La bûche de Noël comme chez nous

Déguster la bûche de Noël préparée dans la ferme familiale d’Ariège, est un plaisir attendu qui émoustille les papilles.
Réminiscence des souvenirs de l’enfance et de la cuisine de nos grand-mères, elle constitue un petit bonheur à la manière de la madeleine chère à Marcel Proust. Etrange coïncidence, ces deux pâtisseries se succèdent dans le vieux carnet aux pages jaunies où la maîtresse de maison consigne ses recettes.

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Dans notre époque « bling bling », il est certes des bûches aux textures et aux arômes plus sophistiqués ou au design plus tapageur, mais celle dont je vous parle, possède la simplicité et l’authenticité des plats paysans de cette « terre courage » occitane.
La tradition du gâteau roulé de Noël remonte au XIXe siècle et si j’en crois un récent article paru dans le quotidien La Dépêche du Midi, il aurait été inventé, en 1879, par Antoine Charadot, un pâtissier de la rue de Buci à Paris.
En fait, cette spécialité culinaire reproduit un rite beaucoup plus ancien lié à diverses célébrations du solstice d’hiver telles les feux de joie des celtes. En effet, depuis au moins le XIIe siècle, il était de coutume d’allumer dans l’âtre, lors de la veillée de Noël, une vraie bûche dont la flamme serait un hommage au soleil.

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Le tronc ou la souche, coupés avant le lever du soleil, devaient être suffisamment grands et durs pour se consumer, sinon du 24 décembre à l’Epiphanie, du moins le temps de la veillée dans l’attente de la naissance du divin enfant. Censés garantir une bonne récolte pour l’année suivante, ils étaient choisis, de préférence, dans un bois d’arbre fruitier, symbole de fertilité, comme le cerisier, le noyer, le châtaignier ou l’olivier. Selon les provinces françaises, cette bûche se nomme aussi suche en Bourgogne tronche en Franche-Comté, tréfou dans le Loir-et-Cher, kef Nedeleg en Bretagne, calignaou (bois d’olivier) en Provence.
Tout un cérémonial accompagnait son installation. Décorée de feuillages et de rubans, elle était portée à deux jusqu’à la cheminée puis bénie par le chef de famille, parfois avec de l’huile ou de l’eau-de-vie, souvent avec une branche de buis ou de laurier conservée précieusement depuis les Rameaux. Le rite de l’allumage fluctuait selon les régions et les superstitions. Souvent, il incombait au plus vieux et au plus jeune de la famille. En Provence, auparavant, au seuil de la porte, l’aïeul et le cadet buvaient trois fois du vin en offrande. En Saône-et-Loire, la combustion était surveillée pendant la messe de minuit, par un homme armé d’un fusil pour éviter l’extinction due à un démon malveillant, synonyme d’un futur grand malheur. Dans cette France ancienne fortement rurale, les croyances étaient vivaces. Dans des régions viticoles, on arrosait régulièrement la bûche de sel pour chasser les sorcières, et de vin cuit pour assurer une bonne vendange. Ailleurs, il ne fallait s’occuper du bois qu’avec les mains, aucun instrument ne devant le toucher, ou placer dans l’âtre, autant de bûches que le foyer possèdait d’habitants. Beaucoup d’étincelles embrasant la cheminée promettaient une excellente moisson, l’été suivant, ou un mariage dans la maisonnée ; si la lumière du feu projetait des silhouettes sur le mur, c’était le mauvais présage du décès d’un membre de la famille dans l’année. On conservait les cendres pour se protéger des orages, guérir de certaines maladies ou fertiliser les terres. On promenait aussi la bûche dans le jardin pour éloigner les insectes. Imagine-t-on, de nos jours, dans notre France quoique encore obscurantiste d’une autre manière, deviner à travers la combustion de son insert, l’évolution de la crise économique qui nous secoue ou la résorption du chômage ? Les embûches ne vinrent pas des sorcières éloignées mais de la fée électricité et de la disparition des grandes cheminées remplacées par des poêles en fonte, qui portèrent atteinte à la coutume des bûches brûlées. Dans un premier temps, on imagina un succédané en déposant un modeste tronçon de bois décoré de bougies et de verdure, au centre de la table de Noël. Puis la tradition fut perpétuée avec le délicieux dessert à base de crème au beurre dont la forme rappelle la bûche des âtres d’antan. Ce n’est pas la seule pâtisserie liée au cycle de Noël. Ainsi, en Alsace, le kouglof ou kugelhopf, préparé dans un moule spécial en poterie de Soufflenheim ou Betschdorf, est une brioche qui tire son origine d’une légende prétendant qu’elle fut confectionnée par les Rois Mages pour remercier de son hospitalité, un pâtissier de Ribeauvillé du nom de Kugel.
En Provence, on sacrifie à la fin du souper de Noël, à la tradition des treize desserts, treize comme Jésus et les douze apôtres, « douze assiettes de friandises à base des produits du jardin et du potager et une treizième beaucoup plus belle, remplie de dattes ».
Chez nous, la bûche se prépare la veille de Noël. Bien avant qu’on se lève, la cuisinière enfourne sa pâte génoise puis après cuisson, la laisse reposer, enroulée dans un linge humide. Plus tard, la famille alléchée, assiste à la confection de la crème au beurre parfumée au café ou au chocolat (cette année, c’est café !). A voir leurs yeux écarquillés, certains attendent avec impatience que soit étalée complètement la crème sur la pâte, pour curer le récipient avec le doigt. Encore quelques dessins avec la fourchette pour figurer le lignage du bois et l’objet de toutes les convoitises rejoint le réfrigérateur jusqu’au lendemain.
Quelques instants avant de l’apporter sur la table, la cuisinière orne son œuvre, osons écrire son chef d’œuvre, de quelques attributs, un sapin, une scie, un lutin et sa hache, des baies de houx. Je vous laisse deviner la suite avec un verre de vin moelleux, en l’occurrence, un Pacherenc du Vic-Bilh, vendanges de novembre !

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Le téléphone sonne … une nièce, au travail en ce jour de fête, supplie de lui garder une part ! Elle envisage d’effectuer la recette pour le jour de l’an. Comme ma compagne a, depuis longtemps, assimilé les leçons culinaires de sa maman, la coutume de la bûche de Noël n’est pas prête de se consumer dans la famille.

 


 

Publié dans : Almanach, Coups de coeur, Recettes et produits |le 29 décembre, 2008 |2 Commentaires »

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2 Commentaires Commenter.

  1. le 19 février, 2011 à 10:23 Laurence Le Port écrit:

    Bonjour,

    C’est mon homme (jplp de montourdefrance1959) qui m’a conseillé votre blog.
    Dans le vôtre il fût facile de faire un choix de lecture. Oui, je « zappe », c’est dans l’air du temps. Ou plutôt, je papillonne, ce n’est peut-être pas rigoureusement un synonyme, mais c’est un mot joli à l’oreille, et puis je me représente le papillon qui va de fleur en fleur. Mais je commence déjà à m’égarer.
    Je dois avouer que c’est ce qui m’arrive systématiquement lorsque je vous lis. Vos propos me renvoient à de nombreux souvenirs et pensées. Certains font l’effet de miroir.
    Bûche de Noël comme chez nous. Maman la fabrique aussi, avec une crème au beurre bien riche (225 g de beurre), pour le plaisir de toute la famille. Et elle prend bien soin de tracer des sillons à la fourchette. J’ai pris la relève, mais quelle raison fait que je ne trace pas de sillon ? Depuis quelques années le repas de Noël se termine avec deux bûches : une au chocolat et une au café. Pour mon fils Guillaume, il ne faut pas seulement en réserver une (plusieurs) part(s) : il en mangerait bien tous les dimanches de Noël. J’ai essayé de lui proposer du moka, réalisé avec la même crème, mais il ne l’apprécie pas ! Bizarre …
    L’évocation de cette recette serait un bon point de départ pour une réflexion sur la transmission familiale. Les interwiews de grands cuisiniers montrent souvent que leur vocation prend racine dans la pratique culinaire de mère ou grand-mère.
    Un jour viendra où mon fils (ou sa soeur) devra se mettre au fourneau pour perpétuer cette recette qu’il affectionne particulièrement. M’en fera-t-il la demande, la proposition viendra-elle de moi ? Ou cela ne se fera-t-il pas ?
    Votre blog me « parle » car j’arrive à un âge où je commence à me préoccuper de laisser une trace.
    Je reviendrai prochainement vous rendre visite pour lire attentivement la rubrique « châtaignes ».
    Merci pour ces trésors que vous nous faites partager.

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  2. le 20 février, 2011 à 16:28 encreviolette écrit:

    J’aime beaucoup votre image de papillon venant butiner mes billets-fleurs.
    La bûche que nous évoquons est beaucoup plus délicieuse que celle que prend parfois le cycliste maladroit ou malchanceux . Je ne pense à personne en particulier)!
    Il y a sûrement pas mal d’affect dans nos souvenirs culinaires mais pas uniquement. C’était un temps où souvent plusieurs générations cohabitaient sous le même toit. L’aïeule préparait les repas pour les adultes qui travaillaient. Et c’était tout bénéfice pour nous enfants qui nous régalions.
    Merci pour votre commentaire gratifiant.

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