Une semaine au San Sombrèro
En ce début de l’an neuf du vingt et unième siècle, gagné par l’atmosphère déprimante de crise polluée, en outre, par la tragédie judéo palestinienne et la catastrophe écologique de la forêt landaise, j’ai souhaité subitement m’aérer les neurones sous d’autres latitudes.
L’idée a fait son chemin en feuilletant un encart joint à un hebdomadaire décrivant quelques escapades incroyables promettant un total dépaysement. Écartant d’emblée toutes destinations dangereuses telles Irak et Afghanistan, prisées par un certain public inconscient et avide de sensations « tendance », je « kiffe » très vite pour une semaine au San Sombrèro, petit état d’Amérique Centrale, décrit comme « le pays des carnavals, des cocktails et des putschs » !
Plus de trente ans après avoir vécu au contact des civilisations aztèques et mayas du Mexique et du Guatemala, je me réjouis de poser de nouveau le pied sur le continent cher à Christophe Colomb, dans cette minuscule enclave méconnue entre les îles Barbituros et la République de Tripoté-et-Lumbago.
Envol de l’aéroport Charles de Gaulle à Roissy, et neuf heures plus tard, j’atterris en fin d’après-midi dans la chaleur tropicale de Cucaracha City, charmante ville coloniale en bordure de la baie de Merinda. C’est le cœur politique, culturel et industriel de San Sombrèro où s’entasse le cinquième de la population, humains et rongeurs confondus.
Détail cocasse, le Juan de Playo Los Martinique del Pueblo Aeroporto est le seul aéroport international dont le nom complet ne tient pas sur le fronton du bâtiment. Pour rejoindre notre hôtel en centre ville, nous empruntons un bus dont l’originalité est d’y monter par l’arrière. Du fait de l’affluence à l’intérieur, les pièces pour régler le billet sont transmises au chauffeur par les voyageurs … qui prennent leur commission au passage !
La circulation est sportive et les premiers frissons nous tenaillent aux feux rouges rarement respectés par la population locale d’autant plus qu’ils sont installés par des revendeurs ambulants pour mieux vous proposer leur camelote. Malgré tout, je ne suis guère dépaysé, rompu au trafic trépidant du Paseo de la Reforma et d’Insurgentes, avenues grouillantes de Mexico avec une police corrompue prompte à verbaliser anarchiquement. Mon passeport diplomatique de coopérant constituait alors une protection efficace contre les amendes au tarif fantaisiste et variable qui tombaient le plus souvent dans l’escarcelle personnelle du représentant de l’état !
Une première surprise nous attend à l’hôtel où nous devions séjourner, qui affiche complet malgré les réservations. Dommage car l’Hostal Montero bénéficie d’une vue fabuleuse sur la place centrale et le palais présidentiel très appréciée des clients et des tireurs embusqués. Qu’à cela ne tienne, nous sommes dirigés vers le Arron Plaza, établissement spacieux et couleur locale qui ne compte pas moins de 90 chambres toutes sensiblement différentes suite à un récent tremblement de terre ayant endommagé le bâtiment.
Très vite, nous sommes confrontés avec le personnel, aux bizarreries de la langue. Quoique familiarisé avec l’espagnol, je suis légèrement décontenancé face à un dialecte mêlant grammaire castillane, prononciation portugaise et braillements indigènes, cousin lointain du « portugnol » cher à Manu Chao. Cependant, j’assimile rapidement les nombreux américanismes nécessaires à chaque touriste. Au San Sombrèro, on mange des hamburguesas et des potajes soupes à base d’ail frit, oignons et piments servies avant le plat principal ou une coloscopie ; on boit des bibines et on essuie des fusilladas !
Le lendemain de notre débarquement, le 28 janvier, à l’occasion du Jour de l’Indépendance, la population de Cucaracha afflue vers la Plaza del Popolo pour des discours et des chants patriotiques qui s’achèvent par une marche sur le palais présidentiel et, les bonnes années dit-on, un putsch. Le 29 janvier, les festivités se poursuivent avec le Jour de la Dépendance marquant la reconnaissance du pays envers l’aide étrangère.
Ici, la liesse est quasi permanente et tout est prétexte à faire la fiesta, l’anniversaire d’un saint local, une victoire du club de football local l’Atletico Huligano de Guera, l’anniversaire de la Constitution le 12 mars et celui du rejet de la Constitution le 13 mars. Il existe même le Jour Pense-Bête, la veille du Jour du Souvenir !
Pour vivre au rythme des « cucas », il fait bon flâner le soir dans le barrio Murjo, le long des quais. Ce quartier jadis huppé, déserté par les classes aisées lors de la fièvre jaune de 1870 puis la fièvre disco cent ans plus tard, est un sympathique endroit pour manger, boire et danser jusqu’au bout de la nuit. La plupart des plats sont accompagnés de rhum, façon planteur en apéritif, sec sur le plat, doux en dessert, le dernier verre servant à cirer la table.
Supplice pour les abonnés au champix, l’atmosphère devient rapidement irrespirable dans ce paradis des fumeurs. Les seules nuisances affichées comme message de prévention sur les paquets de cigarettes, concernent des risques d’augmentation de la taille du pénis en cas d’une consommation abusive de tabac.
Rien de tel pour éliminer ces excès, que de rejoindre l’une des nombreuses pistes de danse et s’initier aux rythmes lascifs du pays. Pour les touristes solitaires, le sensuel frotto est idéal pour faire des rencontres. Pour les couples, sont organisés des concours de babalumba, danse sexy aux déhanchements suggestifs ; les heureux élus peuvent ensuite plantar el bouto, c’est-à-dire concrétiser !
C’est donc un réveil difficile qui nous attendait le lendemain matin avant la visite prévue à l’Iglesia Santa Maria. Cet édifice religieux de style baroque n’a guère de caractère ayant été restauré suite au tremblement de terre de 1920 et un pillage à la voiture bélier en 1983. Le principal attrait en est le prêtre en soutane qui vous accompagnera en haut du clocher pour découvrir une vue stupéfiante, d’abord son slip, ensuite un magnifique panorama de la ville.
L’après-midi, nous mettons le cap vers la province de Guacamola, la région la plus montagneuse du pays. Le trajet en bus n’est pas de tout repos et aux quelques haltes pour nous dégourdir les jambes, nous sommes assaillis par les vendeurs de barbacoco, une barbe à papa locale fabriquée à partir de cocaïne coloriée. Il faut savoir qu’au San Sombrèro, l’usage de la drogue est strictement prohibée, avec juste une tolérance de cinq kilos de stupéfiants pour sa consommation personnelle.
La nocivité des nuages sulfuriques suffocants et des énormes quantités de cendres et de fumée dégagés par les sept volcans actifs est équivalente à quinze paquets de cigarettes quotidiennement. D’ailleurs, les volcans sont classés en plusieurs catégories, forte, light, extra-light et menthol.
Le bus sinue dans la Cordilera Largato et ses à-pics vertigineux à la découverte des nombreux animaux exotiques et tribus indigènes qui y vivent. Les animaux extrêmement craintifs fuient nos objectifs. Nous avons plus de chance avec les autochtones facilement repérables avec leurs débardeurs Nike dérobés dans un avion qui s’écrasa dans le coin, il y a quelques années.
La journée suivante est consacrée à la visite de Fumarolé, la capitale du Guacamola, célèbre pour ses nombreux carnavals qui se déroulent en fin d’année. L’une des curiosités est la vieille cathédrale de San Bernardo qui comme beaucoup de monuments de ce pays, a souffert de multiples tremblements de terre, d’inondations et de la jeunesse lorsqu’elle servit de discothèque dans les années 80. Les bancs et prie-dieu en plastique, l‘autel en laminex et les mannequins de vitrines à la place des statues volées déroutent le visiteur. On vit la religion autrement à San Sombrèro, d’ailleurs, les sept péchés capitaux ont été réduits à trois.
Je pourrais encore vous allécher longuement avec l’exotisme de cette minuscule terre de contrastes qui fait de son instabilité politique, un argument touristique; dix-sept présidents se sont succédé à sa tête en dix ans, le dernier en date étant assassiné au milieu de son discours d’intronisation.
Je ne saurais trop vous recommander de vous y rendre pour chasser la morosité ambiante ; je vous garantis l’effet immédiat.
Alors d’urgence, réservez votre envol dans une bonne librairie de votre ville en vous procurant le désopilant « travel guide » Jetlag sur San Sombrèro imaginé par une bande d’allumés australiens.
Comme tout bon guide touristique, ce pastiche fourmille de renseignements sur l’histoire, la géographie, l’économie, les merveilles naturelles et architecturales, les traditions de ce pays sans traités d’extradition. Que viva San Sombrèro ! … et mourez de rire !
Quant à moi, j’attends impatiemment les prochains guides, actuellement en préparation, sur « Les Émirats arabes punis », « Le Tyranistan », « La Polynuclésie » et « La Costa Lezios de la Teta » !!!
