Balagué, joli village d’Ariège
Dans la perspective du potager de la ferme familiale d’Ariège, s’élève le Pic de l’Estelas qui culmine à 1247 mètres. Ce massif essentiellement forestier constitue un excellent baromètre pour les villageois. Selon que son sommet est dégagé ou noyé dans la brume, selon qu’un manteau de neige recouvre les clairières aménagées en pâturages, le temps sera différent dans le piémont en bordure du Salat.
Sur ce versant, quelques chemins de terre ou sentiers partant de Salège et Francazal en Ariège, de Saleich et Urau en Haute-Garonne, permettent d’y accéder à pied.
Il a fallu que le cinéma vienne planter caméra et projecteurs pour que je découvre qu’au-delà des crêtes, se cachait un petit bout du monde, un minuscule coin de paradis champêtre : Balagué, un des trois villages de la commune de Balaguères avec Alas et Agert, situé à l’extrémité de la vallée du même nom.
Je fis connaissance de ce pittoresque endroit, fin août 1981, en pleins préparatifs du tournage du film Le retour de Martin Guerre, l’histoire d’une usurpation d’identité et de l’un des plus célèbres procès du XVIe siècle qui se déroula dans la réalité à Artigat dans la vallée de la Lèze, non loin de là. Martin Guerre, jeune marié, disparaît un jour de son village pour y revenir douze ans plus tard et s’apercevoir qu’un autre a pris sa place.
Il y a vingt-cinq ans, Balagué, bien que situé à une dizaine de kilomètres de Saint-Girons ville principale du Couserans, offrait le visage archaïque d’une France rurale d’autrefois. Étonnamment, pour les besoins du film, ce fut sans doute la première commune d’Ariège à posséder un réseau électrique souterrain !
Sacrilège architectural, les lauzes sur les toits de la ferme de Martin Guerre, furent remplacées par des ardoises en plastique ! Près de l’abreuvoir, dans un pré, se dressa un miroir qui, bientôt, donnerait l’illusion du bûcher où brûlerait vif l’usurpateur Gérard Depardieu. Dans les granges, d’antiques carrioles attendaient de reprendre un service qu’elles n’avaient d’ailleurs souvent jamais quitté.
Bien évidemment, quelques mois plus tard, je reconnus sur l’écran, les lieux du tournage à travers le filtre des différentes focales de la caméra, ainsi que quelques paysans du cru dans leurs costumes de figurants. Le film connut un incontestable succès populaire intriguant même les américains qui en tournèrent un remake Sommersby sur fond de guerre de Sécession avec Richard Gere et Jodie Foster dans les rôles de Depardieu et Nathalie Baye.
Les feux de la rampe éteints, les autochtones retrouvèrent leur vie agricole ancestrale rythmée par les saisons, juste troublée en été par un afflux nouveau de touristes sous le charme de ce village pittoresque. J’aimais, au temps de la fenaison, voir les attelages de bœufs revenir de la plaine qui, curieusement, ferme le cirque au-delà des habitations. J’écoutais volontiers les discussions en patois occitan de ces aïeux reclus qui ne devaient même pas descendre le samedi jusqu’au marché de Saint-Girons. L’un d’eux me parla de Depardieu qui partageait souvent des « canons » entre les prises de vues, de Nathalie Baye qui répugnait à souiller ses mains de terre ! A mille années lumière de ce monde de paillettes, on dirait aujourd’hui « people », il me questionna sur le contrat du célèbre acteur, avançant avec naïveté, la somme d’un million de centimes, dix mille francs de l’époque. Je me souviens encore de son visage d’une « France de très très en bas » quand je lui affirmai qu’il fallait sans doute multiplier par plusieurs centaines !
Aujourd’hui, nombre de ces gens attachants ont pris leur retraite voire quitté notre monde. Les tracteurs ont remplacé les bœufs. Signe du « progrès », des jeunes agriculteurs ont construit, pour la stabulation libre, quelques hangars à l’esthétique douteuse. À l’inverse, des « étrangers » (ici, on considère comme tel, toute personne non née dans la commune !) ou néo-ruraux ont réhabilité avec goût le patrimoine architectural en voie de délabrement, préservant aussi le calme et la beauté du site.
Pour vous y rendre en voiture, vous empruntez la D618 (appelée naguère « route des grandes Pyrénées ») qui longe le Lez, la route de mes cols buissonniers (voir billet du 3 avril 2008) et vous bifurquez, à hauteur d’Engomer, dans l’impasse de la vallée de Balaguères, pour rejoindre notre havre de paix, au bout de six kilomètres de grimpée sinuant dans la verdure. Auparavant, vous remarquerez un étroit pont de pierre dans la traversée d’Alas puis l’église romane d’Agert avec son clocher-mur traditionnel du coin.
À destination, laissez votre véhicule à l’entrée, pour vous promener au détour des ruelles du village et des prairies environnantes.
Nombre des maisons très typiques, combinaison de pierre et de bois, ont une disposition en L avec une exposition privilégiée vers le sud. Ainsi la cour et les balcons en galerie qui la surplombent, sont protégés des intempéries de l’ouest et du nord. Loggias et galeries non closes, couvertes par la toiture de la maison, servaient au séchage des récoltes vivrières. Souvent fleuries désormais, elles offrent un aspect plus pimpant qu’antan.
Autre curiosité sur les murs de ces maisons, avance fréquemment en encorbellement, un four à pain de forme semi-sphèrique, toujours proche de la cheminée. Constitué de pierre enduite avec un mortier de chaux, il est protégé de la pluie par une mini couverture d’ardoises ou de lauzes. Laissez aller votre imagination olfactive avec, autrefois, l’odeur du pain cuit chaque semaine et celle des croustades les veilles de fêtes.
Des toits, surgissent d’étranges lucarnes dites fenières pour les granges et capucines pour le corps d’habitation, assurant l’accès, l’éclairage ou la ventilation des combles selon les usages.
Balagué s’étire le long d’une rue principale et quelques sentes perpendiculaires. Des chemins de terre courent à la périphérie, permettant l’accès des troupeaux aux prés.
Au début de l’été, la vue est magnifique avec le village ensoleillé au pied de la soulane et, en toile de fond des prairies fleuries d’arbres fruitiers, le Mont Vallier encore enneigé et les sommets du Biros. Aux heures chaudes du début d’après-midi, non troublée par le bruit des tracteurs, la campagne offre une quiétude délicieuse.
Je me retrouve bientôt au bout du village, précisément là où Daniel Vigne choisit de tourner son film. La maison de Martin Guerre inhabitée, sert de remise à des outils agricoles tandis que le foin apparaît à hauteur de la galerie. De vraies ardoises recouvrent à nouveau l’appentis au bout de la cour !
Je m’engage dans l’étroit chemin caillouteux qui mène aux granges et étables derrière la maison. Rien n’a changé ou presque car le délabrement progresse. Ici, un trou béant dans un mur, témoigne de l’existence d’un ancien four à pain ; là, une modeste pancarte propose la vente d’une des ruines. Me reviennent des images pleines de vie du film lorsque les troupeaux et les charrois remplis de foin, se glissaient dans ce passage.
Le silence d’aujourd’hui n’est que leurre car, soudain, la silhouette boitillante d’un vieux paysan réanime l’endroit. Il ouvre la porte brinquebalante d’une étable et mène trois vaches gasconnes au pré contigu. Je le reconnais, nous bavardons quelques instants. Il me révèle que sa fille est propriétaire de la maison de Martin Guerre. Il n’est plus question du contrat de Depardieu mais de l’avenir de moins en moins réjouissant de l’agriculture de montagne.
Je rebrousse chemin et à hauteur du lavoir, je me dirige vers l’église toute proche. Je remarque que quelques maisons très coquettes ont troqué leur vocation fermière pour une reconversion en gîte ou résidence secondaire.
L’église de caractère roman, ferme l’extrémité ouest du village. Un cadran solaire pare son mur sud. Elle est entourée d’un émouvant cimetière d’où l’on jouit d’un point de vue remarquable sur la plaine qui occupe le fond du cirque dont le point culminant est le sommet de Montreich (1251m). Autrefois, avant le remembrement, c’était un maillage de petites parcelles entourées de murets de pierre.
Retour vers le centre du village jusqu’au calvaire, point de départ de la seconde partie de la visite, sans aucun doute plus fatigante pour les citadins non entraînés à la randonnée ! Avant l’effort, vous vous serez rassasié de saucisson à la cendre et de la tomme de montagne fabriquée dans toutes les vallées environnantes.
En face du crucifix, un passionné a ouvert un petit musée retraçant la vie quotidienne d’autrefois, à travers la reconstitution de scènes d’intérieurs. Pour les derniers paysans de souche, c’est presque encore leur vie d’aujourd’hui !
En route maintenant vers les granges de Balagué qui constituent l’autre attrait architectural de cette vallée. L’ascension s’effectue par le sentier emprunté autrefois par les bergers. Bordé de buis, il est empierré et souvent humide à cause des sources qui jaillissent de la soulane et remplissent des abreuvoirs où se désaltéraient les bêtes lors de leur montée à l’estive.
Très vite, en surplomb du village et du cirque, amis photographes, vous pourrez faire des clichés de la vallée, dignes de Yann Arthus-Bertrand.
Bientôt, apparaissent les premières « bordailles », ces granges d’altitude qui avaient pour fonction de stocker le fourrage et abriter les animaux durant la période hivernale. Elles se situaient tout près des prairies de fauche. Le foin était entassé à l’étage par une porte à l’arrière ou sur le côté est du bâtiment à hauteur des chariots. En hiver, les bêtes occupaient le rez-de-chaussée et se nourrissaient du foin qui était jeté d’en haut dans les mangeoires.
Plus haut encore, aux lieux-dits du Sarrat et de Cours, on traverse de véritables hameaux de granges. Certaines sont encore utilisées, d’autres sont en cours de rénovation comme corps d’habitation … dommage que l’une d’elles soit recouverte d’une toiture en tôle ondulée verte probablement fonctionnelle mais bien hideuse !
Sur la ligne de crêtes de l’Estelas, par temps clair, le panorama est superbe : au sud, la vallée de Balaguères et la chaîne des Pyrénées couserannaises, au nord, la vallée du Bas-Salat, le petit village familial tout proche, et le Midi Toulousain.
Au retour, je choisis la voie forestière qu’empruntent les véhicules motorisés pour accéder aux granges. Elle présente moins de charme mais s’achève par la traversée de la vaste plaine puis du « quartier de Martin Guerre ».
A pied, en voiture, en vélo (je l’ai fait !), venez rêver une journée dans cette vallée si proche et si lointaine de la civilisation urbaine, immortalisée par la grâce du septième art.