Le Festival de Lama (Haute-Corse)
Lorsqu’en ferry, on quitte L’Ile-Rousse pour rejoindre la Riviera italienne, on distingue par temps clair, au-delà du rivage de l’Ostriconi, accrochés à la montagne de Balagne, quelques villages perchés ; parmi ceux-ci, Lama qui accueillait fin juillet, pour la quinzième année, le Festival européen du Cinéma et du monde rural. Intrigué par le bouche à oreille élogieux vantant cette manifestation, j’ai souhaité me rendre dans ce minuscule village de Haute-Corse dont on dit « qu’il est rempli des toiles qui se projettent la nuit à ciel ouvert et qui résonnent dans toute l’île comme un écho enchanteur ».
En cet après-midi de chaleur écrasante qui ne décourage pas les cigales de chanter, à un détour de la route pentue sinuant dans le maquis, entre les murettes de pierres, il apparaît bientôt adossé au Monte Astu.
Sur les troncs des oliviers, quelques affichettes annonçant le festival confirment que nous sommes sur le bon chemin.
Nous abandonnons notre véhicule dans le sens de la descente à l’entrée de ce petit bout du monde, en prévision du retour sans doute encombré, et rejoignons à quelques pas de là, un amour de placette, un décor de cinéma, un décor en hommage au cinéma. Allez savoir pourquoi, la lumière corse digne de sa cousine italienne peut-être, le savoureux accent des villageois, je pense immédiatement à Cinema Paradiso.
A gauche, légèrement en contrebas, à l’ombre d’un arbre centenaire, deux tables de camping recouvertes pêle-mêle d’affiches des éditions précédentes du festival et de catalogues de la programmation de cette année ; sur un guéridon, dans une corbeille d’osier, d’appétissantes prunes et grappes de raisin : nous sommes au bureau d’information et d’accueil du festival où, d’ores et déjà, nous réservons nos billets pour la séance du soir.
Pour l’instant, la voix d’un conférencier nous invite à entrer dans le « Stallo », d’anciennes écuries de la maréchaussée aux allures d’église transformées en un magnifique centre culturel qui accueille, outre une exposition permanente de photographies anciennes offertes par toutes les familles du village, les toiles colorées de José Lorenzi. Cet agrégé d’arts plastiques bastiais a participé à de nombreuses manifestations d’art contemporain à travers le monde. A droite, de l’autre côté de la chaussée, des agaves avant et pendant leur étonnante inflorescence, s’épanouissent devant l’église San Lorenzu construite au XVème siècle. A l’intérieur, le maître autel est surmonté d’un baldaquin soutenu par deux colonnes de style toscan. On y admire aussi un tableau daté de 1840, œuvre du peintre italien Begnini … la vie est belle décidément ici !
Derrière l’église, adossé à la nef, le terrain de boules est pour l’instant désert. Seuls quelques autochtones devisent assis à l’ombre d’un mur tapissé de quelques affiches des films projetés cette semaine : Rumba, Gomorra lauréat du récent Festival de Cannes, Le dirigeable volé un film tchèque pour enfants, Versailles l’alléchante errance d’un gamin abandonné avec Guillaume Depardieu, qui sort ces jours-ci sur les écrans nationaux. Fuyant le soleil brûlant, nous nous engouffrons dans l’ombre des ruelles, des passages voûtés et des escaliers de pierres qui mènent vers le quartier haut du village. Lama respire l’authenticité ; ici pas d’échoppes pour touristes, rien que des maisons au charme suranné avec leurs portails de bois et leurs marteaux de bronze, leurs façades mangées par les lauriers et les bougainvillées sur lesquelles s’appuie parfois la meule d’un ancien moulin à huile qui rappelle cette activité florissante durant trois siècles. Les deux guerres mondiales et un immense incendie en août 1971 consumant 35 000 pieds d’oliviers précipitèrent le déclin de cette culture laissant le village exsangue économiquement.
Et puis, surprise, dans ce pittoresque dédale, au détour d’une des sentes étroites et abruptes, apparaît suspendu au mur d’une de ces maisons accotées aux rochers, un écran de cinéma : ici, au lieu-dit Mercatu, c’est le site du festival réservé aux enfants ; assis en tailleur sur les larges marches des escaliers, le regard brillant de joie ou d’émotion, chaque soir, leur cœur bat avec Elsa, la petite fillette fuguant avec un vieux monsieur campé par Michel Serrault à la recherche de l’Isabelle, un merveilleux papillon de nuit, ou encore avec les deux enfants martyrisés par « Folcoche » leur mère dans l’adaptation du roman Vipère au poing réalisée par Philippe De Broca. Pour l’instant, la ruelle résonne juste des accents de quelques villageois acteurs de la vie quotidienne, comme descendus de l’écran à l’instar du subterfuge imaginé par Woody Allen dans La rose pourpre du Caire.
Plus loin, c’est l’Ombria, site destiné au documentaire. En attendant que Raymond Depardon offre la dernière livraison de ses Profils paysans, trois jeunes filles disputent une partie de scrabble acharnée, en plein milieu du chemin.
Tranquillement, nous redescendons vers le boulingrin qui, l’heure de la sieste passée, a trouvé vie. Assis sur un banc de pierre, je me régale des dégaines et des dialogues des boulistes dignes d’un film de Marcel Pagnol. Auprès de moi, un vieux corse qu’on dirait sortir d’un film d’Audiard ou de José Giovanni, sifflote Aznavour, « Viens voir les comédiens qui arrivent » … il n’est que dix-neuf heures, ils n’arriveront qu’un peu plus tard, sur l’écran blanc de la nuit noire.
En attendant, nous rejoignons la fraîche terrasse de l’excellent restaurant du Campu Latinu.Tout en jouissant de la vue sur le village rougi par le soleil couchant, nous nous rassasions d’une savoureuse cuisine méditerranéenne, rafraîchie par un gouleyant rosé de Sartène.
Puis, il est temps de rejoindre, à l’autre bout du village, la Piscine pour plonger … dans l’univers du septième art. Cinéphiles, touristes, curieux, villageois s’y retrouvent la nuit tombée, les yeux vers la toile et les étoiles.
Coïncidence, ce soir, avec Fly me to the moon, on s’envole vers une autre planète. Le scénario subtil du réalisateur belge Ben Stassen, a choisi comme stars, trois mouches qui embarquent discrètement dans le premier vol vers la Lune avec les astronautes Armstrong, Aldrin et Collins. Ce film d’animation utilise la technologie du système 3D qu’on découvre à l’aide de lunettes spéciales prêtées à l’entrée. On nous promet que d’ici dix ans, toutes les salles de cinéma seront équipées pour la vision en trois dimensions. Deux courts clips sont projetés en début de séance, pour vérifier le bon fonctionnement du dispositif. Résultat concluant pour 475 des 480 spectateurs présents, l’organisateur révélant qu’un pour cent de la population ne jouit pas de la vision en relief !!! Frustration évidente car l’effet est saisissant et les sympathiques diptères semblent voleter autour de notre fauteuil. Les nouvelles générations se familiarisent avec la navigation spatiale et l’aventure d’Apollo 11 tandis que les anciennes, nourries aux bandes dessinées alors visionnaires de Tintin, se surprennent à croire en l’odyssée de ces « mouchonautes ». Peu avant la fin du film, le vrai Aldrin vient briser le rêve en affirmant qu’aucun insecte n’a pu l’accompagner dans sa mission. Magie du cinéma ! En me levant de mon siège, je jette un œil vers le ciel constellé d’étoiles. Il manque juste la lune, c’est vrai qu’elle était sur l’écran ! Le public, en file indienne, s’écoule lentement sur le chemin escarpé et peu éclairé qui ramène à flanc de colline, au centre du village. Je pense au prologue de Aguirre ou la colère de Dieu et cet interminable cordon d’indiens accrochés à la vertigineuse montagne andine … Ah, Cinéma quand tu nous tiens ! Cette année, la présidente du jury était Sandrine Bonnaire, une actrice vraie, sincère, modeste et talentueuse comme l’est le Festival de Lama. Venez un jour dans ce minuscule village de montagne qui voit la mer en bas, au fond de la vallée.
