Ma nostalgie camarade Gainsbourg
N’en déplaise à Simone Signoret, la nostalgie camarade Gainsbourg est toujours ce qu’elle était.
Les tickets de métro, les paquets de Gitanes et même des choux continuent d’orner ta tombe au cimetière Montparnasse.
Les entreprises de nettoyage ont renoncé à décaper la façade taguée de ton hôtel particulier, au 5 bis de la rue de Verneuil, dans le quartier de Saint-Germain-des-prés, véritable mur des lamentations depuis ta mort survenue le 2 mars 1991.
« … J’fais des trous, des p’tits trous, encore des p’tits trous
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des trous de seconde classe, des trous de premiere classe.
J’fais des trous, des p’tits trous, encore des p’tits
Des p’tits trous, des p’tits trous, toujours des p’tits trous
Des petits trous, des petits trous, des petits trous, des petits trous
Je suis le poinçonneur des lilas,
Pour Invalides changer à l’Opéra… »
Aujourd’hui, je change à Opéra pour Pantin, près de la station des Lilas, et la Cité de la Musique où se tient l’exposition temporaire Gainsbourg 2008.
Certes, à travers la somme biographique rassemblée par Gilles Verlant, la « bible « de référence sans cesse enrichie au fil des éditions, je sais déjà beaucoup de choses, mais j’ai envie de plonger autrement dans l’univers finalement secret et opaque de ce dandy de grand chemin. Beaucoup, hors ses chansons évidemment, connaissaient surtout les frasques de son double public Gainsbarre.
Flashback, il aimait les anglicismes, abusons-en ! J’étais gamin lorsque, dans ma galerie musicale, j’ai rencontré en 1958, ce « gars qu’on croise et qu’on n’ regarde pas », le fameux Poinçonneur des Lilas chanté également par les Frères Jacques. J’en appréciais le phrasé syncopé et la musique entraînante ; à l’époque, je ne saisissais nullement la portée sociale et philosophique de la litanie noire de cet homme-robot de la RATP, déshumanisé par la répétition industrielle qui, « sous son ciel de faïence », perçait des p’tits trous. Depuis, le compostage automatique a mis fin au « carnaval de confettis ».
Mon intérêt pour Gainsbourg se limita à cette chanson jusqu’à ce que, deux ou trois ans plus tard, mon frère, fan de jazz, passât inlassablement en boucle sur son pick-up :
« Black trombone
Monotone
Le trombone
C’est joli
Tourbillonne
Gramophone
Et bâillonne
Mon ennui… »
Mon frère s’en désintéressa peut-être un peu, moi j’appréciais sans doute de plus en plus, j’ai hérité du précieux disque microsillon vinyl 25 cm « Gainsbourg n°4 ». En contemplant aujourd’hui la pochette, je suis étonné par sa modernité : au recto, se découpe sur un fond bleu, le profil de Serge tenant entre ses doigts, un cigarillo, référence à l’une des chansons de l’album ; au verso, un texte de présentation d’un journaliste de France-Observateur :
« Un visage pâle que la lumière crue du projecteur rend presque blafard ; des oreilles colorées comme par un jour de grand froid ; un regard ironique mal caché par les paupières lourdes ; un demi-sourire pincé ; des mains qui se tordent et se crispent …. Une tendresse pudique qui se cache. Et cependant, il n’accepte pas de paraître tendre, il veut inquiéter. Plus qu’inquiétant, il est inquiet, tourmenté : un romantique moderne, amoureux du jazz et de l’humour noir mais qui finira un jour par chanter l’amour fou. L’heure de Gainsbourg viendra, je la sens proche. »
L’écoute de cet opus révèle les tendances un brin opportunistes de l’artiste toujours dans le vent des modes et courants musicaux. À côté de trois morceaux très marqués par le jazz qui avait conquis la France après la seconde guerre mondiale et Gainsbourg, pianiste dans les boîtes de nuit et les casinos, on décèle un clin d’œil à la vague yéyé déferlante avec Requiem pour un twister ainsi que le recours aux rythmes brésiliens très prisés alors depuis la samba Si tu vas à Rio de Dario Moreno et les Compagnons de la chanson. Il fallait oser tout de même plaquer une bossa nova sur « Le serpent qui danse », un poème tiré des Fleurs du Mal. Des correspondances du métro aux correspondances de Baudelaire !
Serge commence aussi à jouer avec les mots :
« Promenons-nous dans le moi
Pendant qu’le vous n’y est pas
Car si le vous y était
Sûrement il nous mangerait
J’ai peur, j’ai peur du grand méchant vous… »
Mais surtout, un merveilleux poème a traversé le temps et presque cinquante ans plus tard, il m’en reste, il me semble avant tout Les goémons :
« Algues brunes ou rouges
Dessous la vague bougent
Les goémons
Mes amours leur ressemblent,
Il n’en reste il me semble
Que goémons
Que des fleurs arrachées
Se mourant comme les
Noirs goémons
Que l’on prend, que l’on jette
Comme la mer rejette
Les goémons … «
Cet album qui fut un cinglant échec commercial, préfigure la carrière et le style de Serge.
En tout cas, le portrait du journaliste est prémonitoire ; effectivement, son heure sonne quelques mois plus tard :
« J’avoue
j’en ai
Bavé
pas vous
mon amour
avant
d’avoir
eu vent
de vous
mon amour-
ne vous déplaise
en dansant la Javanaise
nous nous aimions
le temps d’une chanson… »
Il est temps de visiter l’exposition. « Clic d’œil » cocasse, je photographie Gainsbourg me visant avec un appareil de la même marque que le mien. Ce sera mon unique cliché, tout matériel d’enregistrement d’images et de sons est confisqué à l’entrée. Aucune importance, je suis là pour humer une ambiance, capter des émotions.
La salle sombre, proche de la pénombre, rappelle l’atmosphère souvent dépeinte de son « hôtel particulier » à l’intimité jalousement gardée :
« Au cinquante-six, sept, huit, peu importe
De la rue X, si vous frappez à la porte
D’abord un coup, puis trois autres, on vous laisse entrer
Seul et parfois même accompagné.
Une servante, sans vous dire un mot, vous précède
Des escaliers, des couloirs sans fin se succèdent
Décorés de bronzes baroques, d’anges dorés,
D’Aphrodites et de Salomés.
S’il est libre, dites que vous voulez le quarante-quatre
C’est la chambre qu’ils appellent ici de Cléopâtre
Dont les colonnes du lit de style rococo
Sont des nègres portant des flambeaux.
Entre ces esclaves nus taillés dans l’ébène
Qui seront les témoins muets de cette scène
Tandis que là-haut un miroir nous réfléchit,
Lentement j’enlace Melody. »
Rue de Verneuil, il met en scène un univers tapissé de noir. « Au salon, il imagine un dallage vénitien, noir et blanc, et installe un éclairage directionnel sur des objets étranges. »
Ici, à l’entrée, comme un prologue à l’exposition, une citation du maître : « Dans la vie moderne, il y a tout un langage musical à inventer ; un langage autant musical que de mots ; tout un monde à créer. Tout est à faire. »
Je délaisse pour l’instant, la forêt de piliers supportant des centaines de documents audiovisuels, et longe à la lisière, une grande vitrine murale proposant moult documents et objets.
Intense moment d’émotion, je détaille d’abord son fameux Autoportrait, 1957, l’une des rares toiles qu’il n’a pas détruites. Au départ, il se destinait à la peinture et fréquentait les Beaux-Arts et quelques académies. Pour lui, être peintre, c’était être Francis Bacon ou rien … il abandonna donc cet art.
Puis, je m’arrête de longs instants devant divers manuscrits de ses chansons. La feuille de papier semble cadrée comme une toile ; dedans, l’écriture est comme « une forêt dévastée par la tempête », les mots dessinent de « vraies chorégraphies textuelles ». On dit même que Gainsbourg esthétisait le brouillon en raturant volontairement.
« …Les dessous chics
ce sont des contrats résiliés
qui comme des bas résillés
ont filé… »
En écho à ce texte pour Jane Birkin, une phrase comme une définition : « Chic, autrefois mot de style familier signifiant abus de finesses, subtilités. »
Quelques mots encore comme griffonnés à la hâte sur un coin de table : « Une bouteille de blend make up un flash un browning et un pickup un livre d’Edgar Poe un briquet Zippo. » ! Quand il eut secoué le tout cela donna …
« On s’fait des langues
En Ford Mustang
Et bang !
On embrasse
Les platanes
« Mus » à gauche
« Tang » à droite
Et à gauche, à droite ;;; »
De même, de quelques notes placées sur une portée tremblante au milieu de raturages peu lisibles, naîtra Sous le soleil exactement qu’il offrit à Anna Karina et Françoise Hardy.
Un peu plus loin, un recueil de partitions d’études de Chopin dont le portrait trônait à son domicile sur le Steinway auprès de celui de l’idole punk Sid Vicious … collage musical improbable sinon « gainsbourien » ! Son père, musicien de profession, l’avait éveillé à la musique classique puis au jazz en l’initiant au piano. Je me retrouve vis à vis de L’Ecorché, sculpture grandeur nature en papier mâché qui effrayait tellement la jeune Charlotte lorsqu’elle se rendait au « petit coin »
Voilà Gainsbarre qui se rapplique avec une délirante collection de décorations et menottes offertes par policiers et militaires au retour, dans le panier à salades, de virées nocturnes fort alcoolisées.
Un exemplaire d’Evguenie Sokolov, le seul roman écrit par Serge, publié dans la collection NRF chez Gallimard, « la Rolls-Royce de l’édition » comme il se complaisait à le souligner ! Il possédait ce ton flambeur pour se valoriser, évoquer les « plaques » amassées avec tel ou tel succès ainsi que les femmes « les beaux lots qu’il avait tirés », comme une revanche sur sa jeunesse marquée par le port de la « yellow star », l’étoile jaune juive, et ses années de vaches maigres. Il avait déjà trente cinq ans quand survint la réussite matérielle avec La Javanaise. Il n’existait pas de « Star Ac » à l’époque ; il n’y aurait probablement pas connu le succès avec son physique particulier et son écriture « intellectuelle ».
« Mets ton masque à gaz Sokolov
Que tes fermentations anaérobies
Fassent éclater les tubas de ta renommée
Et que tes vents irrépressibles
Transforment abscisses et ordonnées
En de sublimes anamorphoses. »
Je souris en me souvenant que cet extrait du « conte parabolique » figurait sur l’album Mauvaises nouvelles des étoiles (du nom d’un tableau de Paul Klee) , l’un des premiers CD dont je fis l’acquisition. Ma nouvelle chaîne procurait un relief particulier aux flatulences lâchées tout au long du morceau ! L’ère Gainsbarre avait sonné.
Concentré totalement jusqu’alors, sur ces reliques, je prends conscience subitement que des hauts parleurs distillent les voix célèbres de Jane et sa fille Charlotte, de Françoise Hardy, Catherine Deneuve, Vanessa Paradis, Aurore Clément, Alain Bashung et bien d’autres, « disant » Gainsbourg. Ses textes prennent ainsi une dimension encore plus littéraire et poétique, quasiment surréaliste.
Retour sur la vitrine et le manuscrit original de La Marseillaise signé de Rouget de Lisle et acquis dans une salle des ventes. Souvenons-nous de son premier album reggae et de sa version jamaïcaine Aux armes et caetera de l’hymne national ! « Je suis un insoumis qui a redonné à La Marseillaise son sens initial » hurle-t-il avant de l’entonner a capella dans sa version officielle devant un parterre de parachutistes médusés. Je n’ai pas le réflexe de vérifier sur le manuscrit si Rouget de Lisle a réellement écrit etc… pour ne pas avoir à recopier chaque refrain, comme le prétendit Gainsbourg pour répondre aux attaques des journalistes. Je rangerai a priori cette affirmation parmi les subtils mensonges que notre cher trublion aimait distiller lors de ses interviews.
Instant d’amour passion « moi non plus » avec plusieurs documents autour de la sulfureuse chanson, le plus émouvant étant un manuscrit du texte, rédigé d’une main appliquée une fois n’est pas coutume, avec en annotation au-dessus de la signature de l’auteur, un « je t’aime » de Jane Birkin.
Cette ode à l’amour physique avait été écrite pour Brigitte Bardot mais celle-ci, craignant des problèmes avec son mari, en interdit à l’époque la sortie en disque. Comique un peu beauf, il existe aussi une parodie, une sorte d’amour à la papa, avec Bourvil et Jacqueline Maillan !
Coïncidence ou intuition, Bardot surgit dans mon imagination lorsque je m’approche d’un miroir tournant en acier poli. Il s’agit de Contact, une sculpture de Nicolas Schöffer, le père de l’art cybernétique.
« Ôtez-moi ma combinaison spatiale
Retirez-moi cette poussière sidérale
Contact ! »
Devant cette œuvre, se trémoussa Brigitte Bardot (dés)habillée de métal par Paco Rabanne. Je pénètre enfin dans la forêt de totems lumineux, attiré par les « clochettes d’argent » et les vapeurs d’ « essence de Guerlain ». Moment de magie pure: sur le parallélépipède couvert de photographies sublimes, deux vidéos se répondent; face à la splendide B.B en couleurs, cheveux flottant au ralenti sous le vent, Serge en noir et blanc, tente quelques notes sur son piano puis écoute la maquette de Initials BB devant la console du studio d’enregistrement de Londres. S’inspirant d’un poème d’Edgar Poe traduit par Baudelaire et du livre L’amour monstre de Pauwels que lui avait offert Bardot, Gainsbourg trouva « la vision dans l’eau de Seltz » de cette quasi symphonie enivrante avec ses violons, ses trompettes, son piano et ses chœurs.
Il vécut une histoire d’amour avec « la femme créée par Dieu ( !). Il put dès lors confier malicieusement : « j’ai perdu tous mes complexes de laid, les femmes me regardent d’un autre œil. »
Comme si je désirais jouer à cache-cache avec l’œuvre de l’artiste, je sinue de manière désordonnée dans le dédale d’arbres à images faisant fi de la cohérence imaginée par le scénographe découpant l’exposition en quatre thèmes, « la période bleue » (1958-1965), les idoles (1965-1969), la décadanse (1969-1979) et Ecce homo (1979-1991).
J’écoute avec tendresse Gainsbarre, sur le divan d’Henri Chapier, évoquer avec lucidité ses excès. « Je me flingue pour renaître, c’est une quête d’absolu que je ne trouve pas. » Il espère grâce à « son sang de cosaque », être présent pour les vingt ans de Charlotte. Il les ratera de quelques mois !
La salle s’est remplie peu à peu et un public composé aussi bien d’ « ex-fans des sixties » que de jeunes, s’agglutine autour des piliers en tendant l’oreille pour mieux capter les sons qui s’en échappent dans le brouhaha ambiant.
« Une poupée de cire, une poupée de son » minaude sur un écran. Grâce à cette lolita in, Serge, jugé out alors par les idoles des jeunes, jubile avec dans les mains, son trophée du Grand Prix de l’Eurovision.
« Annie aime les sucettes,
Les sucettes à l’anis.
Les sucettes à l’anis
D’Annie
Donnent à ses baisers
Un goût ani-
Sé. Lorsque le sucre d’orge
Parfumé à l’anis
Coule dans la gorge d’Annie,
Elle est au paradis… »
Un an plus tard, Gainsbourg met ces vers en bouche de France Gall. Ah! ces petits arrangements avec la langue, ils ne feront sens que bien après la sortie du disque ! Il est surréaliste de penser que les mômes du milieu des années 1960, reprenaient, avec naïveté et inconscience, les refrains diffusés sur les ondes en toute liberté de ce Sacré Charlemagne qui avait eu la drôle d’idée d’inventer l’école et des Sucettes à l’anis qu’Annie s’offrait pour quelques pennies !
C’est une des facettes littérairement perverse et savoureuse de ce génial manipulateur de mots que de poser des bombes ou tendre des pièges dans les textes les plus anodins. On sait ce que cachent les p’tits trous du poinçonneur, La javanaise, Elaeudanla Tèïtéïa, l’Ami Caouette et les sublimes papiers froissés pour Régine :
« Laissez parler
Les p’tits papiers
A l’occasion
Papier chiffon
Puissent-ils un soir
Papier buvard
Vous consoler
Laisser brûler
Les p’tits papiers
Papier de riz
Ou d’Arménie
Qu’un soir ils puissent
Papier maïs
Vous réchauffer… »
Gainsbourg a mis dans sa poche toutes les idoles yéyé auprès desquelles il pose pour la « photo du siècle » réalisée par Jean-Marie Périer à la demande du magazine Salut les Copains !
Suivant mes petits cailloux sonores, je reviens près de l’entrée, au commencement de l’histoire. Gainsbourg, le visage glabre, flâne sur un pont de Paris. Comme un symbole, il traverse la Seine quittant la rive droite pour rejoindre la « rive gauche », qualificatif dont on affublait autrefois les chansons « intellectuelles », dites à textes.
1963, le petit pianiste du cabaret de travestis Milord l’arsouille au pied de la butte Montmartre, rejoint de l’autre côté du fleuve, Saint-Germain des Prés, au bras de La Javanaise qu’il écrit pour Juliette Gréco, l’égérie de Boris Vian.
Je repars à l’orée des années 1970, Jane l’accompagne désormais. Sur le mur de photographies, resplendissante dans son jean, elle cache tant bien que mal les dessous de Melody Nelson.
Nougaro dit de cet album concept qu’il est « un poème symphonique de l’âge pop, une mélodie funèbre pour une enfant à bicyclette ». Rien à ajouter, Gainsbourg chante de moins en moins …valse des synonymes, il fredonne, il murmure, il susurre, il psalmodie, plus tard, il marmonnera !
Je le guette depuis un moment, je l’évite depuis le début, préférant ne le rencontrer qu’à la fin de ma visite, il m’apparaît enfin en chair et en os cuivrés … « L’homme à la tête de chou ». Dans un coin reculé de l’exposition, il est assis sur un coussin et une souche de bois tel le gardien du musée Gainsbourg.
Profondément ému, je détaille, durant de longs instants, cette sculpture de Claude Lalanne acquise dans une galerie d’art contemporain de Saint-Germain des prés et installée dans le jardin de la rue de Verneuil. Gainsbourg confiait que son premier contact avec l’oeuvre fut glacial mais peu à peu, elle se dégela et finit par lui conter son histoire de « journaliste, échotier sur une feuille de chou à scandale tombé amoureux d’une petite shampouineuse assez chou pour le tromper avec des rockers. Cette affaire tourna au vinaigre et notre homme ensevelit Marilou de neige carbonique d’extincteur, puis sombrant dans la folie, en perdit la tête devenue chou » !
« Je suis l’homme à la tête de chou
Moitié légume moitié mec
Pour les beaux yeux de Marilou
Je suis allé porter au clou
Ma Remington et puis mon break
J’étais à fond de cale à bout
De nerfs, j’avais plus un kopeck
Du jour où je me mis avec
Elle je perdis à peu près tout,
Mon job à la feuille de chou … »
Beaucoup désignent l’album éponyme de cette sculpture, un véritable roman en chansons, comme son chef d’œuvre.
De l’homme à la tête de trou à l’homme à la tête de chou, d’Initials B.B à Melody Nelson de Rock around the bunker aux Armes et caetera, la carrière de Gainsbourg dans son « art mineur » est parsemée de tant d’œuvres majeures que le choix est cornélien.
« Les images, je les ai écrites, plaquées sur des symboles musicaux, c’est là mon drame. Peintre, j’aurais fait une œuvre. »
Plusieurs fois, dans les ultimes mois de sa vie, Serge se retire dans l’Yonne, au pied de la « colline inspirée » de Vézelay. Il y croise le violoncelliste Rostropovitch qui prépare des concerts à la basilique ainsi que l’écrivain Jules Roy qui y possède une propriété. Ce dernier dira de lui : « Gainsbourg est un poète. Dévoyé si l’on veut, encore qu’on puisse se demander en quoi… C’est le poète maudit qui fait florès. »
Rapidement, je parcours une pièce annexe dont le mur est recouvert de plus de trois cents pochettes de disques enregistrés par Gainsbourg et ses nombreux interprètes. Parmi elles, une kyrielle de « 45 tours » (heureux temps des pickups Teppaz !) des différentes versions françaises et étrangères de Je t’aime moi non plus avec des photographies parfois torrides.
J’abandonne à regret le labyrinthe d’images et de sons. À l’issue de ce zapping « classieux », le mystère n’est probablement pas dissipé mais étrangement, le double Gainsbarre s’est évanoui de mes pensées laissant en pleine lumière le souvenir tendre de Serge Gainsbourg, artiste majeur.
Cela fera après demain, dix-huit ans qu’il nous manque.