Au coeur du pays cathare, le Trail des Citadelles 2009
Le 14 janvier 1208, Pierre de Castelnau, un moine cistercien, légat du pape Innocent III, est assassiné alors qu’il s’apprête à traverser le Petit Rhône, à Saint-Gilles-du-Gard.
« En avant, chevaliers du Christ ! En avant, courageuses recrues de l’armée chrétienne ! Que l’universel cri de douleur de la sainte Eglise vous entraîne, qu’un zèle pieux vous enflamme pour venger une si grande offense faite à votre Dieu ! […] Qu’il soit permis à tout catholique non seulement de combattre la personne du comte de Toulouse, mais encore d’occuper et de garder sa terre, afin que la sagesse d’un nouveau possesseur la purge de l’hérésie qui l’a honteusement souillée. »
C’est ainsi que, quelques mois plus tard, le pape lance un solennel appel aux armes auprès des prélats méridionaux du royaume, aux comtes, barons et chevaliers de France et même au roi de France, afin de mobiliser les forces vives de la chrétienté contre les hérétiques cathares et notamment ce comte de Toulouse considéré à tort comme le commanditaire du crime.
S’ouvre bientôt la croisade contre les albigeois qui ont prêté leur nom de manière abusive et réductrice à la lutte contre le catharisme.
Le 12 avril 2009 : « En avant, essayez de vous faire plaisir, ce sera boueux et humide comme d’habitude » tel est l’appel officiel lancé par l’organisateur Michel Arnaud aux 1 400 courageux concurrents du Trail des Citadelles répartis en une randonnée et trois courses à pied de 20, 40 et 73 kilomètres, avec pour point d’orgue, l’assaut des murailles de Montségur.
Comme le VTT à l’égard du vélo, le trail est une discipline dissidente de la course à pied combinant les difficultés de relief et les longues distances.
Huit cents ans après Guilhabert de Castres, Arnaud Oth de Cabardès, Roger de Mirepoix et Raimond de Péreille, figures de la résistance cathare, Michel du Haut Vallespir, Martine de Blagnac, Olivier de Carcassonne, Laurent de Villemur, Vivien du Couserans et quelques « Zinzins des coteaux », nouveaux héros de Montségur, éprouvent leur résistance sur les traces des cathares.
Ce matin, sur le parvis du marché couvert de Lavelanet, l’hérésie provient plutôt des organisateurs qui lâchent les valeureux coureurs à travers la montagne ariégeoise par un temps à ne pas mettre dehors un chat ou un cathare, ce qui est un peu la même chose. En effet, les hérétiques étaient, dans une certaine étymologie, nommés catiers en Flandres, chatistes en Champagne, cathares entre Cologne et Liège, les sorciers adorateurs du chat.
Dans l’Europe occidentale de l’an Mil, ces communautés portent aussi péjorativement, le nom de piphles, joueurs de pipeau, en Flandre et Rhénanie, de publicains, de patarins, de tisserands, de bougres immigrés de Bulgarie et catalogués comme étrangers et homosexuels, de manichéens et même d’ariens !
Les légats pontificaux du début du XIIIème siècle recourent au bestiaire pour les qualifier encore de « scorpions dans leurs mœurs et serpents dans leurs œuvres », de rusés et trompeurs comme les renards, menaçants comme des loups voraces.
Devant une telle diabolisation, l’appel papal est entendu et, au printemps 1209, c’est une importante armée qui se rassemble en Bourgogne puis emprunte la vallée du Rhône pour fondre sur les territoires hérétiques, le futur Languedoc. Le « sac de Béziers », le 22 juillet 1209, inaugure, avec l’incendie de la ville et le massacre de sa population, la première croisade hors de la Terre Sainte.
Je quitte Lavelanet, capitale du Pays d’Olmes, renommée pour son industrie lainière aujourd’hui en fort déclin, pour assister au passage de la course des 20 kilomètres, au sommet du col de Montségur. Désagréable surprise là-haut, la neige succède à la pluie et le mercure atteint péniblement 1 degré au thermomètre.
Je m’installe au bord du « sentier cathare » qui s’étire sur 27O km de la Méditerranée à la cité comtale de Foix via les châteaux d’Aguilar, Quéribus, Peyrepertuse et Puilaurens, quatre des « cinq fils de Carcassonne ». Le cadre est dantesque : au-dessous, sortant de la forêt, un chemin pentu transformé en un affreux bourbier ; au-dessus, un piton calcaire ou « pog » avec en son sommet, la silhouette embrumée de la citadelle de Montségur qui ne livrera aucun des mystères qui l’entourent. Les deux rayons de soleil qui traversent les meurtrières du donjon, à l’aube de chaque solstice d’été, laissent toujours sceptiques les historiens spécialistes du catharisme.
Je guette les premiers « bons hommes » et « bonnes femmes » du trail pour reprendre les appellations dont s’affublaient eux-mêmes les cathares. L’Inquisition les surnommait curieusement les « Parfaits » pour désigner les parfaits hérétiques, les religieux du diable, les apôtres de Satan. Ce sont pourtant de bons chrétiens dont le tort aux yeux de l’église catholique romaine, est de considérer que seul l’esprit et le monde parfait et éternel ont été créés par le Dieu bon tandis que le monde matériel et corruptible est l’œuvre du mauvais, de Satan.
Voilà nos purs ! Ce matin, leur dilemme est l’utilisation ou non de bâtons. Certains les apprécient pour maintenir leur équilibre dans la gadoue et les descentes. D’autres estiment qu’ils freinent leur progression.
Visages maculés de boue, déjà marqués par les premiers kilomètres éprouvants jusqu’aux crêtes de Madoual, ils retardent l’instant où ils jettent enfin un coup d’œil vers le château de Montségur, juge de paix de la course. Beaucoup ne sont venus que pour vivre ce moment grandiose.
« … Gloria
De quel côté des notes
Tombe à mes pieds la noirceur de mes bottes ?
Gloria, Gloria
Ainsi chantait tout doux un troubadour
Debout sur
Le blanc donjon occitan
De Montségur … »
Là-haut, debout sur les remparts enneigés, accompagné par les notes du saxophoniste Ornette Coleman, l’âme de Claude Nougaro clame son gospel cathare à la gloire de nos va-nu-pieds dans leurs Salomon et Puma Thiella crantées et crottées.
Montségur symbole de la lutte cathare ! Après vingt ans de violents combats, la croisade des albigeois aboutit à la soumission du comte de Toulouse mais les chevaliers du Midi, dépossédés par les croisés venus du Nord, se rebellent et entrent en résistance auprès des hérétiques cathares.
À partir de 1232, Montségur devient le siège et la capitale de la religion cathare. À l’intérieur du castrum, vit le seigneur du lieu, Raymond de Péreille avec une centaine d’hommes d’armes ou faydits. À l’extérieur, au pied des murailles, se constitue un véritable village cathare de 600 âmes avec son évêque, ses diacres et ses fidéles.
Tout se passe dans un calme relatif jusqu’à ce que, le 29 mai 1242, une trentaine de faydits massacrent onze inquisiteurs dans le village d’Avignonet près de Castelnaudary. Sous la pression pontificale, le roi de France envoie alors une armée de quatre mille hommes commandée par le sénéchal Hugues des Arcis et Pierre Amiel, évêque de Carcassonne, pour mettre fin à l’impunité de la « synagogue du diable ».
Commence l’assaut de la forteresse rendu d’autant plus difficile qu’elle n’est accessible que par un seul sentier, celui-là même que les trailers empruntent ce matin. La citadelle se rend, le 16 mars 1244, après un long siège de dix mois. Plus de deux cents hommes et femmes cathares, refusant de renier leur foi, sont suppliciés sur un bûcher dressé au « Prats del Crémats », le champ des brûlés, au pied du château :
« … Voici l’heure des corbeaux
sur les chemins de Montferrier
Voici l’heure des corbeaux
grand fleuve, pourriture noire
du Pape la grande armée
du Roi de France les ribauds
de Dominique les cochons
Amen, amen, Dies Irae !
Voici l’heure de la défaite
L’idée brûle sur le bûcher
Voici l’heure de la victoire
C’est nous qui menons le combat
Minorités contre l’Empire
Indiens de toutes les couleurs
nous décoloniserons la terre
Montségur, tu te dresses partout ! »
Ces couplets du troubadour Claude Marti nous font encore plus vibrer en occitan :
« … Cinc cents èretz a Montsegur
sabent çò que viure vòl dire
Cinc cents èretz a Montsequr
Segur i sètz darrièr l’azur… »
« C’est sûr, ils sont derrière l’azur ! » C’est certain, nos trailers sont derrière la brume et savent ce que courir dans la nature, hors des sentiers battus, veut dire ! Montségur les accueille par la grande porte. Leur cœur bat très fort sous le poids de l’effort et de l’événement. Suprême récompense, ils traversent la citadelle avant de dévaler à nouveau le pog.
Bref moment de répit au contrôle de ravitaillement. Nos « parfaits » crossmen se dopent de quelques fruits secs et quartiers d’orange pour retrouver l’énergie brûlée au bûcher de leur vanité sportive. Leurs muscles accepteraient volontiers l’imposition des mains d’un masseur propre à leur assurer le retour au centre de Lavelanet.
Le « consolament », le baptême de l’esprit consolateur, était le seul sacrement reconnu par les cathares. Selon les circonstances, il faisait fonction de baptême, de pénitence, d’ordination ou d‘extrême-onction. Comme pratiquée par le christ, l’imposition des mains apportait le salut en assurant le retour au ciel de la partie divine de l’homme. Le croyant cathare devenu ainsi « Bon Homme » ou « Bonne Dame » faisait vœu d’une vie d’ascèse et d’abstinence de toute nourriture carnée.
Je fuis la froidure du col pour replonger vers la vallée. Je n’attends guère avant que le premier des « hérétiques », Michel du Vallespir apparaisse au bout de la ligne droite d’arrivée après sa croisade de 20 kilomètres en 1 heure 34 minutes et 52 secondes. Vivien du Couserans, le champion de la famille, se présente en quarante neuvième position, trois quarts d’heure plus tard, talonné par Magali et Martine de Blagnac, premières « Bonnes Dames » de l’épreuve, qui finissent main dans la main.
Je rassemble dans les mêmes louanges les 377 « Parfaits » qui ont achevé la randonnée cathare ainsi que, bien évidemment, les centaines de « Plus que Parfaits » qui s’alignèrent sur les distances de 40 et 73 kilomètres. Tous sont rentrés transis, fourbus, crottés mais heureux d’avoir atteint, un matin de Pâques, leur saint Graal, la citadelle de Montségur.
Le cathare n’est pas un agnostique mais courir le trail des citadelles juste avant l’agneau pascal, il faut le faire !
