Archive pour le 28 janvier, 2009

Le sulfureux destin de Victor Noir

Vous vous souvenez peut-être de « Télémagouille », le sketch mythique des Inconnus au cours duquel Mamadou (Pascal Legetimus) doit trouver la couleur de peau des personnalités citées par le présentateur :
« Michel Blanc ? Blanc ; Eric Blanc ? Noir ; Gérard Blanc (le chanteur du Martin Circus disparu dimanche dernier-ndlr) ? Blanc ; Michel Noir ? Blanc ; Attention, il y a un piège, Michael Jackson ? Gris. Formidable réponse de Mamadou ! »
Aujourd’hui, parodiant les irrésistibles comiques, je vous demande : Victor Noir ? Attention, il y a un piège … à cons dans l’acception physiologique ancienne du mot !
Le temps de votre réflexion, je vous conte le sulfureux destin de Victor Noir que connaissent probablement les flâneurs curieux du cimetière du Père-Lachaise.
De son vrai nom Yves Salmon, il naît le 27 juillet 1848 à Attigny, dans les Vosges ; il embrasse une carrière de journaliste au sein du journal anti-bonapartiste La Marseillaise (ne pas confondre avec l’actuel quotidien provençal longtemps de sensibilité communiste).
La Marseillaise de l’époque, succède au célèbre hebdomadaire La Lanterne, déjà dirigé par Henri Rochefort. Son premier numéro paraît le 19 décembre 1869 au prix de 15 centimes. Journal frondeur critiquant l’empereur et prônant la république, il compte parmi ses collaborateurs, l’écrivain Jules Vallès, auteur de l’Enfant et futur fondateur du Cri du Peuple, le quotidien de la Commune de Paris.
L’histoire qui nous concerne, puise son ferment dans une « affaire corse » dans laquelle s’immisce Rochefort, toujours prompt à vilipender l’empereur. Le prince Pierre Napoléon Bonaparte, cousin éloigné de l’empereur, bien que député corse d’extrême gauche, n’admet pas l’attaque personnelle contre son parent et se lance dans une violente diatribe contre La Marseillaise.
Pascal Grousset, rédacteur en chef du quotidien de Rochefort, se sentant offensé, dépêche alors deux amis chez le prince Bonaparte afin d’obtenir la rétractation de son article injurieux ou, à défaut , la réparation par les armes. C’est ainsi que le 10 janvier 1870, Victor Noir, après qu’il ait effectué un détour chez sa fiancée pour lui montrer son élégante tenue noire, se présente au domicile de Pierre Bonaparte, rue d’Auteuil, à Neuilly, en compagnie d’Ulrich de Fonvielle.
Il s’ensuit une violente altercation dont les versions diffèrent selon les parties, au cours de laquelle le prince Bonaparte tire cinq coups de revolver. L’une des balles atteint à la poitrine, Victor Noir qui s’enfuit par les escaliers et expire sur le trottoir en bas de l’immeuble.
La nouvelle se répand dans le Paris populaire révolté et proche de l’émeute. Le lendemain, dans La Marseillaise encadrée de noir, Rochefort vengeur, écrit : « J’ai eu la faiblesse de croire que Bonaparte pouvait être autre chose qu’un assassin … Voilà 18 ans que la France est entre les mains ensanglantées de ces coupe-jarrets qui, non contents de mitrailler les républicains dans les rues, les attirent dans des pièges immondes pour les égorger à domicile. »
Napoléon III, très chagriné dans le contexte politique très défavorable, rentre de Saint-Cloud et donne ordre d’arrêter Pierre Bonaparte. Celui-ci est acquitté quelques jours plus tard tandis que Rochefort, Fonvielle et Grousset sont emprisonnés le 7 février. Le 18 mai 1870, dans ses colonnes, La Marseillaise titre sur le bilan de ce dramatique épisode, « un rédacteur tué et douze en prison ! »
Les obsèques de Victor Noir se déroulent le 12 janvier 1870, par un temps abominable et dans un climat politique très tendu. Le peuple de Paris souhaiterait qu’il soit inhumé au cimetière du Père-Lachaise mais le chef de gouvernement, craignant les débordements, fait organiser les funérailles à Neuilly, loin des quartiers populaires, selon le vœu de la famille du défunt. Cela ne décourage pas des dizaines de milliers de parisiens qui délaissent leurs ateliers et déferlent vers Neuilly jusqu’à la demeure de Victor Noir lui rendant ainsi un hommage digne d’un souverain. On assiste à des scènes d’hystérie, la foule désirant porter le cercueil, détellent les chevaux tirant le corbillard.
La militante anarchiste et figure majeure de la Commune de Paris, Louise Michel (pas Yolande Moreau actrice dans le film éponyme quoique le clin d’œil soit évident !) rend un dernier hommage à Victor Noir devant la fosse ouverte et, en sa mémoire, décide de ne plus quitter la tenue noire de deuil. C’est elle qui arborera la première le drapeau noir, le popularisant au sein du mouvement anarchiste. Le Second Empire ne survit guère à Victor Noir puisque la République est proclamée quelques jours après la bataille de Sedan en septembre 1870.

Quinze ans plus tard, les restes du martyr de la foi républicaine, sont enfin transférés au Père-Lachaise dans un tombeau payé par une souscription nationale. Pas tout à fait tous les restes, car détail macabre, lors de l’exhumation, le frère de la victime, Louis Noir, profitant qu’on le laisse seul se recueillir un instant, dévisse le couvercle du cercueil et s’empare du crâne le dissimulant dans un panier de fraises des bois. Allez savoir pourquoi, cela me rappelle les savoureuses paroles de Boris Vian chantées par Serge Reggiani, « Arthur … où t’as mis le corps ? » La relique, témoignage d’un fanatique amour fraternel, est conservée sous globe à Bois le Roi avant de rejoindre son propriétaire quelques années plus tard.
La réalisation du monument est confiée à Aimé-Jules Dalou, ancien élève de Carpeaux et « statuaire » de la République, auteur entre autre du groupe monumental en bronze Le Triomphe de la République, place de la Nation à Paris ainsi qu’un hommage à Delacroix dans le jardin du Luxembourg.

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Avec beaucoup de réalisme, Dalou sculpte un gisant de Victor Noir, grandeur nature, allongé sur une dalle, en habit de cérémonie tel qu’il aurait été découvert blessé à mort. La bouche est ouverte et le chapeau a roulé à ses pieds. La chemise est déboutonnée et le pantalon moulant dégrafé laisse deviner une flagrante érection.

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Après l’Histoire et les annales du bac, place aux bacchanales ! C’est maintenant que commence le sulfureux (ou graveleux ou crapuleux, je vous laisse le choix) destin de Victor Noir dont la tombe suscite un culte très singulier au même titre que celle de son presque voisin, l’écrivain Oscar Wilde, recouverte de baisers de rouge à lèvres, et la pierre funéraire de Jim Morrison, le mythique soliste des Doors, constamment protégée des débordements de ses fans par des barrières et un service d’ordre.

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En ce jour où je déambule dans l’avenue transversale numéro deux et la division 92 du cimetière, à la recherche du poète et révolutionnaire Eugène Pottier, auteur des paroles de l’universel chant L’Internationale, je constate de nombreuses allées et venues à proximité du gisant de notre héros journaliste. Une gente essentiellement féminine tourne autour du monument afin de trouver l’angle le mieux adapté et la meilleure lumière pour photographier la protubérance, objet de beaucoup de convoitises !

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L’acte … photographique serait le plus sage car la rumeur colporte que des pratiques susceptibles de choquer les bonnes mœurs auraient cours sur l’endroit stratégique. Cela expliquerait la teinte dorée brillante que présentent la marque suggestive de virilité, les lèvres et les pieds de ce Victor tant chéri, à force d’être « lustrés depuis des lustres ».
Ces effleurements et frottements empressés seraient le fait de jeunes filles et de femmes en mal d’amour ou de fécondité. On dit, mais vous savez bien qu’on raconte tant de choses ma bonne dame, que Victor Noir devait se marier le lendemain du drame et on attribuerait donc les pouvoirs secrets de sa tombe à cet amour. En tout cas, celles dont les vœux sont exaucés, ne manquent pas de fleurir la sépulture du journaliste.
Il y a plusieurs années, un adjoint Verts (de gris ?) de la mairie de Paris, chargé des jardins et cimetières, avait dû rendre des comptes pour pose de barrières autour du gisant éternellement revigoré, à quelques femmes se réclamant d’un « Collectif liberté-égalité-féminité » !
On prétend aussi que l’usure du bronze proviendrait d’un canular d’étudiants facétieux qui, avec la complicité de gardiens et d’un puissant détergent, auraient astiqué les parties dites sensibles.
Un employé de la nécropole que j’ai osé interroger, m’a confirmé pudiquement des agissements que ne désavoueraient pas les cinéastes John B.Root et Francis Ford Coppula, les maîtres du genre.
Qui croire ? Vous savez bien que la légende a le vit dur !!!
Victor Noir ? Blanc, vert de gris, doré !
J’espère que ma balade dans un cimetière n’aura pas heurté vos esprits. C’était une manière ré-jouissante et nullement blasphématoire d’affirmer qu’il existe parfois une vie après la mort !

 

 

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 28 janvier, 2009 |1 Commentaire »

valentin10 |
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