Variations sur le Rat
Je me dépêche avant que l’an chinois 2008 ne s’achève, d’élucubrer sur l’animal héros du calendrier, le rat.
A ce propos, la légende prétend que le Rat chargé par l’empereur de Jade, de convoquer les animaux pour la sélection des signes du zodiaque, oublia volontairement ou pas, d’en informer le chat. Faut-il voir dans cet oubli, l’aversion naturelle que nourrit la gente féline (et qui la nourrit !) envers le malicieux rongeur ?
La rumeur, à savoir si c’est une légende, accuse certains cuisiniers de nos Chinatown, de sacrifier avec trop de zèle, quelques spécimen de leur animal sacré, en les présentant sous forme de ragoût peu ragoûtant dans l’assiette de leurs clients. Diffamation infâmante qui vous coupe la faim ?
Heureusement, cette année, Rémy, jeune rat écartelé entre sa médiocre condition « égoutière » et son rêve de devenir un grand chef français, a réhabilité la profession si j’en crois le vif succès du dessin animé Ratatouille ! Curieux nom pour une grande toque, qui désigne habituellement quand elle n’est pas préparée dans les règles de l’art niçois, un mets peu appétissant ; son apocope rata désignant le repas des poilus de la guerre 14-18.
Le rat qui me préoccupe est le petit mammifère rongeur du genre Rattus et de la famille des muridés. Est donc hors sujet, le jeune élève danseur dit petit rat de l’opéra !
Le rat commun de nos contrées se partage en deux espèces, le Rattus rattus ou rat noir appelé encore rat des champs ou rat des greniers, et le Rattus norvegicus mieux connu sous le nom de rat brun, rat d’égout et surmulot.
A cette distinction scientifique, l’amoureux des vers préfère celle sur laquelle Jean de La Fontaine affabula lors d’un banquet inachevé :
« Autrefois, le rat de ville
Invita le rat des champs,
D’une façon fort civile
À des reliefs d’ortolans.
Sur un tapis de Turquie,
Le couvert se trouva mis,
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête ;
Rien ne manquait au festin ;
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train… »
Le rat des champs trouble mon sommeil par ses intempestifs grattements nocturnes au-dessus de ma chambre, dans la grange de la ferme d’Ariège. Bien que pas norvegicus, c’est de l’analogie au bruit de son grignotage qu’est tirée sa racine étymologique norvégienne ratt. Conséquence de quoi, le paysan lui concocte une pitance « mort-aux-rats » qui lui empoisonne la vie … ainsi que celle des chats et chiens trop gourmands !
Je possède une expérience passionnelle du rat des villes, le rat brun qui a une prédilection pour les habitats humides, les canalisations, le bord des lacs et des rivières. Dans ma jeunesse, à l’issue d’un déjeuner sur l’herbe digne de Renoir, j’entrepris une tendre partie de campagne auprès de ma dulcinée d’alors. Quel ne fut pas mon effroi lorsque je compris, au bout de longues secondes, que c’était un rat d’égout peu dégoûté, qui profitait de mon humeur câline! Imaginez le tableau : « Le rat d’eau du Médusé ». Un vrai naufrage !
En tout cas, j’eus ainsi la confirmation du caractère sociable, affectif et joueur attribué au rat brun, à la différence de son cousin des champs plus disposé à attaquer tout individu qui ne lui plait pas quelle que soit son espèce. D’ailleurs, le rat domestique, celui que vous achetez dans les animaleries, provient de l’élevage en captivité de rats bruns.
« C’est un jeune rat privilégié par la nature, plein de puces, aux oreilles courtes et aux yeux rouges, qui habite le sous-sol d’un pavillon de la viande dans les anciennes Halles de Paris. Nous sommes au printemps 1969 . »
Ainsi commence « Comme des rats », un savoureux roman de mœurs et d’aventures de Patrick Rambaud, contant l’histoire vraie d’une lignée de rats d’égouts à l’ombre de l’église Saint-Eustache. Sous le commandement de leur chef Gaspardino, les rats doivent quitter le navire métallique construit par l’architecte Baltard pour fuir vers Rungis.
L’odorat est le sens prédominant du rat qui reconnaît ses congénères à leur odeur, et son territoire à la senteur de son urine. Doté d’une mauvaise vue, il met donc à contribution ses qualités olfactives dans la quête de sa nourriture. Vous imaginez les chasses dangereuses qu’il entreprend dans le roman pour éviter les « Gros », les forts des halles, et débusquer les belles pièces de bœuf, quitte parfois à se retrouver transi de froid dans une carcasse au fond d’un camion frigorifique.
Le rat absorbe environ quarante grammes de nourriture quotidiennement ; revers de la médaille, il en souille, par ses déjections, dix fois plus la rendant impropre à la consommation. Cela dit, reconnaissons-lui le rôle primordial qu’il joue dans le traitement des déchets humains. A Paris, les rats dévorent huit cents tonnes d’ordures par jour, et en leur absence, les égouts et les canalisations de la capitale seraient constamment bouchés.
Contrairement aux idées reçues, même dans cet univers de détritus, le rat est un animal très propre qui, comme son ennemi le chat, se nettoie plusieurs fois par jour.
Quarante ans plus tard, la réalité dépasse la fiction littéraire puisque chaque nuit, les mêmes bestioles chassées par les travaux dans les catacombes, remontent à la surface et envahissent par dizaines, les quais et les voies de la gare Saint-Lazare. Un agent de la SNCF, mordu par l’une d’entre elles, pourrait avoir été contaminé par la leptospirose, maladie transmise par l’urine du rat. Ce fait divers ne doit pas condamner d’autorité l’animal à une peine « plancher des vaches ». En effet, le rat brun des villes est d’un caractère ordinairement pacifique et n’attaque que s’il est dérangé ou qu’on lui coupe sa retraite (un comble de la part d’un agent de la CGT ou de Sud Rail… mon mauvais esprit déraille !!!).
Tout l’imaginaire légendaire véhiculé autour de la soi-disant férocité du rat, est inspiré par le plus vindicatif Rattus rattus, le rat noir, espèce dominante qui peupla l’Europe depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle et fut le vecteur (mais aussi la victime) des terribles épidémies de peste noire du Moyen Âge.
L’une des légendes les plus célèbres est celle du Joueur de flûte de Hamelin transcrite par les frères Grimm. En l’an 1284, les habitants de la ville allemande de Hamelin auraient promis une prime à un dératiseur pour les débarrasser des rats qui infestaient leur cité. L’homme prit sa flûte et par sa musique, attira les rats qui le suivirent jusqu’à la rivière Weser qui arrose la ville, où ils se noyèrent. Les citadins, bien que délivrés des rongeurs, refusèrent d’acquitter la prime. Le joueur de flûte revint dans la ville quelques semaines plus tard, et tandis que les citadins étaient à la messe, il attira avec son instrument, les enfants de Hamelin jusqu’à une grotte qui se referma derrière eux.
Hugues Aufray en fit une tendre adaptation, Le joueur de pipeau, qui a séduit des générations d’écoliers (les plus grands aussi). L’issue était légèrement modifiée :
« …Tout le village
Dormait paisiblement
Lorsque soudain
On entendit dans le vent
Un doux refrain
Que les enfants
Connaissait bien..
Les p’tits enfants
En chemise de nuit
Cherchaient le vent
Et le pipeau dans la nuit
Ils arrivèrent
A la rivière
Et s’y noyèrent. »
Je sais une adorable enfant qui en attendait impatiemment la fin pour entendre le fracassement du tonnerre !
Jacques Demy adapta également cette légende au cinéma avec la poésie qui traverse beaucoup de ses œuvres.
Dans Nosferatu fantôme de la nuit, le film du cinéaste allemand Werner Herzog, les rats amenés par le comte Dracula, dans des cercueils sur son bateau, ont une valeur métaphorique.
Se propageant dans le pays étranger et y apportant la peste, ils symbolisent l’idéologie nazie qui se répandit dans toute l’Europe et que l’on qualifia même de « peste brune ».
Pour l’anecdote, Herzog avait prévu de tourner ces scènes de rongeurs dans la ville de Delft mais le bourgmestre et ses administrés de la cité des Pays-Bas, encore traumatisés par l’occupation nazie durant le Seconde Guerre mondiale, refusèrent l’invasion de onze mille rats dans les canaux récemment curés. Schiedam, autre ville batave, plus accueillante, accepta cette armée de rongeurs provenant d’un laboratoire de Hongrie. Trop blancs au goût du cinéaste, ils furent teintés en noir. Au bout de quelques jours, une fois la couleur délavée, ils présentaient le ton gris souhaité. Petites histoires du cinéma … mais au final, une œuvre d’un esthétisme à couper le souffle !
Tous les rattus norvegicus n’ont pas le bonheur de connaître telle aventure cinématographique, et beaucoup de ces rats de laboratoires, victimes non consentantes du progrès de la science, sont sacrifiés au nom de la recherche.
Pas ingrats, certains sauvent des vies humaines en détectant les mines antipersonnel à l’odeur du gaz que dégage l’explosif
Proche de l’homme biologiquement, c’est un mammifère comme lui, il a contribué à de nombreuses découvertes dans le domaine des sciences cognitives autour de la mémoire, du rêve, de la dépendance et du comportement social.
Paradoxe, souvent très impopulaire, le rat est considéré comme un animal très intelligent voire pourvu d’humour. Faut-il trouver ici l’origine du rat de bibliothèque, ce lecteur insatiable qui colonise les médiathèques ?
Un ancien collègue inspecteur professeur a même conçu, à travers les aventures d’un petit rat vert facétieux, la méthode Ratus qui permet d’apprendre à lire à de nombreux écoliers du cours préparatoire.
La Fontaine fait souvent appel au rat pour stigmatiser, dans ses fables, le comportement de nos congénères humains. Ecouter Fabrice Luchini réciter et commenter Le Rat qui s’est retiré du monde ou le Conseil tenu par les rats, est un pur régal de théâtre et de littérature… à livrer à la méditation de certains professeurs de Français à l’enseignement un peu aride !
Dans un registre plus léger, il y a une vingtaine d’années, le scénariste Tramber et le dessinateur Jano nous contèrent les aventures hilarantes de Kebra. Pur produit des phénomènes d’urbanisation, à côté des rats des villes et des champs, naissait le rat des banlieues, petit loubard des années 70 … une autre méthode d’apprentissage du verlan !
Omniprésent, le rat s’invite aussi sur les murs. Quel piéton parisien, au détour de ses pérégrinations, n’a pas vu les pochoirs de rats que le graffiteur Blek a posé partout dans la capitale. Aujourd’hui, grâce à son animal fétiche, Blek est reconnu dans le monde entier et appartient à l’histoire du « street art ».
Le rat endosse parfois un costume très péjoratif ; ainsi la ratonnade, fusion de raton et raciste, qualifie une violence physique exercée en bande à l’encontre de personnes d’origine nord-africaine. Tu par les hautes autorités de l’époque, on connaît mieux aujourd’hui l’épisode du 17 octobre 1961 au cours duquel, suite à une manifestation pacifique en faveur de l’indépendance de l’Algérie, la police dirigée par Maurice Papon massacra et jeta en Seine (comme Buridan célèbre pour son âne, rappelez-vous les neiges d’antan !) des dizaines d’algériens, près du pont Saint-Michel. La même nuit, d’autres exactions aussi abominables furent commises dans le bidonville de Nanterre.
De manière plus futile, le ratagasse est dans le jargon cycliste, un coureur qui court en rat, profitant, dans une échappée, du travail des autres sans jamais apporter sa contribution.
Fascinante constatation que voir ce pauvre rat assaisonné à toutes les sauces. « Selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Le rat ne fait pas partie des Animaux malades de la peste, il est vrai qu’il la propage !
Vous devez croire que j’ai des rats dans la tête pour me livrer à ces variations fantaisistes. J’espère juste que vous ne vous serez pas ennuyé comme un rat mort !

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Captivant et très interessant ce chemin dans ce monde de rats…Pas de dératisation pour ton texte encre violette… merci