Bruce Springsteen, Prince du Parc
Sept mois après son « magic » concert de Bercy (voir article du 19 /12/2007), Bruce Springsteen retrouvait Paris, vendredi dernier, dans sa tournée des grands stades. Après le San Siro de Milan et avant le Ullevi de Göteborg, il a investi le Parc des Princes, le type même d’arène propre à mettre en valeur son exceptionnel talent de showman.
Malgré le prix élevé des billets et la surprenante discrétion des medias dans la promotion de l’événement , ce sont 50 000 spectateurs qui ont rallié l’enceinte de la Porte d’Auteuil, soit quasiment le double de l’affluence attirée, la semaine précédente, par « Tokio Hotel » présenté comme le plus grand groupe depuis les Beatles !!!
En ce qui me concerne, je m’étais procuré, dix minutes après l’ouverture de la location en décembre, un précieux sésame en tribune présidentielle, moyennant 89 euros mais … c’est bien connu, quand on aime, on ne compte pas !
A quelques mètres de moi, s’installe bientôt un parterre de personnalités people. Ma voisine envoie un sms … « je suis à cinq sièges de Maxime Leforestier ». Je n’ose la détromper, « Wight is Wight » et Leforestier is Michel Delpech !
Ce soir, il n’y a qu’une étoile : Bruce Springsteen, 59 ans en septembre, 35 ans de carrière, accompagné de son mythique orchestre le E Street Band, orphelin du claviériste Danny Federici vaincu par le cancer en avril dernier.
Dans la douceur de cette fin de journée de juin, la foule attend paisiblement, les jeunes curieux de comprendre enfin pourquoi ce surnom de « boss » de la musique pop rock, les moins jeunes qui savent, impatients de connaître le contenu de la tournée du patron. En effet, il ne ressert jamais les mêmes verres faisant de chacun de ses concerts, un événement unique et imprévisible au gré de son humeur et de celle des fans du pays ou de la ville qu’il traverse.
21 heures ! Le soleil darde ses derniers rayons sur les travées de la tribune d’en face surmontée d’un immense slogan : « Ici, c’est Paris » comme le suggèrent les accents devenus leitmotiv d’un limonaire tandis que les musiciens rejoignent leurs instruments dans la pénombre.
En arrière-plan, au fond de la scène, un ciel bleu moutonné de quelques nuages blancs d’été.
Pas d’hystérie collective mais comme une émotion respectueuse lorsque, sur les deux écrans géants surmontés des drapeaux américain et français, encadrant la scène, surgit notre vieil ami Bruce qui nous déroute déjà avec le très ancien et sombre « Adam raised a Cain » né sur un jeu de mots :
« L’été qui vit mon baptême
Mon père me tenait contre lui
Tandis qu’on me trempait dans l’eau
Il me raconta comment je pleurai ce jour-là
Nous étions prisonniers de l’amour, un amour enchaîné
Il se tenait debout dans l’embrasure de la porte, j’étais
Avec le même sang chaud qui coulait dans nos veines
Adam pique sa crise … »
Adam engendra Cain, Adam fait du boucan, les enceintes aussi, ce sera le seul léger bémol de la soirée ! On n’est pas salle Pleyel, on est dans l’arrière-salle d’un café sur la route 66 et on écoute maintenant « Radio nowhere », chanson hommage aux bons vieux rocks d’autrefois, puis « No Surrender », « nous avons fait un vœu, nous avons juré de toujours nous rappeler,on ne recule pas, on ne se rend pas ».
Foin des puristes du son, ce soir, Springsteen abolit les barrières le séparant de son public, il a envie de jouer avec ses amis et au milieu d’eux. De sa démarche chaloupée de « déménageur du New Jersey », il commence sa sarabande d’un bout à l’autre de l’avant-scène. Pour l’instant, les fans infiniment respectueux tendent les mains mais ne le touchent pas. Il danse comme un « Spirit in the night », en écho, ils lui répondent à l’envie « all night ». Les écrans renvoient les images de visages heureux, parfois émus comme celui d’une petite fille perchée sur les épaules de son papa. Pendant quelques secondes, l’immense Bruce Springsteen est seul au monde avec elle !
La voilà, la surprise du chef : ce soir, pas de menu imposé, le patron joue à la carte ou plutôt à la pancarte que ses fans brandissent avec la chanson de leur choix. S’en suit toute une série de « goodies et oldies » ! inaugurée, qui y aurait pensé ?, par « Rendez-vous » :
« J’avais rêvé que notre amour durerait toujours
J’avais fait un rêve et ce soir, ce rêve se réalise
Aussi tu me serres bien fort
La nuit nous appartiendra, petite,
Ooh je veux un rendez-vous. »
Dans son délicieux français plus qu’approximatif, Springsteen, d’humeur câline en ce début d’été, ose : « Françaises, vous êtes très jolies ! » et enchaîne les rendez-vous avec elles aux quatre coins du podium. Première conquête, l’incandescente « Candy’s room ». Comme le rythme de ce morceau qui s’accélère progressivement, notre rocker de charme change de braquet.
Soutenu par le saxo plaintif de Clarence Lemons, il console maintenant « Janey, don’t you lose heart » :
« Jusqu’à ce que les rivières s’assèchent
Jusqu’à ce que les rayons du soleil soient arrachés du ciel
Jusqu’à ce que toutes les angoisses que tu as ressenties se libèrent
Et aillent s’effondrer dans la mer
Ecoute-moi bien
Janey, ne perds pas courage. »
Puis, direction « Mary’s Place », « turn it up, turn it up, monte le son, monte le son, rendez-vous chez Mary, on va faire la fête ! »
C’est gagné, il a « allumé le feu » dans le Parc. Trop même pour son batteur qui, un peu déboussolé par la « playlist » improvisée, se trompe de morceau : « Not « I’m on Fire » but « Fire » ! lui hurle le chef.
Springsteen, très complice des cameramen qui filment pour les écrans, pose allongé au sol avec en arrière-plan, son public en liesse, bras levés.
Un instant de récupération : en français, « Je suis venu pour vous » et il s’installe au piano pour le solo de « For you ».
Un harmonica dans la nuit, au fond du décor, un coucher de soleil rougeoyant a succédé au ciel bleu. Ambiance feu de camp qui ne peut déplaire à Hugues Aufray tout proche de moi dans sa tenue Harley-Davidson. C’est l’heure toujours merveilleusement mélancolique de « The River », des dizaines de milliers de murmures au bord de cette rivière où Bruce plongea avec Mary quand il avait 17 ans.
Les accus sont rechargés, « it’s all right » pour une dernière heure de folie, celle où, incomparable, Boss oblige, il fait la différence. Comme à ses plus belles heures, notre cow-boy sprinte sur le devant de scène pour finir, les bras levés, dans une glissade de plusieurs mètres sur les genoux. Quelle marque de jeans lui proposera de tourner un spot publicitaire ?
Désormais, chères parisiennes dans vos vêtements d’été, vous osez lui caresser les chevilles et lui palper les mollets tandis qu’il enchaîne les tubes, « Badlands », « Out in the street », bien évidemment « Girls in their summer clothes », Born to run accompagné par son vieux copain Elliott Murphy résidant près de Saint-Etienne, puis Bobby Jean durant lequel Clarence Lemons crache génialement ses poumons.
Les projecteurs éclairent le stade, ivre de bonheur, « Dancing in the dark ». Curieusement, Springsteen s’éloigne de ses fans là où, à la fin des années 80, il s’en rapprochait « Come on now baby gimme just one look » et hissait par la main l’une d’elles pour entamer une danse enflammée. Il y a près de trois heures que le concert a commencé. La foule compte « one two three four », c’est parti pour un final de délire, le joyeux « Land of America » comme un immense feu de Saint Jean avec violoneux et accordéon.
Epuisé et radieux, Bruce lance en guise d’au revoir, un « Paris je vous aime » ! Les jeunes n’oublieront jamais leur première rencontre avec le « patron » du rock, ils savent pourquoi maintenant.
Je quitte les gradins ; « effet Springsteen » peut –être, c’est vrai que les françaises sont jolies !
Tu es un « chic type » Bruce. Reviens-nous bientôt quand celui que tu soutiens ardemment, celui qui parle d’une Amérique comme tu l’envisages dans tes chansons, le sénateur Barack Obama, aura succédé à Bush.
Charles Villeneuve et Paul le Guen, respectivement président et entraîneur du Paris-Saint-Germain, club résidant du stade, que je croise à la sortie, auront peut-être découvert la clé du succès pour leur équipe : talent, sincérité, énergie, générosité !
Les traductions des chansons sont tirées d’un site sympathique « Bruce Springsteen en français dans le texte » dont voici l’adresse : http://www.brucespringsteensite.com
Lire aussi le billet : « Magic » SPRINGSTEEN à Bercy du 19 décembre 2007
