Archive pour octobre, 2008

Georges Brassens à Crespières

Il y a, ce jour, vingt-sept ans, Georges Brassens « cassait sa pipe » légendaire.
Il faudra, sans doute, attendre trois ans et le nombre rond du trentième anniversaire, pour assister au concert de louanges et publications d’ouvrages, CD « best-of » et de chansons inédites ou introuvables, bref toutes ces choses plus mercantiles que sincères. Dans l’un de mes premiers billets (voir 26 décembre 2007), je vous avais emmené au fond de la mythique impasse Florimont, du XIVe arrondissement de Paris, où Brassens connut, entre 1944 et 1966, le temps des vaches maigres puis « les trompettes de la renommée ».
Aujourd’hui, en guise d’hommage, je vous entraîne, à une quinzaine de kilomètres de mon domicile, au fond d’un vallon verdoyant. C’est là qu’en 1958, dans la campagne, entre Crespières et Thiverval-Grignon, petits villages ruraux dans ce qui est encore le département de Seine-et-Oise, il acquiert le moulin de la Bonde, alors désaffecté, pour se soustraire quelque peu à sa notoriété grandissante dans la capitale et recevoir plus confortablement sa « bande de cons », les copains d’abord, à l’étroit à l’impasse.

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Son choix (celui, en fait, de son secrétaire Gibraltar, chargé de la transaction immobilière) prête à sourire car les quelques hectares de prés et de bois qui entourent le domaine, sont limitrophes du camp militaire de Frileuse, réputé pour sa discipline très sévère, où les jeunes recrues effectuent leurs classes avant d’incorporer leur régiment.
Du père anar qui écrivait en 1946 dans la revue Le Libertaire jusqu’au père plus peinard, d’accord pour « mourir pour des idées mais de mort lente », Brassens n’eut de cesse de chanter son irrévérence et sa désobéissance volontaires envers les conventions sociales ainsi que son aversion pour l’hypocrisie de la société
Dans la société mollement consensuelle d’aujourd’hui, il est malaisé d’imaginer que ses couplets antimilitaristes firent grand bruit à leur sortie :

« C’était l’oncle Martin, c’était l’oncle Gaston
L’un aimait les Tommies, l’autre aimait les Teutons
Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts
Moi, qui n’aimais personne, eh bien ! je vis encor …

…On peut vous l’avouer, maintenant, chers tontons
Vous l’ami les Tommies, vous l’ami des Teutons
Que, de vos vérités, vos contrevérités
Tout le monde s’en fiche à l’unanimité

 

De vos épurations, vos collaborations
Vos abominations et vos désolations
De vos plats de choucroute et vos tasses de thé
Tout le monde s’en fiche à l’unanimité … »

Et, lors de ses concerts, des rangs entiers de spectateurs se levaient, outrés qu’on puisse mettre sur un même plan, résistants et collabos.
Semblable incident s’était produit, deux ans auparavant, avec des anciens combattants choqués :

« Depuis que l’homme écrit l’Histoire
Depuis qu’il bataille à cœur joie
Entre mille et une guerr’ notoires
Si j’étais t’nu de faire un choix
A l’encontre du vieil Homère
Je déclarerais tout de suite:
« Moi, mon colon, cell’ que j’préfère,
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit! »

Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis
Que je m’soucie comm’ d’un’cerise
De celle de soixante-dix?
Au contrair’, je la révère
Et lui donne un satisfecit
Mais, mon colon, celle que j’préfère
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit… »

Les querelles se turent peu à peu, Brassens expliquant aux journalistes qu’il fallait bien évidemment dépasser le premier degré et déceler les véritables messages que délivraient ses rimes.
D’ailleurs, Les deux oncles révèlent un pacifisme visionnaire en ce temps-là :

« …Maintenant que vos controverses se sont tues
Qu’on s’est bien partagé les cordes des pendus
Maintenant que John Bull nous boude, maintenant
Que c’en est fini des querelles d’Allemand

Que vos fill ‘s et vos fils vont, la main dans la main
Faire l’amour ensemble et l’Europ’ de demain
Qu’ils se soucient de vos batailles presque autant
Que l’on se souciait des guerres de Cent Ans… »

Le camp de Frileuse existe toujours, occupé désormais par la gendarmerie nationale … autre tête de turc du poète.
Ce matin, je longe le long mur d’enceinte de l’INRA, l’institut national d’agronomie, puis m’enfonce doucement dans le vallon. Je laisse sur la gauche, le hameau du Val des 4 Pignons qui revêtira, plus tard, une importance capitale. Bientôt, la chaussée devenue plane, suit le méandre d’un modeste ruisseau, le Ru de Gally.

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Encore, quelques dizaines de mètres dans un sous-bois clair et … voilà qu’apparaît un long corps de bâtiments aux façades mangées par la vigne vierge encore verte.

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Sur un pignon, une plaque discrète renseigne le curieux.

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Instant d’émotion. J’imagine le « gros » comme aimait le surnommer ses amis quand il acheta ici. C’est d’ailleurs une des raisons qui le poussèrent à se réfugier dans cette campagne pour fuir la vie sédentaire de Paris et faire fondre ses cent dix kilos à travers la rénovation du moulin. Il s’attela, notamment, avec son ami écrivain René Fallet, à détourner et canaliser le cours du Ru de Gally courant dans sa propriété.
En m’élevant sur le coteau, en face, je distingue dans le parc, au bord du ruisseau, un majestueux saule pleureur à défaut du Grand Chêne qu’il débita en rimes :

« Il vivait en dehors des chemins forestiers,
Ce n’était nullement un arbre de métier,
Il n’avait jamais vu l’ombre d’un bûcheron,
Ce grand chêne fier sur son tronc… »

… Grand chên’, viens chez nous, tu trouveras la paix,
Nos roseaux savent vivre et n’ont aucun toupet,
Tu feras dans nos murs un aimable séjour,
Arrosé quatre fois par jour… « 

Georges, qui se partage entre le moulin et l’impasse, s’éloigne complètement de celle-ci lorsqu’en 1966, la célèbre Jeanne, s’éprend et épouse, à soixante-quinze ans, un éthylique de trente ans son cadet.
Dans les années 1965 et 66, des coliques néphrétiques récurrentes, bien plus que les travaux de la campagne, l’amaigrissent au, point que la presse s’interroge et évoque un cancer . Certain journaliste annonce même sa mort à la radio ce qui lui fait répondre, au téléphone, à Fallet, affolé, que « c’est très exagéré » !
C’est ainsi que, jaloux de sa vie privée, pour brocarder ces ragots, il commet son salace « Bulletin de santé » :

« J’ai perdu mes bajou’s, j’ai perdu ma bedaine,
Et, ce, d’une façon si nette, si soudaine,
Qu’on me suppose un mal qui ne pardonne pas,
Qui se rit d’Esculape et le laisse baba.

Le monstre du Loch Ness ne faisant plus recette
Durant les moments creux dans certaines gazettes,
Systématiquement, les nécrologues jou’nt,
À me mettre au linceul sous des feuilles de chou.

 

Or, lassé de servir de tête de massacre,
Des contes à mourir debout qu’on me consacre,
Moi qui me porte bien, qui respir’ la santé,
Je m’avance et je cri’ toute la vérité.

 

Toute la vérité, messieurs, je vous la livre
Si j’ai quitté les rangs des plus de deux cents livres,
C’est la faute à Mimi, à Lisette, à Ninon,
Et bien d’autres, j’ai pas la mémoire des noms.

 

Si j’ai trahi les gros, les joufflus, les obèses,
C’est que je baise, que je baise, que je baise
Comme un bouc, un bélier, une bête, une brut’,
Je suis hanté : le rut, le rut, le rut, le rut ! … »

Sa santé fragile lui suggèrera plus tard, ce bon mot lorsqu’à la question « que signifient pour vous 1968 ? », il répondra « des calculs »… rénaux bien sûr, cloué qu’il était sur son lit de la clinique Jouvenet durant les évènements de mai !
Au moulin, Brassens a probablement écrit de nombreuses chansons ; ce dont on est certain, en tout cas, c’est qu’il y enregistre artisanalement avec Pierre Nicolas à la contrebasse, et trois assistants pour la technique, les deux albums de 1966 et 1969. Imaginez, amis de Georges, que vous écoutez sur votre platine, entre autres chefs d’œuvre, la « non demande en mariage » et la « supplique pour être enterré à la plage de Sète », en différé du moulin de la Bonde !
A Crespières, il honore l’amitié, tous les passagers de ce bateau qui, peut-être, « naviguait en père peinard sur la grand-mare des canards du Ru de Gally ». René Fallet, à l’amitié jalouse et possessive, lui rend visite en semaine pour ne pas croiser les autres, les camarades sétois d’enfance (Eric Battista, athlète champion de France de triple saut et peintre notoire, fit une aquarelle du vallon et du moulin), les copains de Basdorf et du STO en Allemagne, les amis du music-hall et du cinéma. La liste des familiers du moulin, est longue et prestigieuse : Marcel Amont, Guy Béart, Georges Moustaki, Pierre Louki, Boby Lapointe, Fred Mella soliste des Compagnons de la Chanson, Lino Ventura, Raymond Devos, Brel plus épisodiquement. Il n’y a que La Jeanne qui refuse obstinément de quitter Florimont. Ils sont là ce matin dans mes pensées, aux fenêtres de la grande dépendance. Je n’oublie pas Bourvil qui habitait à moins d’une lieue, et est inhumé sur le plateau, dans le joli village de Montainville. Il offrait volontiers les services de son employée de maison pour aider Puppchen, la non-demandée en mariage, à nourrir toute la bande.

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A défaut, les joyeux drilles filent au village, à L’Auberge des Routiers, en bordure de la route qui mène à Saint-Nom-la-Bretèche. Je me souviens y avoir remarqué derrière le comptoir, quelques photographies souvenirs de leurs libations. Un soir de 1966, toute l’équipe du Théâtre National Populaire se retrouva là, après un des concerts où, pendant un mois, Brassens et Juliette Gréco enchantèrent la salle du palais de Chaillot.
Brassens aime aussi à parler philosophie avec le curé de Thiverval-Grignon, l’abbé Marsadon qui dira à sa mort, « non, Brassens n’était pas un bouffeur de curés, il n’aimait pas les cons, c’est tout ! »
Ce temps heureux cesse en 1970, lorsque le terrain jouxtant la propriété est vendu à un promoteur qui entreprend la construction du lotissement du … Val des 4 Pignons !
« 1027 pavillons, ça fait 1027 pelouses donc 1027 tondeuses à gazon, il faut se barrer ! » décrète Brassens qui, du jour au lendemain, quitte Crespières.

« …Il (Le grand chêne) eût connu des jours filés d’or et de soie
Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient ;
Des roseaux mal pensant, pas même des bambous,
S’amusant à le mettre à bout… »

Brassens retourne à Paris, « auprès de son arbre » dans ce XIVe arrondissement où il vécut heureux, achetant bientôt une maison à Lézardrieux en Bretagne.
Le moulin sera vendu en 1976. Entre temps, peu après que Brassens l’eût déserté, des visiteurs indélicats, à plusieurs reprises, se servent, cassent portes et fenêtres, dérobent même radiateurs et compteur électrique, inspirant ces Stances à un cambrioleur :

« Prince des monte-en-l’air et de la cambriole
Toi qui eus le bon goût de choisir ma maison
Cependant que je colportais mes gaudrioles
En ton honneur j’ai composé cette chanson

Sache que j’apprécie à sa valeur le geste
Qui te fit bien fermer la porte en repartant
De peur que des rôdeurs n’emportassent le reste
Des voleurs comme il faut c’est rare de ce temps

 

Tu ne m’as dérobé que le stricte nécessaire
Délaissant dédaigneux l’exécrable portrait
Que l’on m’avait offert à mon anniversaire
Quel bon critique d’art mon salaud tu ferais

 

Autre signe indiquant toute absence de tare
Respectueux du brave travailleur tu n’as
Pas cru décent de me priver de ma guitare
Solidarité sainte de l’artisanat … »

J’ai un faux air de maraudeur, à rôder aux abords de la propriété habitée encore par le souvenir du poète. J’entends les rires du « capitaine » Georges et de « ses matelots, pas des enfants de salauds », assis sur les chaises de jardin défraîchies, au bord du ruisseau.

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Sous la verrière, tout en haut de la dépendance, résonnent les refrains hilarants de Boby Lapointe qui séjourna ici avec son pianiste. Brassens l’adorait et l’associa à plusieurs premières parties de ses concerts. Dans La religieuse qu’il enregistra ici, il commit ce calembour à faire pâlir d’envie, l’ami de Pézenas, orfèvre en cet exercice : « Et les enfants de chœur, branlant du chef, opinent ». Sait-on que Brassens, accompagné de sa guitare, aimait fredonner à ses copains, des chansons paillardes, et avait en projet d’en enregistrer un album avec quelques unes de sa composition. Dans un disque posthume d’inédits, Jean Bertola osa inclure S’faire enc… !
A regret, je quitte ce « p’tit coin de paradis » à forte charge émotionnelle, et rejoins le village distant d’environ trois kilomètres. « Au village, sans prétention, il n’avait pas mauvaise réputation », au contraire même.Il faisait des dons aux œuvres sociales, notamment pour les personnes âgées et les écoles. Il suivait les enterrements, allait boire un verre de prune au bistrot de la Mère Lebourg, s’approvisionnait en tabac pour sa pipe, chez le buraliste. Le monsieur aux gros mots apparaissait finalement très doux, respectueux et aimable.
Que reste-t-il, aujourd’hui, de Brassens à Crespières ? Récemment, des amoureux bénévoles organisèrent un festival Génération Brassens où de jeunes talents et des moins jeunes chantaient les vers du poète. En 2007, l’absence de subventions a mis fin à cette manifestation.
La municipalité a rendu hommage à l’artiste en baptisant de son nom, une rue … d’un nouveau lotissement tel que ceux qui le firent fuir en son temps !

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L’Auberge des Routiers survécut encore quelques années avant de céder la place à un restaurant plus chic que les propriétaires eurent le bon goût d’appeler « Les sabots d’Hélène ».

« Moi j’ai pris la peine
De les déchausser
Les sabots d’Hélèn’
Moi qui ne suis pas capitaine
Et j’ai vu ma peine
Bien récompensée
Dans les sabots de la pauvre Hélène
Dans ses sabots crottés
Moi j’ai trouvé les pieds d’une reine
Et je les ai gardés… »

Quelle n’est pas ma déception, aujourd’hui, de constater que depuis peu, en guise d’enseigne, les tongs d’un restaurant asiatique ont remplacé les sabots !
« L’éternel estivant qui fait du pédalo sur la plage (de Sète) en rêvant, qui passe sa mort en vacances » aurait, aujourd’hui, 87 ans depuis une semaine.
Avec le temps, tout s’en va … chantait l’autre « anar » Léo Ferré. Je vous prouve qu’en ce qui me concerne, il n’en est rien !

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans:Almanach, Coups de coeur |on 29 octobre, 2008 |6 Commentaires »

Boire un petit coup à Montmartre, c’est agréable!

Chaque année, début octobre, la butte Montmartre fête les vendanges. Je vous devine vous gaussant chers lecteurs bordelais, bourguignons ou alsaciens : que viens-je vous « saouler » avec le vignoble parisien ? Et pourtant ! La vigne en Ile-de-France, c’est de l’Histoire très ancienne.
Dès la seconde moitié du IVe siècle, l’empereur romain Julien, qui aime séjourner à Paris, loue le vin produit autour et dans ce qui n’est encore que Lutèce.
Un polyptique, rédigé à la demande d’Irminon, abbé de Saint-Germain-des-Prés, au début du IXe siècle, atteste que cette abbaye possède 3 à 400 hectares de vignes et qu’elle dispose d’environ 6 400 hectolitres de vin pour les besoins de son alimentation et pour la vente. Pas si loin de là, à l’est, l’évêque Nivard crée vers 662, le monastère de Hautvillers et un vignoble que Dom Pérignon, un millénaire plus tard, grâce à sa méthode des petites bulles, rendra universellement connu.
L’abbaye produit des quantités importantes de vin , d’abord pour le service du culte, ensuite, pour la nourriture des moines, fort nombreux à l’époque, et des passants et voyageurs que l’abbé se doit d’accueillir. Ce n’est pas un vignoble de masse mais au contraire, localisé et disséminé sur les pentes des buttes et des coteaux exposés au soleil, à proximité des rivières pour faciliter l’acheminement. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, voit son vignoble, principalement situé au sud de la capitale, mais aussi, vers l’Ouest, sur le Mont Valérien et Suresnes, tandis qu’au nord, l’abbaye de Saint-Denis implante le sien sur les pentes bien exposées des buttes témoins, buttes de Montmorency, de Cormeilles avec le vignoble d’Argenteuil, Belleville, Charonne et … Montmartre.

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Les vins d’alors, n’ont pas la puissance de ceux d’aujourd’hui. Ils titrent fréquemment de 6 à 7 degrés, jamais plus de 10, et ne se conservent pas longtemps ce qui interdit les transports longs. Ce sont des vins essentiellement blancs regroupés sous l’appellation de « vins français » ou « vins de France », c’est-à-dire originaires d’une Ile-de-France plus large que la région administrative actuelle. L’Angleterre est un client privilégié de ces vins dès le début du Xe siècle et le traité de Saint-Clair-sur-Epte qui marque la paix avec les Normands (qui ne connaissent pas encore le camembert !!!). Les vins descendent la Seine jusqu’à Rouen où ils sont alors embarqués sur des navires à destination de l’Angleterre. Henri II accorde même aux bourgeois rouennais, le monopole de l’exportation outre-Manche. Fouillez dans vos souvenirs scolaires, depuis la bataille d’Hastings en 1066, le souverain d’Angleterre est également duc de Normandie.
Le vignoble de Montmartre connaît son essor sous l’impulsion des « dames de Montmartre » et de la reine Adelaïde de Savoie, épouse de Louis VI le Gros, qui crée un monastère de femmes sur le flanc sud de la butte. Les abbesses cèdent en fermages leurs terrains contre promesse d’y planter de la vigne. Elles perçoivent également la redevance de pressoir situé à côté du monastère.
Aujourd’hui, blottie derrière le Sacré-Cœur l’église Saint-Pierre, la plus vieille de la capitale, est le seul vestige de l’abbaye. On peut y admirer la pierre tombale d’Adélaïde ainsi qu’une sculpture très récente de Saint-Vincent, patron des vignerons.

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En ce jour de fête des vendanges, en lieu et place du pressoir du moyen âge, les cuivres de deux alambics fumant, étincellent au soleil d’automne.
Ce matin, quelques costumes baroques du carnaval de Venise, de retour du ban des vendanges dans la Vigne, traversent le parvis de la basilique. La petite fille qui m’accompagne, ne me « lâche pas la grappe » pour me soutirer quelques sous afin d’animer le mime d’un moine revêtu d’une pèlerine immaculée.

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Nous traversons la Place du Tertre envahie par de nombreux touristes qui se laissent parfois croquer le portrait par les « peintres du samedi ». Les terrasses des cafés aux noms souvent évocateurs de l’activité viticole, sont également combles.

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Bientôt, en contrebas des moulins Radet et de la Galette, nous entrons dans un petit restaurant dont le cadre et la cuisine sont aussi attachants que son nom « Lepicurien ».

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Avec l’appauvrissement de leur abbaye, les « dames de Montmartre » se résignent à céder des terrains au bas de la butte où s’installent, à la fin du XVe siècle, des cultivateurs de vignobles aux noms gouleyants de « Clos Berthaud », « La sauvageonne », la « Goutte d’or ».
Le développement de cette viticulture et le fait que le vin soit soumis à des droits d’octroi pour pénétrer dans Paris, multiplient l’ouverture de tavernes et cabarets.. Le vin de Montmartre a une réputation de diurétique et un dicton au XVIIe siècle , prétend « qui en boit pinte, en pisse quarte » (la pinte fait 93cl et la quarte, 67cl) !
Ainsi, le dimanche, les parisiens sortent de la ville et gravissent les coteaux de la butte pour s’encanailler, gambiller et boire le vin clairet, le « guinguet » sous les tonnelles des bals champêtres. Au moulin à vent de la Galette, constitué à l’origine, du moulin du « blute-fin où l’on « blute », tamise la farine, et du moulin Radet, on broie le grain, on presse le raisin avant que son propriétaire n’y ajoute, à la fin du XIXe siécle, une guinguette et un bal passés à la postérité, par Renoir, Toulouse-Lautrec et Van Gogh.
La concurrence des vins méridionaux de bien meilleure qualité, la spéculation immobilière avec l’annexion de la butte à Paris, ainsi que la crise du phylloxera, sonnent bientôt la fin du vignoble de Montmartre. Gérard de Nerval, hôte du château des Brouillards (voir billet du 1er février 2008, Allée des Brouillards, balade montmartroise avec Claude Nougaro), affirmait dans ses Itinéraires, Paris et alentours, « On rencontre même une vigne, la dernière du cru célèbre de Montmartre, qui luttait, du temps des Romains avec Argenteuil et Suresnes. Chaque année cet humble coteau perd une rangée de ses ceps rabougris qui tombe dans une carrière. Il y a dix ans, j’aurais pu l’acquérir au prix de trois mille francs On en demande aujourd’hui trente mille. C’est le plus beau point de vue des environs de Paris. Ce qui me séduisait dans ce petit espace abrité par les grands arbres du Château des Brouillards, c’était d’abord le reste de vignoble lié au souvenir de Saint Denis, qui au point de vue des philosophes était peut-être le second Bacchus… »
L’heure du défilé approche. Chaque année, les vendanges rendent hommage à un artiste ou un art. Ainsi, l’an dernier, la manifestation célébra la mémoire de Georges Brassens qui fréquenta à ses débuts, les cabarets de la butte tels Les Trois Baudets et Le Lapin agile, toujours en activité devant la nouvelle vigne actuelle.

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Il chanta aussi un « vieux bistrot tenu par un gros dégueulasse sur une place dans un coin pourri du pauvre Paris » et le vin :

« Avant de chanter
Ma vie, de fair’ des
Harangues
Dans ma gueul’ de bois
J’ai tourné sept fois
Ma langue
J’suis issu de gens
Qui étaient pas du gen-
re sobre
On conte que j’eus
La tétée au jus
D’octobre… »

La cuvée 2008 fête le septième art. Il est vrai qu’il existe une histoire d’amour entre le cinéma et le dix-huitième arrondissement de Paris. La salle du Gaumont-Palace, la plus vaste au monde à l’époque avec ses six mille places, fut construite en 1911 sur l’emplacement actuel du magasin Castorama et l’hôtel Ibis. Parmi les festivités, est organisée une soirée comme en ce temps-là, avec les actualités filmées, des attractions de music-hall, un documentaire et les réclames avant l’entracte puis le « grand » film en seconde partie. J’ai connu programme identique au cinéma Le Dauphin de mon enfance qui jouxtait l’école familiale.
L’école nationale du Cinéma, la FEMIS, héritière de l’IDHEC, occupe aujourd’hui les studios Francœur où furent tournés des centaines de films.
Vous avez sans doute en mémoire de nombreux plans ayant pour cadre, des rues, bistrots et les célèbres escaliers de la butte, rappelez-vous récemment Le fabuleux destin d’Amélie Poulain.

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Sur l’affiche de la manifestation, devant la façade du Gaumont-Palace, et en arrière-plan de ce qui est probablement Antoine Doinel, adolescent héros récurrent de François Truffaut inhumé à Montmartre, apparaît Claude Lelouch, caméra sur l’épaule. Parrain de la fête, le réalisateur d’Un homme, une femme, cinquante ans de carrière cette année, a posé ses valises depuis longtemps au Moulin de la Galette tandis que sa fille Salomé a pris la relève de la gérance de la salle Ciné13, à l’ombre des ailes du moulin.
Dans le jardin Saint-Pierre, les beaux vignobles du cinéma tiennent stands où l’on peut goûter les vins de Gérard Depardieu, Jean-Louis Trintignant et Pierre Richard. Comment ne pas avoir une pensée pour Jean Carmet, le chantre du Saint-Nicolas de Bourgueil et des « vins de soif ». Dans son journal, parmi ses savoureuses confidences, il conte la dégustation de sa première bouteille de Pétrus offerte par son futur réalisateur de … Mon curé chez les parachutistes !!!
Rassasiés, nous partons à la rencontre du cortège mais, auparavant, nous pénétrons, rue Norvins, dans un ancien château d’eau transformé en temple bachique, le minuscule musée de la Commanderie du Clos-Montmartre, manière originale de « mettre de l’eau dans son vin »! Autour de l’édifice, sont plantés 81 ceps de vignes avec notamment des cépages de gamay, pinot noir et portugais bleu. La Commanderie est une confrérie vineuse, crée en 1983, pour vanter, dans la plus pure tradition, les mérites du vignoble montmartrois.
Un des compagnons en tenue d’apparat aux couleurs de la ville de Paris, bleu et rouge, abreuve chaleureusement … d’informations, les visiteurs qui le souhaitent.

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Je suis ravi de contempler, pour la première fois, en « verre et en bouchon », quelques millésimes anciens de Clos-Montmartre. Chaque vendange produit environ 1700 bouteilles de cinquante centilitres. Aucune n’est commercialisée ; elle sont bues lors de manifestations locales ou vendues aux enchères à des collectionneurs, les recettes finançant les œuvres sociales du dix-huitième arrondissement.

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Parmi les flacons exposés, je remarque aussi une bouteille de … Côtes du Rhône cuvée Bernard Dimey, un enfant de la Haute-Marne qui rejoignit définitivement Paris à l’âge de vingt-cinq ans. Rien d’étonnant donc de retrouver là cet immense poète, trop tôt disparu, qui connaissait « son » quartier de Montmartre comme sa poche et en imprégna toute son œuvre.

« … Et puis y a les souris des rues avoisinantes
Au valseur agressif, au sourire accueillant,
Qui font toujours la gueule et sont toujours contentes,
Qui racontent leur vie en séchant leur coup d’blanc.
Au Lux-Bar on s’retrouve un peu comme en famille ;
L’poissonnier d’à côté, çui qui vend du requin,
Vient y boir’ son whisky parmi les joyeux drilles
Qui ne sont rien du tout, mais qui sont tous quelqu’un.

Les copains du Lux-Bar, les truands, les poètes,
Tous ceux qui dans Paris ont trouvé leur pat’lin
Au bas d’la rue Lepic viennent se fair’ la fête
Pour que les Auvergnats puissent gagner leur pain… »

Le Lux Bar existe toujours au bas de la rue Lepic. Dimey décrivit bien d’autres ambiances de bistrots, ainsi Mouloudji chanta ses vers d’ « Un soir au Gerpil », zinc mythique de la rue Germain Pilon, aujourd’hui débaptisé. Dimey vanta aussi avec infiniment de talent poétique et de tendresse, l’art de vivre l’ivrognerie :

« Ivrogne, c’est un mot qui nous vient de province
Et qui ne veut rien dire à Tulle ou Châteauroux,
Mais au coeur de Paris je connais quelques princes
Qui sont selon les heures, archange ou loup-garou
L’ivresse n’est jamais qu’un bonheur de rencontre,
Ça dure une heure ou deux, ça vaut ce que ça vaut,
Qu’il soit minuit passé ou cinq heure à ma montre,
Je ne sais plus monter que sur mes grands chevaux.

Ivrogne, ça veut dire un peu de ma jeunesse,
Un peu de mes trente ans pour une île aux trésors,
Et c’est entre Pigalle et la rue des Abesses
Que je ressuscitais quand j’étais ivre-mort…
J’avais dans le regard des feux inexplicables
Et je disais des mots cent fois plus grands que moi,
Je pouvais bien finir ma soirée sous la table,
Ce naufrage, après tout, ne concernait que moi… »

Avec une mauvaise foi d’ivrogne, son amour de la butte lui fit écrire que « le seul pont de Paris est le pont Caulaincourt » qui n’enjambe pas la Seine mais le cimetière Montmartre.
Amis lecteurs, si vous ne le connaissez pas, allez vite trinquer ses vers (http://dimey.online.fr). J’ajoute que sa fille Dominique Dimey écrit et chante de savoureuses chansons teintées d’écologie souvent reprises dans les écoles.
C’est l’heure, je choisis d’assister au défilé dans l’étroite rue Saint-Vincent, à quelques mètres de la célèbre vigne actuelle dont les feuilles commencent à prendre leurs teintes automnales.

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Elle est replantée en 1933 sur un ancien jardin d’Aristide Bruant, promis à la convoitise des bétonneurs désireux d’y construire des logements à bon marché. Fort heureusement, sous l’impulsion notamment du dessinateur Francisque Poulbot, une souscription lancée par les artistes et les habitants de la butte permet de couper court au projet immobilier et de créer le square de la Liberté où bientôt renaît la célèbre vigne.
Le Clos a une surface de 1556 m2 et compte près de 1800 pieds de vigne réunissant 27 cépages différents dont les trois-quarts en Gamay, 20% en Pinot, le reste en Merlot, Seibel, Couderc, Sauvignon blanc, Gewurtztraminer, Riesling.

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Voici que battent le pavé, les « petits Poulbots » immortalisés sous les pinceaux de Francisque Poulbot, très attaché à la vie de la butte et de ses enfants souvent défavorisés.
Avec leur tenue d’infanterie de ligne 1813, leur bonnet phrygien et leur pantalon de sans-culotte, ils illustrent le gamin de Paris, malicieux, enjoué, espiègle, digne héritier du Gavroche de Victor Hugo et habitent nombreux refrains de la chanson française, tel Peau aime de Renaud :

« …Sur l’ bras gauche y’ en a un autre :
Un poulbot qui a une gueule d’ange
Et qui joue d’ l’accordéon.
Pis en d’ sous y a mon prénom.
Euh, y’en a qu’ ça dérange ?
Dans l’ dos, j’ voulais faire tatouer un aigle,
aux ailes déployées,
On m’a dit :  » Y a pas la place.
Nan, t’es pas assez carré, alors t’auras un moineau.  »
Eh, y a des moineaux rapaces.
Ça fait marrer mes conneries ?
Laisse béton, j’ démystifie…. »

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Juste derrière, apparaissent, garde-champêtre en tête, les membres de la République de Montmartre, association philanthropique née un soir d’hiver 1920 à l’initiative du dessinateur humoristique Joë Bridge, pour réagir au modernisme sans limites envahissant les arts. Avec leur grande cape noire, leur longue écharpe écarlate et leur couvre-chef en feutre noire et larges bords, ils rendent hommage au célèbre chansonnier et écrivain Aristide Bruant, une des grandes figures des cabarets de « Montmerte » (comme il prononçait souvent » et ailleurs, souvenez-vous du Chat noir, boulevard Rochechouart, au pied de la butte, qui lui inspira ces couplets éternels :

« …Je cherche fortune
Au-autour du Chat Noir
Au-au clair de la lune
A Montma-a-rtre!
Je cherche fortune
Au-autour du Chat Noir
Au-au clair de la lune
A Montmartre le soir!

La lune était moins claire
Lorsque je rencontrai
Mademoiselle Claire
A qui je murmurai :
« Comment vas-tu la belle?
-Et vous ? -Très bien merci!
- A propos me dit-elle,
Que cherchez-vous ici?… »

Clins d’œil politiques voire politiciens, Valery Giscard d’Estaing, alors président de la République, s’essaya à jouer cette rengaine à l’accordéon, pour s’attirer la sympathie des classes populaires ; son successeur François Mitterrand, se contenta de porter souvent en privé, le large feutre noir et l’écharpe rouge !

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Puis, se glissent dans la ruelle, quatre géants du Nord, appelés là-bas « reuzes » ou « gayants », suivis d’une cohorte de masques vénitiens.

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Se succèdent maintenant, toutes les Confréries venues de nombreuses régions de France, honorer la vigne de la butte. Le cousin cidre est même présent avec les Croqueurs de pommes de Cherbourg dans leurs « blaudes et coeffes ».
La petite fille à côté de moi, s’esclaffe au passage des Chevaliers du Taste-Fesses dans la pure tradition gauloise et rabelaisienne.
Entre les confréries, s’intercalent multiples fanfares, les Gilles « Les Copains d’abord » avec leurs bonnets de plumes, les guimbardes bretonnes, des cors des Alpes, « Lous Veilhadours Limousins », percussionnistes et danseurs de capoiera, les Chanteurs de rues de Quintin, bien d’autres encore.
On entonne, c’est de circonstance, « le petit vin blanc qu’on chante sous les tonnelles » de « chez Gégène » à Joinville-le Pont … pontpont ! mais résonnent aussi, puisque Montmartre fête le cinéma, les bandes originales de West Side Story, Pulp Fiction, La Strada et Les Triplettes de Belleville.

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Clou du défilé, « Les Acharnés », un groupe de 80 carnavaleux de Dunkerque, ferment le ban au son des fifres et des tambours. Grands gaillards déguisés en « ma tante », chapeaux fleuris, parapluies multicolores, ils organisent leur « chahut » à chaque coin de rue.

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La petite fille conquise, s’immisce dans le cortège qui remonte la rue des Saules jusqu’à la Place Jean-Baptiste Clément, chansonnier montmartrois et communard, auteur inoubliable du Temps des Cerises. Cet après-midi, c’est le temps des Corons chantés a capella par les amis ch’tis.
Puis, c’est la descente de la rue Lepic jusqu’à la Place des Abbesses où s’achève l’original bal des « non demandes en mariage », clin d’œil bien sûr à Brassens. Après le mariage et le PACS, une nouvelle forme d’union est née à Montmartre pour ceux qui souhaitent être déclarés officiellement, fiancés pour la vie.
Autre pensée aussi pour l’ami Nougaro, montmartrois d’adoption, « je suis saoul, saoul, sous » le Sacré-Cœur. Le bal des confréries et un feu d’artifice sur les marches concluent, la nuit tombée, les festivités.
La fête des vendanges de Montmartre 2008 restera un cru excellent !

 

 


 

 

 

 

 

 

 

Publié dans:Coups de coeur |on 22 octobre, 2008 |2 Commentaires »

19ème festival du film britannique de Dinard

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Pour reprendre le titre d’un livre de 80 recettes issues des œuvres des films d’Alfred Hitchcock, « la sauce était presque parfaite » lors du » rendez-vous 2008 du cinéma britannique, sur la plage de Dinard, face à la Grande-Bretagne » ; malheureusement, l’humeur des sires Eole et Poséidon (dont je vous avais déjà entretenu dans mes billets Sueurs froides à Dinard des 18 mai et 30 juillet 2008) l’a (très) légèrement gâtée.

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Paquets de mer interdisant l’accès à la plage de l’Ecluse, goélands en vol piqué, drapeaux français et britanniques cinglant sous les bourrasques, bref, une atmosphère de circonstance qu’aurait sûrement appréciée le maître du suspense dont une réplique en or récompensera l’œuvre plébiscitée par le jury.

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Foin des litanies météorologiques quotidiennes de « La Feuille du Festival », « averses et éclaircies à prévoir, parapluies recommandés, temps définitivement pourri », je suis là pour voir des films à l’abri des salles obscures.
Le menu est, de plus, très alléchant avec, à déguster en quatre jours, six films en compétition, 17 avant-premières, des documentaires, un hommage à Hugh Hudson, auteur entre autres de Greystoke et Les Chariots de feu, quatre fois oscarisé, ainsi qu’un gros plan sur la romancière Daphné du Maurier dont Hitchcock s’inspira pour réaliser Rebecca et Les Oiseaux.
Dans l’impossibilité de goûter à tous les plats, il s’agit de jongler avec les horaires, les quatre lieux de projection et les files d’attente qui s’allongent d’année en année ; heureusement, le « pass » obtenu en juin, constitue un précieux coupe-file … sous les yeux parfois réprobateurs des spectateurs d’un jour. Suggestion pour les éditions suivantes, pourquoi ne pas combler la France cinéphile qui se lève tôt en programmant des séances dès 8 heures du matin ?
Au final, je verrai quinze films dont, en priorité, les six en compétition officielle. Et, cela commence, dès le jeudi matin, par un coup de tonnerre avec Boy A de John Crowley qui va recueillir une pluie de récompenses en raflant le Hitchcock d’or du meilleur film, le prix décerné par le public, le prix du meilleur scénario et le prix Kodak de la meilleure photo !
Je sais, ce n’est pas drôle, je vous ai déjà dévoilé le palmarès … n’est pas « le maître du suspense » qui veut ! Quoique, vous souvenez-vous du suspense et de la surprise tels que les définissait Hitchcock dans ses entretiens avec Truffaut ?
« Nous sommes en train de parler, il y a peut-être une bombe sous cette table et notre conversation est très ordinaire, il ne se passe rien de spécial, et tout d’un coup, boum, explosion. Le public est surpris, mais avant qu’il ne l’ait été, on lui a montré une scène absolument ordinaire, dénuée d’intérêt. Maintenant, examinons le suspense. La bombe est sous la table et le public le sait, probablement parce qu’il a vu l’anarchiste la déposer. Le public sait que la bombe explosera à une heure et il sait qu’il est une heure moins le quart – il y a une horloge dans le décor ; la même conversation anodine devient tout à coup très intéressante parce que le public participe à la scène (…). Dans le premier cas, on a offert au public quinze secondes de surprise au moment de l’explosion. Dans le deuxième cas, nous lui offrons quinze minutes de suspense ».

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Donc, vous savez que Boy A a effectué une véritable « razzia sur la chnouf » cinématographique (cachée dans les statuettes d’Hitchcock ?) mais à défaut d’une surprise d’une ligne et demie, vous aurez, peut-être une page de suspense ! On retrouve dans ce film, toute la force et l’efficacité du cinéma britannique quand il s’agit de traiter un fait de société, en l’occurrence, ici, la réinsertion de Jack, 24 ans, qui a passé presque toute sa jeunesse en prison pour un crime monstrueux dont il fut l’auteur ou tout au moins le complice. Il s’agit d’un portrait émouvant et subtil de ce jeune qui « souhaiterait montrer à tous qui il fut mais qui est terrifié à l’idée que ce monde-là le détruise s’il le fait ». Bien sûr, face à la « beaufitude » son passé le rattrape, trahi notamment par le fils de son éducateur interprété avec une remarquable humanité par Peter Mullan. Bouleversé, je dépose, sans aucune hésitation, le coupon « j’aime beaucoup » dans l’urne, à la sortie de la salle, qui recueille tous les votes pour l’attribution du prix décerné par le public … vous savez désormais ce qu’il en adviendra.

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En comparaison, The market, road movie d’un petit trafiquant inventif d’une ville de province turque, pour faire du commerce ainsi qu’Helen, portrait d’une jeune fille en passe de quitter son foyer d’accueil et à qui l’on demande de jouer le rôle d’une camarade disparue lors de la reconstitution policière, pêchent un peu par leur manque de souffle et leur côté inachevé.
En soirée, c’est la cérémonie d’ouverture avec la présentation du jury et de son président Lambert Wilson qui n’est arrivé qu’en début d’après-midi et n’a donc pu assister à la projection de Boy A. A ses côtés, pour la France, Valérie Kaprisky, Alice Taglioni, Aïssa Maïga et Arié Elmaleh, pour la Grande-Bretagne, Tara Fitzgerald qui joua dans les Virtuoses et donna la réplique à Hugh Grant dans L’homme qui gravit une colline et redescendit une montagne, Lucy Russell, Rory McCann, acteur dans Alexandre d’Oliver Stone, Nicolas Roeg réalisateur et directeur de la photographie.

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L’ambiance à Dinard, est conviviale. Ici, tout le monde foule le tapis rouge et descend les marches du palais du festival. Quelques fauteuils recouverts d’une housse aux couleurs du drapeau de l’Union Jack, sont réservés aux membres du jury, au milieu du public. Parfois même, quand les horaires le permettent, ils nous demandent si « la place à côté est occupée » pour découvrir quelques unes des avant-premières.

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En cette soirée de gala, hommage est rendu à Hugh Hudson, avec la projection de son film My life so far, « Ma vie jusqu’ici », réalisé en 1999. Il s’agit d’une chronique douce-amère de la vie d’une famille dans un château d’Ecosse autour des années 1920, à travers le regard d’un enfant de dix ans. On y retrouve Colin Firth en père excentrique qui a un coup de foudre pour la délicieuse Irène Jacob, une tante violoncelliste, l’épatante Rosemary Harris en grand-mère bienveillante, un Tcheky Kario aviateur, des chasseurs, des paysans, des joueurs de curling … On passe un excellent moment de détente avec en prime, la présence en chair et en os de Hugh Hudson et Colin Firth. Ce dernier, présenté par le directeur artistique du festival, comme le meilleur acteur britannique actuel, sera la coqueluche des dinardaises de … 17 à 77 ans, pendant les trois jours où il séjournera dans la station balnéaire.

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Vendredi 3 octobre, un temps à ne pas mettre le nez dehors les salles obscures … sauf à la structure gonflable de la salle Hitchcock évacuée en plein milieu de séance pour cause de fuites d’eau ! Au sec, au cinéma Alizés, je prends mon petit déjeuner cinématographique devant la gréve de la faim des prisonniers politiques de l’IRA et leur leader Bobby Sands, lors de leur « Blanket Protest », en 1981, contre la répression thatchérienne, dans leur geôle nord-irlandaise de Maze. Hunger, le premier film de Steve McQueen (rien à voir bien sûr avec Josh Randall), a déjà reçu la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes. Réquisitoire contre l’ineptie des politiques territoriales, poignant plaidoyer en faveur des convictions humaines, il s’agit d’un film universel à la poésie noire, balançant entre cinéma politique et œuvre intimiste. Un très grand film d’un nouveau réalisateur qui a été proclamé « artiste officiel de la guerre en Irak » pour sa collaboration avec les familles de soldats britanniques décédés là-bas.

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Nous nous remettons de nos émotions avec un sandwich à la brasserie du Cancaven ; mon voisin se désespère de l’absence de cornichons avec son jambon de pays !
A complete history of my sexual failures inaugure notre programme de l’après-midi. Sylvie Mallet, présidente du festival, nous met l’eau à la bouche en avouant qu’elle a eu la banane (sic) lors de la projection en vue de la sélection ! Hussam Hindi, directeur artistique, le présente comme un OFNI, objet filmique non identifié, oscillant entre reportage, documentaire voire fiction. Le réalisateur Chris Waitt, se met en scène et, perche de son à la main, en compagnie d’un cameraman, entreprend d’interroger ses ex conquêtes féminines pour comprendre ce qui cloche dans toutes ses relations amoureuses. Cela constitue un autoportrait impudique, loufoque et hilarant ; quelques membres du jury dans mon champ de vision, sont pliés de rire. En conclusion de son enquête, notre héros, clown triste, pour essayer de trouver enfin la cause de ses échecs, après une consommation excessive donc douloureuse de viagra, accoste dans la rue, multiples femmes, y compris une policewoman en exercice ce qui lui vaut un petit séjour à l’ombre. Happy end, le film s’achève avec une jeune journaliste, non disponible aujourd’hui mais… qui lui demande de la rappeler.
Les lumières rallumées, la jeune fille monte sur scène et révèle au public qu’elle vit avec le héros du film depuis trois mois et que … all is perfect ! Et voilà que Chris Waitt avec la même dégaine que dans le film ( son jean n’est cependant pas troué cette fois) apparaît à son tour ovationné par la salle. Plein d’humour, il ne donnera finalement jamais vraiment les clés exactes pour identifier son œuvre. Quoique très difficilement comparable avec Boy A, le cœur léger, je dépose mon « j’aime beaucoup » dans l’urne !
Je sors de la salle pour … reprendre, immédiatement, à l’extérieur, la file d’attente d’une avant-première Shadows in the sun. Il y a une part d’autobiographie du réalisateur David Rocksavage avec ses vacances, loin de la fièvre des Beatles, chez sa grand-mère dans la campagne sur la côte anglaise, à la fin des années 1960. L’image est belle mais je ne suis pas touché par ce mélo … il faut dire que les émotions n’ont pas manqué auparavant.
Et, elles vont resurgir, en fin de soirée, avec le terrifiant Eden Lake. Le réalisateur James Watkins, présent, déclare que la question n’est pas de savoir si le couple en route pour un week-end romantique au bord d’un lac, va y survivre, mais plutôt si nous, spectateurs, allons survivre !!! Annoncé comme un film d’horreur, Eden Lake crée un fort malaise car, en l’absence marquée des codes du genre, on finit par croire plausible le terrifiant acharnement d’une bande d’adolescents sur le couple d’amoureux à la recherche d’un lieu tranquille. Le « lac Paradis » est un horrible cauchemar bien ficelé et mon voisin, celui des cornichons, a le béguin pour Kelly Reilly qui campe une institutrice comme on en a tous rêvé !

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Samedi matin, sortie en boîte avec The Club ! Nous attendons que la salle soit libérée par Lambert Wilson et Alice Taglioni venus en séance privée de rattrapage de Boy A. A la sortie, Lambert, très consensuel, nous confie : « tout est bien, cela dépend de quoi on parle ! ».
Je pense au couple de bourgeois dinardais (pléonasme ?) que l’on a croisé, et qui semble s’offusquer de la multiplication des scénarios autour de la prison et des taulards. Malchance pour eux, The Club décrit le parcours d’un ouvrier déprimé, privé de son fils, à sa sortie de taule, qui retrouve la force de vivre auprès de trois videurs d’une boîte de nuit. En résulte une efficace chronique des années 1980 dans les Midlands sur fond de drogue et violence, avec une bande son à couper le souffle et un quatuor d’acteurs ébouriffant et … ébouriffé par leur tournée des bars dinardais la nuit précédente ! Le brun Shaun Parkes, avec humour, avoue avoir apprécié sa composition en « blond » , tandis que l’athlétique Colin Salmon fait un tabac auprès des festivalières.

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L’après-midi, après un sandwich avec cornichons (!), projection du dernier film en compétition, The escapist, encore une histoire de taulards ! Une remarquable brochette d’acteurs emmenés par Brian Cox, présent dans la salle, portent avec énergie, cette espèce de long épisode de Prison Break. Ce puzzle monté astucieusement, aurait mérité, à mon goût, le prix du meilleur scénario mais … le jury est souverain.

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Le temps de reprendre la queue à l’extérieur et je trouve Colin Firth près de la caisse qui patiente pour présenter en avant-première, Genova de Michaël Winterbottom, déjà lauréat au festival avec Jude, en 1996. Il n’hésite pas à qualifier Winterbottom de meilleur réalisateur britannique actuellement, Ken Loach n’est pas mort pourtant !
Malgré la jolie lumière de la Riviera italienne, je ne me laisse pas émouvoir par cette histoire à trois personnages, le père et ses deux filles, suite au décès de son épouse dans un accident de voiture.
En fin de soirée, « Shane Meadows is back in Dinard town » après son succès ici, en 2004 avec Dead Man’s Shoes, et la projection de This is England, l’an passé.

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Aujourd’hui, avec Somers town, il déçoit quelque peu mais un film de Shane Meadows, même moyen, demeure pétri de qualités. A l’origine, il s’agit d’un projet commandé par la société Eurostar pour constituer une mémoire d’archives en couleurs de ce quartier proche de la gare de Saint Pancras à Londres, où la compagnie emploie de nombreux travailleurs immigrés. Au final, nous obtenons une chronique en noir et blanc d’une jeunesse paumée interprétée par l’excellent Thomas Turgoose qui a fui ses Midlands de This is England. A l’instar de La lettre de Freddy Buache dans laquelle Jean-Luc Godard détourne avec son génie, la commande de l’office de tourisme de Lausanne, l’ami Shane a un peu roulé dans la farine, la société de chemin de fer … mais il faut prendre les sous où ils sont !
Déjà, dimanche ! Dans les travées, le palmarès de la veille, est abondamment commenté … sentiment général, trop de prix pour Boy A !
Encore, trois avant-premières au menu du jour ! Le matin, Adulthood de Noël Clarke qui joue également. Un film de plus sur des taulards et le délicat retour à la liberté ; la vie n’est pas plus simple dehors que derrière les barreaux.

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Le soleil timide est de retour donc sandwich devant la plage de l’Ecluse ! Les oiseaux de mer s’invitent aussi aux festivités ; à ce propos, mon amateur de cornichons, et apparemment, spécialiste des Laridés, me précise que toutes les mouettes que vous admirez en Bretagne, sont des goélands ! Donc … « Vos gueules les mouettes » pour reprendre un « nanar » d’anthologie dans lequel se compromit Pierre Mondy, parrain du festival. En début d’après-midi, projection de The edge of love qui narre une période de la vie de deux couples tiraillés entre amitié et amour sur fond de seconde guerre mondiale. L’un des deux maris est Dylan Thomas considéré comme l’un des plus brillants poètes de langue anglaise du vingtième siècle. Il fut « une de ces âmes insoumises qui approchent trop près du soleil et se sont liquéfiées dans l’alcool ».
Les acteurs sont excellents, les costumes impeccables et la photographie dans la campagne galloise, remarquable. En prime, nous sommes envoûtés par les vers magnifiques de l’immense poète :

«… Ni pour le prétentieux, ignorant
la lune qui fait rage, j’écris
sur ces pages mouillées d’embrun,
ni pour les morts trop hauts
avec leurs rossignols et leurs psaumes
mais pour les amants, leurs bras
enlaçant les chagrins du Temps,
qui n’accordent ni attention, ni salaire
ni éloge à mon métier, mon art morose… »

En anglais, c’est plus déchirant encore !
Une dernière queue devant la salle Bouttet pour voir Flashbacks of a fool, un fou interprété par Daniel Craig dépouillé de son costume de nouveau James Bond. Il campe malgré tout un acteur d’Hollywood à la carrière cahotante, de retour en Angleterre pour les obsèques d’un de ses amis d’enfance. Il arrive en retard comme il le fut sans doute souvent à des moments décisifs de sa vie. La bande son est épatante avec en ouverture du film, l’adaptation anglaise d’une chanson de Brel « Fils de César ou fils de rien, tous les enfants sont comme le tien » ainsi que David Bowie et le lascif « Virginia plain » de Roxy Music qui constitue un moment clé de l’histoire.

Clap de fin sur la dix-neuvième édition du festival du cinéma britannique dont on a constaté encore une fois l’énergique santé avec des sujets sociaux traités avec force et justesse, et interprétés par une kyrielle de brillants acteurs qui excellent aussi dans les seconds rôles. Notre cinéma semble souvent mièvre en comparaison. Pourtant, c’est à la sortie d’une usine que les frères Lumière tournèrent en 1895, ce qui constitue le premier film de l’histoire du cinéma !

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Jacques Brel, 30 ans déjà!

« La pluie est traversière,
Elle bat de grain en grain
Quelques vieux chevaux blancs
Qui fredonnent Gauguin
Et par manque de brise,
Le temps s’immobilise
Aux Marquises. »

Cela fait aujourd’hui trente ans que le temps s’est figé pour l’immense Jacques Brel ; trente ans qu’il nous a demandé de « rire, de danser, de s’amuser comme des fous quand c’est qu’on l’mettra dans l’trou » , tout près du peintre Gauguin dans le cimetière d’Atuona, seul village de l’île d’Hiva-Oa isolée au milieu du Pacifique.
Trente ans, c’est un compte rond pour une commémoration et pour nombreuses opérations commerciales juteuses mais bien moins talentueuses et sincères que le « Grand Jacques » ! Le manuscrit, sur un cahier d’écolier, d’Amsterdam (à l’origine, le titre était Pisser dru!) s’est vendu hier 110 000 euros. Ce sera au moins l’occasion de retrouver l’univers « brélien » et le pays qui était le sien, dans l’édition du DVD de Franz, le premier film qu’il réalisa avec Barbara comme actrice à ses côtés.
J’ai eu l’occasion (voir billet du 16 décembre 2007 « Pagny (dé)chante Brel) de vous conter mes souvenirs de jeunesse à propos du poète et des concerts auxquels j’eus le bonheur d’assister. Aujourd’hui, plus encore qu’à l’habitude, je regarderai avec émotion les pochettes de ses disques vynil et j’écouterai quelques uns de ses merveilleux refrains, « oldies but (tellement) goodies » comme on dit dans la langue de Shakespeare.
Poète, chanteur, comédien, réalisateur mais aussi navigateur et aviateur ; hier, presque par hasard, en me promenant sur les Champs-Elysées, dans le cadre du centenaire de l’industrie aérospatiale française. j’ai admiré le Wassmer Super 421, l’un des deux avions que posséda Brel, construit en bois et en toile.

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Brel disait « je n’aurais jamais été chanteur si j’avais pu être Blériot ». « Quand je ne chante pas, je fais de l’avion, ou j’en rêve. Ce qui est beau, c’est de faire du rase-mottes dans les nuages. On trouve des routes, on suit des avenues, on se perd… »

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Peut-être, allait-il voir d’un peu plus près le Bon Dieu à qui il régla son compte, lui préférant l’homme, dans son dernier disque avec la sublime pochette d’un ciel nuageux bleu tel un message, l’image du paradis des Marquises qu’il avait choisi pour finir ses jours.

« Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu f’rais valser les vieux
Aux étoiles
Toi
Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu allumerais des bals
Pour les gueux

Toi
Toi, si t’étais l’bon Dieu
Tu n’s’rais pas économe
De ciel bleu
Mais
Tu n’es pas l’bon Dieu
Toi, tu es beaucoup mieux
Tu es un homme. »

Brel avait un côté inimitable et nombre de chanteurs se sont cassés les dents à vouloir l’interpréter. Exceptionnellement, je vous invite vivement à écouter la déchirante version de la valse lente du Bon Dieu par son compatriote Arno.
Si tu étais le bon dieu … Jacques Brel aurait 80 ans en avril prochain !

Publié dans:Almanach, Coups de coeur |on 9 octobre, 2008 |3 Commentaires »

La France en miniature

« Petit, petit, petit
Tout est mini dans notre vie
Mini-moke et mini-jupe
Mini-moche et lilliput
Il est mini Docteur Schweitzer
Mini mini ça manque d’air
Mini-jupe et mini-moque
Miniature de quoi j’me moque
Ministère et terminus
Minimum et minibus … »

chantait Jacques Dutronc dans les années yéyé.

Il est un peu plus de midi, ce samedi-là, et je comble le souhait d’une mini fille toute mimi qui aspire à un maxi voyage à travers une France miniature. Rien de plus facile, sans minibus et en un minimum de temps, j’ai, à portée de main, nombreuses curiosités de notre cher pays, à moins d’un kilomètre de mon domicile. Plus de quinze ans que je n’avais pas effectué cette promenade mais vous savez bien que les cordonniers sont les plus mal chaussés et qu’on néglige les avantages proches de chez soi ! Aujourd’hui, une paire de tennis et deux heures suffiront pour une leçon de géographie et d’histoire à ciel ouvert : les 550 000 km2 de notre hexagone concentrés en un parc de 5 hectares avec à nos pieds, 116 répliques au 1/30ème des plus beaux fleurons de notre patrimoine.
Cap sur les Alpes, le sentier est en pente très douce pour, accueillis par les clarines des troupeaux aux estives savoyardes, rejoindre le barrage de Tignes et sa fresque du dieu Hercule, le monastère de la grande Chartreuse et la forteresse de Mont-Dauphin dessinée par Vauban et tout récemment, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Très vite, le charme opère ; défilent à mes pieds les paysages de ma douce France et les souvenirs de mes vacances d’enfance.

« De toutes les routes de France d’Europe
Celle que j’préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du Midi

Nationale Sept
Il faut la prendre qu’on aille à Rome à Sète
Que l’on soit deux trois quatre cinq six ou sept
C’est une route qui fait recette
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d’Paris un p’tit faubourg d’Valence … »

Nous étions souvent cinq avec mes parents, mon frère et un oncle ; sous le ciel azur d’été, nous étions heureux Nationale 7 bordée de platanes, dans la Peugeot 203. Le cœur en fête, nous chantions avec les cigales.

La France en miniature dans Coups de coeur franceminiature1

Cet après-midi, ma ville des Yvelines est un petit faubourg d’Orange et son célèbre théâtre romain. Quelques mètres plus loin, la petite fille malicieuse esquisse un paso doble au son de la musique taurine qui s’élève des arènes d’Arles.

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Puis elle court vers le port de « Saint-Trop », fréquenté par la jet set depuis que dans les années cinquante, une lolita s’y fût installée. Miracle du modélisme, elle aperçoit de l’autre côté du bassin … méditerranéen, une maquette des Corsica ferries cabotant devant sa citadelle corse d’origine.

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Elle est subjuguée par les TGV, michelines, tortillards et wagons de marchandises qui surgissent de-ci de-là entre les buissons comme je le fus autrefois par mon train électrique dans le grenier de mes parents.

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Elle fait peu de cas du pont du Gard mais, par contre, se souvient, juste derrière, du viaduc rouge de Garabit, œuvre d’Eiffel, qu’elle contempla sur une aire de repos de l’autoroute A9.

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Un petit tour en Auvergne puis on se retrouve sur un des chemins de Saint-Jacques en présence de l’église Sainte-Foy de Conques. J’évoque les vitraux modernes de Soulages mais, morale oblige … j’occulte les détails érotiques du pourtant fameux tympan au-dessus du portail !

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Plongée en Occitanie, le temple romain de la Maison Carrée à Nîmes, la citadelle de Montségur, dernier refuge de la résistance cathare, le château de Foix cher à Gaston Phébus, la cité de Carcassonne.

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L’enfant emprunte mon appareil photo pour, sans le secours d’un avion, jouer les Yann Arthus-Bertrand, et prendre « vus du ciel » les moulins du Lauraguais et la cathédrale d’Albi en brique rouge qui étonne par son entrée latérale en forme de baldaquin.

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Non loin de là, la basilique Saint-Sernin de Toulouse, « fleur de corail qui illumine le soir » comme l’a chantée Nougaro.

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Remontée en Val de Loire par les majestueux châteaux de Chambord, Chenonceau et Azay-le-Rideau que Balzac décrivait tel « un diamant à facettes, serti dans l’Indre », puis direction le littoral charentais.

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La Corderie Royale de Rochefort où l’on fabriquait les câbles et les cordages pour la marine, n’évoque pas grand-chose à l’enfant qui, par contre, remarque immédiatement un édifice au large du port de La Rochelle célèbre pour d’autres filles. Inutile de me déguiser en père Fouras, elle a déjà résolu l’énigme, il s’agit de Fort Boyard … sacrée télévision !

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Quand la réalité rejoint la fiction … quelques minutes plus tard, elle croise, par hasard, dans les allées, le nain Passe Partout en promenade avec sa famille ! Dans notre France lilliputienne, tout est longueur de jambes ! … Etonnant non ? comme aurait dit le Monsieur Cyclopède cher à Pierre Desproges !
Une vraie poule d’eau se rafraîchit au pied du phare de Cordouan, le « Versailles des mers ». Guère plus loin, un héron « au long bec et emmanché d’un long cou », tout aussi vrai, côtoie le mini océan atlantique et observe à travers l’onde transparente les mille tours des tanches qui y pullulent. Aussi dédaigneux que le héros de la fable, il s’envole, probablement vers l’étang et la réserve ornithologique situés à deux kilomètres de là.
Encore quelques pas le long d’un sentier en la circonstance douanier, et nous nous retrouvons dans les côtes d’Armor, au Cap Fréhel au-dessus des ruines du Fort La Latte. Dans ce donjon féodal, fut tourné le fameux combat final du film Les Vikings avec Kirk Douglas. Possible descendant de Rollon par ma maman, petite pointe de chauvinisme normand oblige, j’aperçois le Mont-Saint-Michel, sur l’autre rive d’un bras d’eau guère plus modeste que le Couesnon réel qui eut la bonne idée de « mettre le mont en Normandie » !

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« Qu’elle est jolie ma Normandie qui m’a donné le jour » avec le château d’Ô sur pilotis et sa façade, alliance de pierre et de brique (l’histoire sulfureuse éponyme n’a rien à voir avec ce lieu !), avec le Haras national du Pin dans l’Orne, « berceau de races » comme le Percheron, le Pur Sang anglais et le Trotteur français ; on entend même le claquement des sabots. Elle est émouvante aussi avec le cimetière militaire américain de Colleville-sur-mer surplombant la plage du débarquement d’Omaha Beach ; la petite fille commence à dénombrer les croix en marbre de Carrare, elle abandonne bien avant que le compte de 9387 ne soit bon !
Voici, la Picardie de ma « mémé Léontine » illustrée notamment par le château fort de Rambures. Si elle était encore de ce monde, cela aurait été prétexte à de nombreuses considérations généalogiques de sa part.

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L’enfant file plus au sud pour se rallier au panache métallique de la tour Eiffel, visible en tout point du parc. Haute de 10 mètres, pesante de 3,2 tonnes, c’est la seule maquette de ce monde lilliputien que l’on doit observer la tête en l’air.

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A ses pieds, trône le palais de Versailles, côtés cour et jardin. A l’opposé, le château de Vaux-le-Vicomte, le grand rival de Seine-et-Marne, commandé par Nicolas Fouquet, alors surintendant des finances du roi Louis XIV. En 1661, la construction achevée, il organise une somptueuse réception en l’honneur du Roi, en présence d’artistes comme La Fontaine et Molière. Voltaire écrira : « Le 17 août 1661, à six heures du soir, Fouquet était roi de France, à deux heures du matin, il n’était plus rien ». Louis XIV, jaloux, fait arrêter Fouquet par D’Artagnan et le condamne à l’exil tandis qu’il met le château sous scellés et transfère les plus beaux meubles à Versailles qu’il transformera en palais.

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La petite fille, les pieds ballants sur le rebord en prou de l’île de la Cité, souhaite être photographiée devant la cathédrale Notre-Dame de Paris. Rapprochement dogmatique consensuel, l’architecture hispano-mauresque de la Grande Mosquée brille juste à côté.

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L’Arc de Triomphe est un peu écrasé par la soucoupe du Stade de France, théâtre d’un autre triomphe lors de la Coupe du monde de football en 1998. Non loin, sans boulevard périphérique, domine sur un mini tertre, le Sacré Cœur de Montmartre. Familier car visible en tout endroit de Paris, sait-on que finalement, c’est un monument récent puisque érigé à la fin du dix-neuvième siècle.

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En tennis à défaut de sabots, un petit tour par la Lorraine en survol de la fameuse Place Stanislas de Nancy et ses grilles dorées, ensemble urbain souhaité par le duc de Lorraine, au milieu du dix-huitième siècle, pour relier la Vieille-Ville médiévale et la Ville-Neuve.

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Affaire de famille dans le duché de Lorraine, juste à côté, surnommé un peu trop pompeusement le « Versailles lorrain », reconstruit du temps de Stanislas Leszczynski, le château de Lunéville qu’un incendie ravagea en 2003. Une association « Lunéville, château des Lumières » contribue avec bonheur et goût à sa restauration actuelle.

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Un dernier crochet en Bourgogne pour admirer la « colline inspirée » de Vézelay, chère à Barrès, aux confins du Morvan, puis le Clos-Vougeot au milieu de son vignoble dont sera tiré bientôt un remarquable cru vendu notamment aux Hospices de Beaune et ses toits en tuiles vernissées.

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La jeune fille a soif. Rejoignons donc la buvette pour nous procurer une bouteille … d’eau !
Décidément, sous le soleil d’automne, même en miniature, la France est belle par la diversité de ses paysages et la richesse de son patrimoine. Cela donne envie de la sillonner lors de futurs voyages grandeur nature. Peut-être, avec cette petite fille qui, pour l’instant, a filé vers le coin des jeux et escalade jusqu’à son cratère, un impressionnant volcan en toile.

Publié dans:Coups de coeur, Ma Douce France |on 8 octobre, 2008 |Pas de commentaires »

Le vieux cheval

Un vieux cheval, un grand vieux cheval aux dents vertes
En liberté, si l’on peut dire, dans un pré
Nonchalamment fait un festin de touffes d’herbe
Regain jauni, dernier vestige de l’été…

Ce vieux cheval, au demeurant, n’est pas à plaindre
Quand la nuit vient, il dort debout sous un hangar
Il ne sait pas qu’un jour on meurt et ne peut craindre
Le coup mortel d’un assassin de Vaugirard…

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Le vieux cheval reste en deçà de la clôture
Il se souvient qu’un jour il y a déchiré
Sa robe claire, alors le goût de l’aventure
A tout jamais, du fond de lui, s’est retiré…

Son maître vient, il n’a ni chapeau ni cravate
La main ridée caresse les naseaux mouillés
Dans la forêt tombent des feuilles écarlates
C’est un moment de doux silence et de pitié…

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Un double bang, tout à coup, bombarde l’espace
Mais le cheval et son maître n’ont pas bougé
Et l’animal entend qu’on lui parle à voix basse:
«Mon vieux copain, tu vois, les temps ont bien changé…

Les bulldozers viendront cerner nos solitudes
Ils ont pour eux force d’Argent, force de Loi
Je voudrais bien pouvoir crever sans inquiétude
Mon innocent, fais-moi chagrin, meurs avant moi !»…

Jean-Roger Caussimon

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Jean-Roger Caussimon (1918-1985) était un auteur-compositeur-interprète dont le grand talent fut un peu vampirisé par Léo Ferré. Il en fut le parolier contemporain privilégié et lui offrit par exemple les textes des célèbres chansons Comme à Ostende, Monsieur William, Le temps du tango.
Il obtint le Grand Prix du disque de l’Académie Charles Cros en 1970. Il fut également acteur dans de très nombreux films.
Quand il n’était pas à Paris, ce poète au « cœur pur » (comme le titre d’une de ses très belles chansons) aimait se retirer près du Perray-en-Yvelines. Je l’aperçus deux ou trois fois au camping caravaning, en lisière de la forêt de Rambouillet. C’est peut-être là qu’il trouva l’inspiration de ce joli texte libertaire.

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« La poésie de Caussimon n’est pas dans les mots, mais loin derrière, dans le sentiment, peut-être dans quelque chose de pas fini, une brume matinale qui va bientôt se lever comme un rideau sur le spectacle lassant de la journée qui commence. » (Léo Ferré)



Publié dans:Poésie de jadis et maintenant |on 1 octobre, 2008 |4 Commentaires »

La Cipale (Paris XIIème)

« Au bois de Vincennes y a des petites fleurs
Y a des petites fleurs
Y a des copains au, au bois de mon cœur
Au, au bois de mon cœur … »

Ce samedi matin-là, profitant du soleil automnal, j’ai mis le cap vers ce coin de verdure dans l’Est parisien, pour cueillir une aphérèse.
Ne potassez pas votre encyclopédie de botanique, vous n’en trouverez trace nulle part.
L’aphérèse est, en fait, un procédé du français familier consistant à retrancher une ou plusieurs syllabes au commencement d’un mot. Les copains nostalgiques de la « petite reine », l’utilisent en surnommant Cipale, le vélodrome municipal, seule piste en plein air à Paris intra muros puisqu’elle appartient au douzième arrondissement de la capitale.

La Cipale (Paris XIIème) dans Coups de coeur blogcipale1

Il fut baptisé vélodrome Jacques Anquetil à la mort de ce grand champion en 1987. Sa silhouette avec son style profilé incomparable apparaît sur une stèle, à une extrémité de la tribune d’honneur, en haut du virage.

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Bien évidemment, cet hommage comble l’enfant que je fus, admiratif de ses exploits et admirateur inconditionnel (voir billet du 9 juillet 2008, « Le Tour de France, les tours de mon enfance »). Cependant, objectivement, n’y ayant couru que des omniums ainsi que la célèbre Roue d’Or quand elle eut abandonné le tour du lac Daumesnil tout proche, le champion normand est moins attaché à l’histoire du lieu qu’Eddy Merckx qui y remporta ses cinq tours de France. Lors de son premier succès, j’étais dans les gradins, noyé dans une énorme colonie belge qui fêtait la première victoire d’un de ses compatriotes depuis trente ans. Il est vrai que leurs espoirs avaient été déçus, l’année précédente à cause d’un ennemi batave du nom de Jan Janssen qu’Antoine Blondin baptisa avec sa verve coutumière, le « fort de Vincennes ».

« Les fossés se creusent à Vincennes, les écarts et les fosses aussi. On le sait depuis le duc d’Enghien, Mata-Hari et bien d’autres. Le valeureux et malheureux Van Springel l’a appris, hier après-midi, à ses dépens, au coin du bois de Janssen, dans une atmosphère de kermesse et de liesse populaire, où la très belle bataille de la Marne, que s’offraient les meilleurs rescapés du tour de France, allait croissant de la guinguette à la goguette…
On peut regretter, par quelques côtés, la rigueur ordonnée qui faisait plonger naguère, à travers un paysage métallique, l’apothéose du Tour jusqu’à la cuvette aristocratique du Parc des Princes. La familiarité buissonnière de la piste municipale, la vieille Cipale promise par tradition davantage aux papes, tel Faucheux
(le surnom de ce coureur sur piste, était le pape de la Cipale, n.d.l.r), qu’aux princes, convenait cependant admirablement à la conclusion d’une épreuve qui se terminait en meeting, après avoir débuté à Vittel comme un défilé. Un défilé promis à ramener nos honnêtes coursiers régénérés de la pastille stimulante à la ration d’entretien …
Des péniches passaient avec la lenteur d’un rêve du dimanche, lourdes embarcations qui semblaient faire la grasse matinée. L’une d’elles, plus déterminée que les autres, apparut soudain. Elle était, par coïncidence, chargée de bicyclettes et, par prédestination, battait pavillon hollandais. Il n’était dès lors plus permis de douter qu’il s’agissait là d’une péniche suiveuse, d’une péniche technique parée à toute éventualité et que la victoire de Janssen ne pouvait que suivre son cours. »

Nous étions en 1968 … sous le ciment rose du Parc des Princes, non pas la plage mais le boulevard périphérique qu’on commençait à creuser ! Alors, durant sept ans, la Cipale devint le théâtre des arrivées du Tour de France avant qu’en 1975, sur une initiative d’Yves Mourousi, on lui préfére la solennité des Champs Elysées. A l’entrée de la Cipale, un bas relief, érigé d’antan devant l’ancien vélodrome du Parc des Princes, rend hommage aux frères Pélissier, coureurs très populaires entre les deux guerres.

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Henri remporta le Tour en 1923, Charles et Francis gagnèrent plusieurs étapes. Après sa carrière, Francis devint directeur sportif et c’est sous sa direction et le maillot des cycles La Perle, qu’Anquetil effectua des débuts professionnels victorieux dans la célèbre course contre la montre du Grand Prix des Nations. Il fut moins clairvoyant le jour où il déclara qu’il ne pouvait exister de champion cycliste à lunettes ! Janssen cité au-dessus puis Laurent Fignon lui apportèrent de façon posthume, un cinglant démenti… sans évoquer tous ces routiers de maintenant au regard masqué par des hublots fumés !
Henri et Francis sont également, à l’origine de l’expression « les forçats de la route » dont qualifia le grand reporter Albert Londres, les coursiers du Tour de France suite à une interview explosive accordée au Café de la Gare de Coutances, durant l’édition de 1924 :
« – Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France, dit Henri, c’est un calvaire. Et encore, le chemin de croix n’avait que quatorze stations, tandis que le nôtre en compte quinze. Nous souffrons du départ à l’arrivée. Voulez-vous voir comment nous marchons ? Tenez…
De son sac, il sort une fiole :
– Ça, c’est de la cocaïne pour les yeux, ça c’est du chloroforme pour les gencives…
– Ça, dit Ville, vidant aussi sa musette, c’est de la pommade pour me chauffer les genoux.
– Et des pilules ? Voulez-vous voir des pilules ? Tenez, voilà des pilules.
Ils en sortent trois boîtes chacun.
-Bref ! dit Francis, nous marchons à la dynamite …»

Comme quoi, le dopage est aussi vieux que la grande boucle !

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Surprise, je m’’attends à voir un stade et je découvre un restaurant qui a investi l’ancien salon d’honneur du vélodrome. Il jouit d’une certaine renommée et, aux beaux jours, on peut y manger sur une petite terrasse en haut de la tribune, en surplomb de la piste.
Ce matin, aux parfums de cuisine, je préfère les odeurs d’embrocation et je traverse une cour intérieure bordée de vestiaires vétustes. J’imagine qu’ils accueillirent les plus grands champions que le cyclisme ait connus.
Puis, je parviens à l’étroite allée qu’empruntaient les rescapés du Tour de France avant de déboucher sur la piste. Cinq fois, Eddy Merckx, deux fois Luis Ocaña, durent y ressentir des frissons en entendant gronder la liesse de la foule guettant leur entrée.

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A mon tour, je frissonne, me voilà au bord de l’anneau magique sur lequel une dizaine de membres du Vélo Club des Vétérans Parisiens en décousent dans une course à l’américaine, épreuve se disputant par équipes de deux se relayant entre eux, ici à la volée, main dans la main.

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A l’orée du bois, nichée sous les frondaisons, la cuvette dégage un charme indéfinissable par son caractère bucolique: quelques oiseaux dans les tilleuls, quelques encouragements de parents et amis qui se réchauffent sur les gradins ensoleillés d’un virage, une cloche qui tinte pour annoncer le prochain sprint et, surtout le bruissement mélodieux des boyaux sur le ciment !

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A défaut de luxe avec la désuète tribune d’honneur au style kitsch de bois et de ferraille, tout est calme et volupté comme une invitation au voyage dans un temps trop lointain où le cyclisme sur piste avait ses lettres de noblesse. Pour les distinguer des forçats de la route, on affublait, d’ailleurs, les pistards du surnom flatteur d’aristocrates. J’ai le souvenir dans ma prime jeunesse, de légendaires sprinters comme Michel Rousseau, titi parisien au surnom de « Costaud de Vaugirard », l’italien Maspès, le suisse Oscar Plattner. Plus tard, avec Morelon et Trentin, s’acheva l’âge d’or des vélodromes.
Le Grand Prix de Paris de vitesse constituait un « event » mondain comme le demeure encore le Grand Prix d’Amérique au trot attelé sur l’hippodrome voisin. Il est difficile d’imaginer que le Tout Paris avec les femmes en grandes toilettes, prenaient place au bord de la piste dans ce qui faisait office pompeusement de loges !

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Maintenant, l’anneau de ciment qui se dégrade, n’est plus fréquenté que pour les entraînements en plein air des champions de l’INSEP voisin, pour des compétitions de jeunes cadets et juniors … et par nos valeureux vétérans qui, ce matin, vont s’affronter encore dans des courses par élimination ( le dernier de chaque sprint intermédiaire descend de machine jusqu’à ce qu’il ne reste que deux concurrents en lice ).

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J’entreprends d’en faire, à pied, le tour qui développe cinq cents mètres. Devant la tribune principale, c’est le « quartier des coureurs », terme officiel qui désigne l’aire où ils peuvent s’échauffer et se changer. Des vélos dernier cri (rappelez-vous qu’on ne dit pas bicyclette ! voir article du 09/07/2008) attendent d’être chevauchés par leur propriétaire. C’est l’occasion de préciser pour les béotiens de ce sport, que le vélo de piste ne possède ni freins, ni dérailleur, on ne peut donc faire de roue libre.

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Sur une balustrade, accrochés à un cintre, quelques maillots chatoyants rappellent le temps béni des omniums par équipes nationales opposant les champions français, italiens et belges. A l’inverse des modèles routiers, ils ne possèdent pas de poches puisqu’il est inutile d’emmener du ravitaillement. L’industrie textile a beaucoup évolué mais sachez que, dès le début des années 1900, les pistards préféraient, aux tenues de laine de leurs collègues routiers, le confort, l’élégance et la légèreté des maillots de soie … C’était peut-être cela la touche aristocratique.

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En longeant la tribune, surgissent des souvenirs cinématographiques, une foule qui s’entasse sur les gradins grillagés, Monsieur Klein alias Alain Delon emporté par l’inexorable mouvement de foule vers son destin tragique. C’est en effet ici que Joseph Losey reconstitua la tristement célèbre rafle du Vel’ d’Hiv’ des 16 et 17 juillet 1942, au cours de laquelle 12 884 juifs furent parqués dans cette enceinte avant d’être transférés vers Beaune-la-Rolande et Drancy puis les camps de la mort.

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Les stades ont été souvent le théâtre des terribles exactions des dictatures, rappelez-vous par exemple Santiago du Chili.

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Après l’aphérèse de la Cipale, voici une autre fleur de la phonétique, l’apocope (procédé retranchant une syllabe à la fin d’un mot) du Vel’ d’Hiv’ pour nommer le Vélodrome d’Hiver qui se trouvait à proximité du pont de Bir Hakeim et qui disparut en 1958 sous les coups de pioches des promoteurs immobiliers pour édifier notamment un bâtiment du ministère de l’Intérieur ! Malgré quelques tentatives de les relancer au Palais omnisports de Bercy, les épreuves des Six Jours avaient vécu. Je me souviens sur l’unique chaîne de télévision en noir et blanc, de l’ambiance festive sous la verrière de Grenelle à l’occasion de la dernière édition remportée par Anquetil associé à Darrigade et un italien Terruzzi.
Il y eut aussi la « rafle de la Cipale », en 1969, heureusement d’un caractère plus joyeux et puéril, vous connaissez le dithyrambe des journalistes sportifs !
« Soir de rafle » titrait l’hebdomadaire Miroir-Sprint, pour qualifier la razzia de Merckx lors de son premier succès dans le Tour de France. En effet, le champion belge qu’on appela plus tard « le cannibale », outre le maillot jaune, s’attribuait le vert du classement par points, le blanc du combiné, le grand prix de la montagne (les petits pois rouges n’existaient pas en ce temps-là), le prix de la combativité et le trophée par équipes ! A quelques heures d’intervalle, Merckx conquérait la planète vélo tandis qu’Armstrong, Aldrin et Collins effectuaient leurs premiers pas sur la lune.

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Me voici en haut du virage ! L’inclinaison de la pente m’impressionne même si les virages de la Cipale sont relativement peu relevés.

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De temps en temps, un coureur monte à hauteur des balustrades. Comment ne pas tomber ? comment ne pas toucher le ciment avec la pédale droite ? Mystère de la force centrifuge ! Heureux temps des compétitions de vitesse qu’anachroniquement, les deux concurrents entamaient par une séance de lenteur voire de surplace qui pouvait durer un temps indéterminé, sous l’œil gouailleur des gradins populaires saucissonnant..

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Je me retrouve en bas, sur la pelouse, juste au bord de la « côte d’azur », la bande de roulement de couleur bleu azur aménagée, en principe, tout le long du bord intérieur de la piste, ici seulement dans les virages.

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« Les coureurs du samedi » ont fière allure. Leur vitesse est si respectable qu’apeuré à travers le viseur de mon appareil photographique, je m’écarte de la corde. A cet instant, me revient le souvenir d’une arrivée de Tour de France dans l’ancien Parc des Princes, où à la sortie du virage, André Darrigade, en plein sprint, percuta un commissaire qui décéda des suites de l’accident.

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Trois lignes sont peintes sur la piste : à 20 centimètres du bord intérieur, une ligne jaune dite « ligne de mensuration » en principe, numérotée tous les dix mètres ; à 85 cm, une ligne rouge dite « ligne des sprinters » qui réglemente les dépassements ; enfin, à une distance inférieure au tiers de la largeur de la piste, une ligne bleue dite « ligne des stayers », nom donné aux coureurs d’épreuves de demi-fond derrière moto, une spécialité très spectaculaire tombée en désuétude.

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Les manches des courses à l’élimination se succèdent. Les plus jeunes de nos vétérans se « tirent la bourre », les plus anciens qui ont acquis la sagesse, se contentent de s’étirer les jambes, mais, tous ont des yeux pétillants d’enfants heureux avec leur jouet, la Cipale !
Un peu comme moi, gamin, lorsque je m’inventais dans ma cour, des étapes du Tour, ils imaginent des compétitions internationales. Ainsi, la semaine précédente, ils ont organisé un omnium France-Italie ; sur les onze pistards composant la formation transalpine, seulement quatre possédaient des origines dans le pays du « campionissimo » Fausto Coppi ! Les flonflons résonnèrent dans les haut-parleurs du stade comme au temps des kermesses héroïques, et une vibrante Marseillaise retentit même en l’honneur des vrais-vrais français victorieux !
L’un d’eux, se libérant de son survêtement, laisse apparaître un maillot mythique de mon enfance, le gris et orange de l’ACBB, Athlétique Club de Boulogne-Bilancourt, club amateur au passé prestigieux. Je me souviens que j’écarquillais les yeux lorsque l’un de ses sociétaires venait de la capitale, disputer une course locale dans ma Normandie natale !
Un autre me confie ses craintes qu’on brise son jouet dans un avenir proche. Certes, les tribunes sont classées monument historique … mais pas la piste qui se lézarde dangereusement.

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FRANCE - JACQUES ANQUETIL ET EDDY MERCKX

Devant la voracité des promoteurs, qu’adviendra-t-il de cette délicieuse vieille dame qui file cahin-caha vers ses cent quatorze printemps ? Elle aurait pu encore vous égrener un long chapelet de souvenirs, les Jeux Olympiques de 1900 et 1924, l’époque nostalgique où elle offrait sa pelouse à l’équipe de football du Cercle Athlétique de Paris qui terminait dernier de seconde division bon an mal an, sans jamais être relégué… Cet après-midi, ce sont les rugbymen du PUC qui la fouleront.
En sortant, dans les allées, je croise une superbe mariée dans sa longue robe blanche. Métaphore de la petite reine ? Elle a choisi le décor champêtre et suranné de cette bonne vieille Cipale pour les photos des jeunes époux.

Cipale2013blogLa piste inutilisable après sa rénovation en 2012

Les amoureux du cyclisme peuvent aussi consulter les billets suivants :
– Le Tour de France, Tours de mon enfance (9 juillet 2008)
– Les cols buissonniers en Pyrénées : le Menté et le Portet d’Aspet (3 avril 2008)
– La revancharde 2008 (24 juillet 2008)

Par ailleurs, j’ai évoqué un autre stade de légende :
– Le stade de Colombes (6 mai 2008)

Publié dans:Coups de coeur, Cyclisme, Ma Douce France |on 1 octobre, 2008 |6 Commentaires »

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