Mes marchés de Noël en Alsace
Bien qu’y possédant des attaches familiales, depuis plusieurs décennies, je n’avais encore jamais eu l’occasion de me trouver en Alsace à l’époque des marchés de Noël. Depuis quelques jours, cette lacune est comblée.
Cette coutume ancestrale subit malheureusement, elle aussi, les effets de la mondialisation et, victime des dérives commerciales, perd peu à peu son âme. On la retrouve, dévoyée, dans le moindre village de France et à l’étranger, souvent transformée en salon des saveurs et des terroirs. Cependant, c’est en Alsace et en Lorraine que l’on perçoit encore véritablement un peu de l’authenticité de cette chaleureuse tradition.
L’origine du marché de Noël remonte, en Alsace et en Allemagne, au XIVe siècle sous l’appellation de « marché de Saint-Nicolas ». Un document de 1434 fait état d’un « Striezelmarkt » se tenant à Dresde, le lundi précédent Noël.
A la fin du XVIe siècle, la Réforme protestante estimant la célébration de Saint Nicolas, trop païenne, le remplace par le Christkindel, l’Enfant-Christ, qui rappelle le don de Dieu fait aux hommes.
Officiellement, le marché de Noël de Strasbourg remonte à 1570 et le Christkindelsmärik de la place Broglie en constitue le coeur historique tandis que les élégants chalets de bois servant d’échoppes, affluent désormais dans de nombreux autres quartiers de la capitale européenne.
A l’origine, le marché se déroulait la semaine avant Noël. Aujourd’hui, pour des raisons probablement mercantiles, il commence avec l’Avent, période qui débute le quatrième dimanche avant Noël dans les églises utilisant le calendrier romain. Ainsi, les commerçants proposent les couronnes de l’Avent, autre coutume de l’Est de la France. En général, elles sont tressées avec des branches de pin ou sapin, de houx et de gui. Leur forme ronde évoque le soleil et son retour chaque année. Pour les chrétiens, elles symbolisent le Christ Roi et le houx rappelle les épines posées sur sa tête. Suspendues aux portes et fenêtres, elles sont ornées parfois de quatre bougies successivement allumées chaque dimanche de l’Avent.
Vers dix-sept heures, la nuit tombe tôt en Alsace, la féerie s’installe avec les illuminations qui embrasent la ville. Place Kléber, un grand sapin scintille d’étoiles aux couleurs des pays membres de l’Union européenne. A ses pieds, cachés dans un massif rappelant les montagnes vosgiennes, des anges soufflent dans des trompettes.
L’Alsace est le berceau de l’arbre de Noël, le premier aurait été dressé à Sélestat en 1521 tandis qu’il serait apparu à Paris seulement trois cents ans plus tard, en 1837, grâce à la princesse Hélène de Mecklembourg, épouse du duc d’Orléans. On prétend encore que Marie Leszcynska, femme de Louis XV, l’aurait introduit à Versailles, en 1738, sans grand succès. L’influence venue de l’Est , semble incontestable. Cette coutume, née de la fusion de traditions chrétiennes et païennes, trouverait son origine en Allemagne. Selon la légende, Saint Boniface de Mayence, moine évangélisateur du VIIe siécle, voulant convaincre les druides des environs de Geismar que le chêne n’était pas un arbre sacré, en fit abattre un exemplaire qui, dans sa chute, écrasa toute la végétation excepté un jeune sapin. Face à ce miracle, Boniface déclara que ce conifère s’appellerait désormais l’arbre de l’Enfant Jésus et depuis lors, on planta de jeunes sapins pour célébrer la naissance du Christ.
Au XIe siècle, un arbre de paradis, garni de pommes rouges, était dressé lors des Mystères de Noël, scènes jouées sur le parvis des églises pour raconter la naissance de Jésus. Au fil des siècles, le sapin s’enrichit, outre les pommes, d’hosties, de confiseries et de multiples objets plus ou moins symboliques. Au XVe siècle, brille à la cime de l’arbre, une étoile rappelant aux catholiques, celle de Bethléem guidant les rois mages. Deux siècles plus tard, apparaissent les premières illuminations avec, accrochées aux branches, des coquilles de noix remplies d’huile, ancêtres des bougies et guirlandes électriques.
Une pénurie de pommes consécutive à une forte sécheresse, en 1858, aurait amené un artisan verrier de Goetzenbruck, en Moselle, à créer les boules décoratives en remplacement du fruit qui rappelait que sur l’ancien calendrier des saints, le 24 décembre était réservé à Eve et Adam. Depuis une dizaine d’années, le centre d’art verrier de Meisenthal revisite cette tradition des boules de Noël en verre.
Le sapin artificiel est une invention récente mais les strasbourgeois, attachés à la tradition, aiment encore acquérir un spécimen naturel auprès des pépiniéristes installés devant les colonnes de l’Opéra, à l’extrémité de la place Broglie (en Allemagne, c’est sensiblement moitié prix !).
Je me glisse maintenant dans les allées étroites du Christkindelsmärik pas trop encombrées en ce milieu de semaine froid et pluvieux. Les étals sont envahis par les accessoires utiles aux décorations autour et sur le sapin ainsi que par les friandises typiques de cette fête. Signe des temps, quelques stands proposent des objets qui tiennent plus de la foire et la fête foraine que de la tradition de Noël.
Plaisir des yeux lors de ma déambulation sous une voûte d’étoiles bleutées ! Ici, on vend des boules avec des motifs hivernaux et des guirlandes multicolores, là, de jolies répliques en bois de scènes villageoises devant les typiques maisons alsaciennes à colombages. Des pères Noël de toutes sortes tournoient, suspendus à l’auvent des échoppes.
Des santonniers exposent les petits sujets en argile cuite peints ou à peindre qui enrichiront la crèche au pied du sapin . Le « santoun », petit saint en provençal, a de multiples sources d’inspiration, les personnages de la Nativité, les vieux métiers d’autrefois, l’actualité aussi, selon l’esprit créatif du potier. Me reviennent soudain des images de ma jeunesse lorsque mon oncle de Marseille m’accompagna à l’extraordinaire foire aux santons le long de la Canebière. J’avais choisi le moulin de Fontvieille cher à Alphonse Daudet et quelques uns des personnages de ses contes.
Plaisir du palais aussi ; une forte colonie allemande improvise un « kolossal » goûter autour des stands de friandises. Les « bretzels » sucrés ont leur faveur qu’ils arrosent d’un ou plusieurs gobelets de vin chaud dont les effluves de cannelle se répandent dans le marché.
En Alsace, Noël est prétexte à confectionner de nombreuses pâtisseries, en tête de liste, les fameux bredle ou bredele, d’ailleurs un marché leur est exclusivement réservé place d’Austerlitz. Le bredele est un délicieux petit gâteau sucré (en tout cas, moi j’adore !) d’origine très ancienne, qui revêt presque autant de formes et compositions que de familles alsaciennes. L’anisbredele, sablé à l’anis, le schwowebredele, petit gâteau des Souabes, le butterbredele, au beurre, moulé à l’emporte-pièce, sont parmi les plus populaires. L’alsacien s’exclamera « D’Kritchtkingel backt Bredele » devant un flamboyant coucher de soleil d’hiver, les lutins activant le fourneau à en faire rougir le ciel tandis que la Mère Noël prépare ses bredele !
Les épices d’Orient acheminées par le Rhin, dès le XVIe siècle, favorisèrent la fabrication du pain d’épice alsacien qui perdure encore ; le petit village de Gertwiller en est même la capitale. En cette période, il prend la forme de couronne d’Avent, sapin, père Noël, roi mage, vierge, croissant de lune et cœur…
Bien d’autres pâtisseries sont de circonstance comme le lekerle, petit rectangle parfumé au miel et recouvert de sucre glace, le männele, pain au lait en forme de bonhomme, le christstolle, pain très consistant aux fruits secs et épices en forme d’enfant emmailloté que l’on déguste après le 28 décembre en souvenir du massacre des saints innocents à Bethléem.
Pour sacrifier au rite du vin chaud, je préfère la chaleur douillette d’une winstub de la rue Outre en face du restaurant gastronomique d’excellente renommée Au crocodile.
Devant la célèbre maison Kammerzell, un Charlot blanc comme neige donne l’illusion d’être statufié et guette une modeste obole pour agiter sa canne. A quelques mètres, sur le parvis de la cathédrale, quatre Pères Noëls musiciens nous offrent un concert jazzy.
Nous entrons dans le magnifique monument gothique envahi par les touristes, pour admirer la crèche mise en scène de la naissance de Jésus de Nazareth. Surprise, devant la mangeoire de l’étable, Marie et Joseph sont seuls; le quotidien régional Les Dernières Nouvelles d’Alsace ne nous signale pourtant aucun rapt de bébé ! En fait, la tradition veut que le divin enfant n’apparaisse que dans la nuit du 24 au 25 décembre, après les douze coups de minuit.
Non loin de là, sur la droite, Gaspard, Melchior et Balthazar, les trois rois mages en adoration, sont accompagnés d’animaux exotiques, éléphant et dromadaire, leur servant de montures. Dans certains endroits, ils ne trouvent place qu’à l’Epiphanie ; ici, ils se rapprocheront progressivement de l’étable avec leurs offrandes.
Saint François d’Assise aurait créé, en 1223, la première crèche vivante dans son église de Grecchio, en Italie. Peu à peu, cette coutume se répand en Europe, les tableaux vivants étant remplacés par des crèches de figurines. La réforme protestante, réticente devant les représentations figurées, condamne la crèche, lui préférant la tradition du sapin comme symbole de la Nativité ; inutile donc d’entrer dans les temples nombreux en Alsace.
Aujourd’hui, grâce aux santonniers, les crèches ont pénétré les foyers.
Curieuse époque, je relève dans la presse locale que des lycéens musulmans ont refusé l’installation d’une crèche au pied du sapin de leur établissement. Où vont donc se nicher les signes ostentatoires de la laïcité !
Le lendemain, je rejoins quelques villages de la « route des vins » afin de retrouver un peu de la fraîcheur (pas celle du mercure qui s’entête à stagner en dessous du zéro !) des marchés d’antan avant que des cohortes de touristes de la « France de l’intérieur » n’envahissent Strasbourg.
A l’entrée de Zettelberg, petit bourg viticole accroché à une colline, une crèche rappelle les images naïves des livres animés de mon enfance.
A Riquewihr, superbe cité médiévale, nous nous régalons, dans une winstub, les uns d’un baeckoffe, moi d’une choucroute très bien garnie, fleurons d’une « alsacitude » gastronomique. Derrière moi, dans une attendrissante crèche, Marie a accouché avant terme et le petit Jésus a déjà pris place dans son lit de paille.
Je mets à profit l’attente de l’heure entre chien et loup afin de mieux goûter aux illuminations, pour visiter, dans la ville haute, un merveilleux magasin ouvert toute l’année. Son enseigne n’est pas usurpée : « La féerie de Noël ». Dès le seuil franchi, naît l’enchantement mais attention, le cheminement est malaisé dans cette maison labyrinthe et mieux vaut ne pas avoir le profil d’un éléphant dans un magasin de décorations de Noël ! On arpente un mini village alsacien dans son manteau d’hiver ; d’un balcon, on surplombe un sapin enneigé aux ornements scintillants, on traverse une forêt de guirlandes, étoiles et boules, on se glisse entre des tables somptueusement décorées selon des harmonies différentes, on croise des pères Noël, des bonhommes de neige, des anges, dans des postures et des couleurs variées. Vous y trouverez votre bonheur pour les Noëls futurs ; cependant, gare aux prix un peu élevés en ces temps de crise.
Je sors de la boutique pour entrer, presque en face, dans La légende des sorcières, autre prétexte à rêver. A Riquewihr, les sorcières portent bonheur depuis qu’au XVIIe siècle, Marie Wolf qui vivait recluse après la mort de son fiancé soldat, fit fuir l’ennemi, avec ses longs sanglots lors d’une de ses promenades sur les remparts. En effet, « même pas peur » en me faufilant au milieu de ces sorcières pendues au-dessus de ma tête ou assises sur des étagères ! Est-ce fortuit, j’en ai remarqué une au nom de Ségolène mais chacun peut faire broder le prénom de son choix !
Dans la pénombre, les maisons à colombages prennent leur air de fête. Des Pères Noël montent en rappel le long des façades pour atteindre la cheminée. Des ours bruns et polaires se promènent sur le rebord des fenêtres, des cerfs tirent des traîneaux, le temps de l’enfance est revenu.
Il se prolonge, un peu plus tard, à Kaysersberg. Les lumières créent une atmosphère irréelle en se reflétant sur le pavé mouillé de la chaussée. Les petites cours de la vieille ville revêtissent leurs plus beaux atours. Dans une échoppe, nous achetons une bûche plus vraie que nature, constituée de deux serviettes à main couleur chocolat. La petite fille à qui nous l’avons offerte, a bien ri de voir sa maman la déposer dans le réfrigérateur.
Un petit tour dans l’église pour l’incontournable crèche orpheline de l’enfant pas encore né avant de nous réchauffer avec un vin chaud dans (l’ancien) restaurant de Roger Hassenforder, un coureur des tours de France de mon enfance aussi fantasque et facétieux que les joyeux lutins qui ont squatté le lavoir au bord de la Weiss.
Le lendemain, à Strasbourg, j’arpente, une fois encore, les rues étroites de la cathédrale au Christkindelmärik, les sens en éveil, à la découverte d’émotions nouvelles Des enfants glissent sur une patinoire de fortune comme dans un tableau de Brueghel. On rêve encore sur les marchés de Noël en Alsace mais prenons garde de ne pas casser nos jouets à cause d’un mercantilisme outrancier !
