Le coquelicot
« Le myosotis et puis la rose,
Ce sont des fleurs qui dis’nt quèqu’chose !
Mais pour aimer les coqu’licots
Et n’aimer qu’ça … faut être idiot ! … »
Si cela peut te rassurer, immense et trop méconnu Mouloudji, nous sommes au moins deux idiots. Outre que ta chanson, écrite par Raymond Asso, m’a bercé depuis mon enfance, j’ai aussi une prédilection immodérée pour le coquelicot.
« La premièr’ fois que je l’ai vue,
Elle dormait à moitié nue
Dans la lumière de l’été
Au beau milieu d’un champ de blé.
Et sous le corsag’ blanc,
Là où battait son cœur,
Le soleil, gentiment,
Faisait vivre une fleur :
Comme un p’tit coqu’licot, mon âme !
Comme un p’tit coqu’licot. »
Fleur du mâle, quand, comme dans ces vers, il figure la métaphore d’un sein dénudé d’une femme endormie dans les blés, fleur du mal pour le paysan quand il colonise, au début de l’été, ses cultures.
Etonnant destin que celui de cette fleur, poète des champs, souvent considérée comme une « mauvaise herbe » indésirable, mais n’est-ce pas le lot des poètes d’être d’abord incompris, avant que quelques coups de pinceaux impressionnistes de Claude Monet lui donne le statut d’icône.
Dans les années 1880, chevalet sur l’épaule, Monet battait souvent la campagne vers Vétheuil, non loin de sa propriété de Giverny, pour déposer sur la toile, en un semis de taches colorées, ses cueillettes dans les prairies incandescentes, fort nombreuses en ce temps d’avant l’utilisation furieuse des pesticides. J’ai en mémoire le tableau sublime d’un petit vallon mélancolique au fond duquel se cache un champ rectangulaire de coquelicots ; peut-on retrouver aujourd’hui tel havre de quiétude ?
Je possède une œuvre infiniment plus modeste (un Monet s’est vendu 51 millions d’euros, il y a quelques jours à Londres !) mais d’une émouvante charge affective : un de ces dimanches où mes parents, à la retraite, aimaient sillonner la campagne du Pays de Bray ; il est 15h 50 à la montre au poignet gauche de ma maman ; dans son fin gant de soie, elle tient un bouquet surgi d’une mer de coquelicots, qui, encadré à un mur de mon domicile, ne fanera jamais.
Au bout de sa longue tige (jusqu’à 80 cm de hauteur), le coquelicot dodeline ses pétales écarlates au-dessus des moissons telle la crête d’un coq. De cette comparaison d’ailleurs, serait né son nom au XVIème siécle : cocorico, coquerico, coquelicoq et enfin coquelicot !
Les anglais l’appellent corn poppy, pavot des maïs, et field poppy, pavot des champs. Il devient rosolaccio ou papavero en italien, amapola en espagnol.
Son nom latin est Papaver rhoeas, du celtique »papa » qui désigne la bouillie des enfants à laquelle on ajoutait du suc de coquelicot pour les faire dormir, et de Rhéa, la divinité antique de la terre matricielle et sauvage.
Il appartient à la famille des Papavéracées ou pavots au même titre que son cousin oriental le Papaver somniferum utilisé depuis des temps anciens pour la fabrication de l’opium, ainsi que l’oeillette, répandue dans le nord de la France pour son huile. Il est souvent confondu avec le pavot dubium ou pavot douteux aux fleurs plus claires, et le pavot hybridum dont les pétales foncés portent des taches noires à leur base.
Le coquelicot est une plante annuelle, c’est-à-dire qu’il effectue son cycle de développement en une seule saison de mai à juillet, avec une fine tige peu ramifiée et hérissée de poils raides, et des feuilles étroites et pennées. Ses fleurs possèdent quatre pétales rouges un peu froissés qui se recouvrent partiellement et des étamines dont les extrémités ou anthères sont noir bleuté. Les fruits sont des capsules, à ne pas confondre avec les boutons de la fleur, contenant plusieurs milliers de graines, facilement disséminées par le vent, ce qui explique certaines explosions démographiques.
Plante dite « messicole » (qui peuple les moissons), bannie des champs ou rejetée à leur périphérie par l’agriculture intensive, le coquelicot est devenue fleur de banlieue et a obtenu droit dans les cités sur les sols pauvres et caillouteux des terrains vagues, en bordure des voies ferrées et des autoroutes. Juste retour des choses de la nature, il squatte de nouveau, friches et jachères, témoignages récents d’une France agricole en déclin. Félicitons-nous qu’avec les bleuets et les papillons, ils redonnent un air de fête à ces espaces moribonds.
Les pays du Commonwealth l’associent au souvenir des combattants tombés lors de la première guerre mondiale pour gagner cette liberté dont elle est éprise. Elle est le héros du poème In Flanders Fieds, écrit au printemps 1915 par le lieutenant-colonel John Mac Crae, médecin du corps de santé royal canadien, présent sur les champs des terribles batailles de la Somme et des Flandres où fleurissaient les coquelicots :
« Au champ d’honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix ; et dans l’espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement des obusiers …
… A vous jeunes désabusés
A vous de porter l’oriflamme
Et de garder au fond de l’âme
Le goût de vivre en liberté
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d’honneur. »
Comment ne pas rapprocher ce poème du Dormeur du val que nous apprîmes au collège, même si le soldat d’Arthur Rimbaud a les pieds dans les glaïeuls :
« C’est un trou de verdure, où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent; où le soleil, de la montagne fière,
Luit: c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert ou la lumière pleut…
… Les parfums ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Et ainsi, la métaphore du coquelicot et du sang nous ramène à l’épilogue de la chanson de Mouloudji :
«… Et le lend’main, quand j’ l’ai revue,
Elle dormait, à moitié nue,
Dans la lumiére de l’été
Au beau milieu d’un champ de blé.
Mais sur le corsag’ blanc,
Juste à la plac’ du coeur,
Y’avait trois goutt’s de sang,
Qui faisait comm’ un’ fleur :
Comme un p’tit coqu’licot, mon âme !
Un tout p’tit coqu’licot. »
Mouloudji y voit le sein d’une femme, Yves Jamait, un des nouveaux fleurons de la chanson réaliste française avec Bénabar, « vise plus haut » :
« Le coquelicot de ta bouche
Effleure le grain de ma peau
Dès que son pétale le touche
Comme des mots
Comme des mots éclos de ta bouche
Colorant le grain de ma peau
Ce sont tes baisers qui font mouche
Rouge la peau. »
Indépendante à ne pas vouloir être domestiquée, élégante dans sa flamboyante robe délicate et soyeuse au soleil de l’été, fragile avec ses pétales soulevés à la moindre brise légère, symboliquement féminine, cette fleur est devenue l’emblème du célèbre styliste Kenzo qui la décline aux différentes étapes de sa floraison selon la contenance de ses flacons de parfum, ce qui n’est pas le moindre paradoxe pour une fleur qui ne dégage pas d’odeur particulière. Pensez-y messieurs lorsque vous souhaiterez fêter vos noces de coquelicot et vos huit ans d’union avec madame !
Le coquelicot, s’il ne peut être capturé, peut, par contre, être dégusté. Comme tous les pavots il possède des effets narcotiques provenant des alcaloïdes qu’il contient. On utilise ses pétales séchés pour èlaborer des tisanes. Il constitue aussi un calmant de la toux et des irritations de gorge.
Il est devenu le fleuron gastronomique de la ville de Nemours, en Seine-et-Marne, depuis qu’en 1872, un confiseur eut l’idée de commercialiser des pastilles au coquelicot. Aujourd’hui, on le décline en liqueur et sirop pour napper des desserts. Il se fait aussi vinaigre pour assaisonner les salades et des coquilles Saint-Jacques. Confit, il embellit le foie gras. Il paraît même que le cassis du kir et la confiture de cerises noires chère au fromage de brebis basque, commencent à se faire du souci.
Ses graines sont employées en boulangerie pour la confection de pains aromatisés.
La « land artiste » Isabelle Tournoud (voir billet du 1er juin 2008, les « Environnementales ») y fait allusion par métaphore dans son « coin de mauvaises graines » en figeant dans une serre aux coquelicots, des chenapans dont les vêtements sont recouverts de graines de pavots.
Décidément, le « gentil coquelicot » de nos comptines d’enfance, révèle plein d’atouts insoupçonnés. Je tombe sous le charme de cette fleur rebelle, flamme passionnelle qui se meurt dès qu’une main possessive désire la discipliner en pot ou en bouquet, qu’on ne peut museler à l’image des artistes qui l’ont peinte ou chantée.

Vous pouvez laisser une réponse.
Quelle jolie évocation de cette fleur des champs que j’apprécie particulièrement.
Merci à toi encre violette de nous faire partager tes mots.
Quand j’étais petite, j’aimais comme tous les enfants, cueillir les petites fleurs des champs… C’était petit cadeau pour ma Bobonne qui s’occupait de moi à la place de mes parents. C’était à la fois un merci et un je t’aime qui ne coûtait pas d’argent…
Ma grand-mère qui aimait partager me faisait une petite couronne des pâquerettes dont les tiges sont faciles à tresser. Puis elle la posait sur ma tête et en princesse, j’étais transformée. Je ne comprenais pas pourquoi les rubis n’en faisait pas partie. On rentrait à la maison pour vite mettre le reste du bouquet dans l’eau mais à chaque fois, les coquelicots avaient abandonné leur jolie jupette de soie froissée sur le chemin de la petite Poucette… Et moi, toute désolée, qui ne comprenait pas cette fragilité, j’avais l’impression d’avoir comme « tué » quelque chose de très beau…
Alors quand moi aussi, de ma petite Lili je me suis vu accorder des mercis et des je t’aime en bouquets exprimés, je l’ai priée de laisser vivre ces fleurs rebelles dans les champs plutôt que dans un vase où elles mouraient d’être empprisonnées…
Une autre de ces petites fleurs me manque : le bleuet …
Saurais-tu où il s’en est allé ?