ou grosse. Une religion dite universelle n’est qu’une secte qui a réussi, commercialement parlant. »
En ouverture des Aventures du petit Jésus, Cavanna imagine pour encart publicitaire de journal, la photographie du Christ affalé, ventre à terre, au pied de la croix, deux clous lui transperçant les mains, avec le slogan « Plus jamais ça ! grâce à la cheville BURP ». En commentaire de ce détournement, il ajoute en légende : « cette page, extraite d’un magazine à grand tirage, montre comment l’esprit de lucre, inspiré par Satan, s’est emparé de la notoriété de Jésus pour en faire un argument publicitaire ».
Le ton féroce est donné ! Mais de toute manière, « Si Dieu est Dieu, s’il est cet être infiniment bon, s’il est cette intelligence suprême, alors Il ne peut pas nous en vouloir de ne pas croire en lui. » !!!
La tendresse n’est jamais loin de l’insolence anarchiste chez Cavanna et les flonflons du petit bal qui s’appelait … sont repris a cappella par l’assistance. Il est presque temps de quitter la piste de danse comme autrefois « chez Pianetti, rue Thiers, ou chez le petit Cavanna, rue Sainte-Anne, ou chez le grand, face le ‘coummissaire’ ».
Pour clore cette émouvante journée dédiée au très grand François Cavanna, la chaleureuse équipe du musée nous offre un délicieux buffet à l’italienne avec « prosciutto di parma e melone ».
Un verre de lambrusco rouge à la main, j’arpente, une dernière fois, la galerie. La journée a filé trop vite à revivre plus de quarante ans que Cavanna a éclairés et égayés.