Un dimanche aux estives en Ariège
Lors de la transhumance, je m’étais promis de retrouver les brebis au cœur des estives au cours de l’été. Le temps est venu en ce dimanche d’un mois d’août souvent maussade.
Au petit jour, avec Amédée, parent éleveur d’ovins, nous suivons l’austère vallée du haut Salat encore enveloppée de brume. 6 heures 45, courte halte dans les vieilles rues du village d’Oust ; guidés par une sublime odeur de pain tout frais, nous parvenons devant le « Petit Mitron ». La boutique est encore fermée mais nous accédons au fournil qui regorge d’alléchants pains de campagne qui raviront bientôt le palais des villageois et touristes des vallées environnantes. Provision faite de miches et gros pains longs comme autrefois, nous prenons la direction de Salau, là même où, en juin, j’avais suivi le troupeau pendant quelques kilomètres. Quelques banderoles hostiles au projet de percement d’un tunnel reliant la vallée à l’Espagne, décorent les façades du village encore endormi. Au détour de quelques virages, en levant les yeux, apparaît le sommet de la montagne déjà éclairé par le soleil levant. La journée promet d’être splendide.
Bientôt, nous abandonnons la chaussée goudronnée pour emprunter la route forestière autorisée aux seuls véhicules des chasseurs et bergers. Pendant quelques centaines de mètres, un troupeau d’ânesses nous accompagne jusque non loin de la spectaculaire cascade de Léziou. Un âne d’une autre race, maugrée que notre camionnette dérange son excursion pédestre ; à sa décharge, mon appareil photo en bandoulière n’a rien de pastoral !
8 heures, à l’extrémité du chemin carrossable, le moment est venu de prendre notre bâton de pasteur et de charger sur le dos, notre sac plein de victuailles à partager avec les bergers et éleveurs qui, chaque dimanche selon un roulement bien défini, se rassemblent à l’estive pour soigner le bétail. Les bocaux de cous d’oie et galantines de canard, farcis au foie gras, la tome de montagne et la bouteille de vin ariégeois pèsent dans ma besace ! Amédée s’est alourdi entre autre de quelques boîtes de macédoine de légumes, de 3 kilos de pommes de terre, de tomates et de salades, du gros pain et d’une bouteille de … son eau-de-vie de prune maison ! La mule qui descend chaque semaine pour le ravitaillement du berger permanent et des bêtes, nous aurait été précieuse.
Nous traversons à gué le torrent du Salat dont les rives sont ensoleillées par les pieds de grande gentiane jaune puis commençons l’ascension sous les frondaisons bienvenues du bois de la Lanette. Une demi-heure plus tard, nous sortons des sous bois et découvrons la combe majestueuse de Pouill au-dessous du Port de Salau, crête frontalière avec l’Espagne.
Une gorgée d’eau fraîche du ruisseau, un dernier effort et apparaissent la cabane du berger culminant à 1560 mètres, et, en contrebas, le parc où sont regroupées près de deux mille brebis.
Les bêtes entrent une à une dans un couloir sous l’œil inquisiteur des bergers. Celles qui nécessitent d’être soignées, sont interceptées par l’un d’eux qui les détourne vers un second enclos tandis que les autres pataugent dans une sorte de pédiluve rempli d’eau et de sulfate de cuivre. C’est le « piétain » ou lavage des pattes qui prévient de l’échauffement des membres et des risques de boiterie.
Le spectacle du troupeau s’égayant ensuite sur l’estive verte et rase de la combe ainsi que le concert des sonnailles, est grandiose. En quelques minutes, les brebis, surveillées par les chiens, disparaissent de notre regard par delà les crêtes. Nous ne les reverrons plus de la journée. Il n’est pas rare qu’elles se mélangent aux troupeaux espagnols, improvisant une « pujada » ovine, du nom de cette manifestation qui s’est déroulée le week-end précédent et qui réunit, au sommet du Port de Salau, les Catalans de la vallée du Pallars et les Occitans du Salat pour partager le fromage et le vin de l’amitié entre les deux peuples.
Bergers et éleveurs s’activent maintenant auprès des brebis souffrantes. L’un scie une corne qui menace de blesser sa propriétaire. Deux autres, à l’aide d’une épingle, empêchent une matrice de sortir. Plus loin, on rafistole un collier avec une cloche, qui irrite le cou d’une bête.
On nettoie quelques sabots en coupant des ongles. On extirpe avec une pince à épiler, le pus d’une plaie, véritable nid à asticots, avant de pulvériser un désinfectant dont la couleur bleue souille la jolie toison laineuse.
On combat la « mouche » en tartinant de goudron la plaie pour éviter que l’insecte revienne. Seringue en main, on injecte des doses d’Ivomec et de Duracyklin. A voir leur attitude paisible, les brebis semblent être des patients de bonne composition.
Quelques randonneurs cessent un instant leur progression vers le col, ravis d’assister à la séance des soins. Je reconnais l’âne du matin, rangé à des sentiments plus amènes !
Dans l’azur du ciel, tournent des vautours. Aux jumelles, nous repérons dans un couloir rocheux, la dépouille d’un veau, proie probable des charognards. Dans la semaine précédente, l’ours a également fait des siennes en agressant une brebis.
Je me rapproche de la grange devant laquelle paissent environ quatre vingt vaches et veaux essentiellement de race gasconne. La présence de quelques « normandes » flatte mes origines. Ici, on ne trait pas ; le spectacle des veaux tétant leur mère, est attendrissant.
« Paparazzo » moyennement courageux, je fuis une vache orpheline de son petit, qui n’apprécie que très modérément, d’être photographiée. Je me replie vers une autre qui se désaltère à l’abreuvoir au fond duquel rafraîchissent quelques bouteilles de rosé !
A l’ombre, assis sur un antique banc de pierre adossé à la cabane, je me laisse bercer par le tintement des cloches des bovins qui résonnent dans la combe. Cette symphonie pastorale est si étonnamment mélodieuse que, par instant, on imagine une véritable œuvre musicale.
Maintenant, les bergers devenus vachers, tentent d’isoler du troupeau, un malheureux taureau souffrant sans doute le martyre à cause des plaies causées par la mouche. Une vache un peu coquine aide nos cow-boys ariégeois dans leur entreprise de le conduire jusqu’à l’étable pour qu’ils lui prodiguent les soins nécessaires.
Depuis bientôt trois heures, nos hommes de la montagne n’ont pas chômé un instant, cassant le cliché du berger gardant nonchalamment ses bêtes à l’ombre d’un large parapluie.
Dernière corvée, ils dispersent à la volée, du sel qui donnera encore plus de goût à l’odorante herbe broutée par les bovins.
L’heure est venue d’un repos bien mérité à la cabane. Cette grange équipée de panneaux solaires, offre un confort non négligeable : une petite salle d’eau avec douche et WC, la pièce principale avec évier, plaques de cuisine, réfrigérateur et une mezzanine où dort le berger, enfin une autre pièce où peuvent passer la nuit les pâtres de service et éventuellement quelques randonneurs surpris par le mauvais temps.
Ce midi, toute l’équipe pastorale prend place sur les bancs autour de la grande table que préside Jean, le berger de faction tout l’été. Seul toute la semaine, il est ravi de cette chaleureuse assemblée autour de lui. Faire l’inventaire pantagruélique de tout ce que chacun a apporté vous effraierait ! Tandis que les verres s’entrechoquent pour sabler l’amitié, se répand dans la pièce le fumet d’une délicieuse paella accompagnée de deux poulets rôtis.
La mini chaîne délivre des chants des montagnes pyrénéennes en accord avec l’atmosphère festive qui se prolongera durant l’après-midi.
Plus tard encore, viendra le moment du café et « what else » … du pousse-café et plein de « petits canards » avec la goutte d’Amédée ! Jean, un faux air du chanteur Christophe derrière ses lunettes de soleil, fan absolu de Johnny Hallyday, entonne son requiem pour un fou .
Paco, balai en main en guise de guitare, hurle « toute la musique qu’il aime, elle vient de là, elle vient de Pouill ! ».
Le muscat coule de la coupe remportée lors de la transhumance, aux lèvres des convives auxquels se sont joints deux randonneurs.
A regret, il est temps de reprendre le chemin de la descente, le sac vide, la tête pleine de bonheur. Bientôt, Jean rejoindra en solitaire son troupeau au-delà des crêtes et dormira à la cabane d’en haut.
Merci Jean, Amédée, Paco, Bruno, Georges, Jean-Claude, Roger, André, Joseph, Cindy, que la montagne est belle avec vous !
En bas, nous retrouvons les ânesses ; quelques enfants heureux ont assisté à la traite et goûtent au lait tout frais. Le producteur expose ses produits sur un pittoresque corbillard d’autrefois.
Ironie de la vie, le lendemain, un cruel deuil familial mettra en berne ce magnifique bol d’air en altitude.
Les nuages s’amoncellent également sur le cheptel ovin et bovin avec, au moment où je rédige ce billet, la menace en Ariège de la fièvre catarrhale appelée aussi maladie de la langue bleue. Le coupable est un moustique en provenance des pays exotiques via le sud de l’Espagne, signe du réchauffement climatique. Des mesures prophylactiques sont imposées par arrêté préfectoral. On vaporise sur le dos des bêtes, le long de la colonne vertébrale, du Butox, un insecticide répulsif pour le moucheron qui transmet la fièvre avant de les vacciner contre le virus SéroType1. Heureusement, pour les bêtes en estives, il semblerait que l’altitude les protège du moustique mais qu’en sera-t-il lorsqu’elles redescendront dans les vallées en octobre ?