La Saint Médard

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« A la Saint Médard mon Dieu qu’il a plu
Au coin du boul’vard et de la p’tite rue
A la Saint Médard mon Dieu qu’il a plu
Y aurait pas eu d’bar on était fichus !
A la Saint Médard mon Dieu qu’on s’est plu
Tous deux au comptoir en buvant un jus
A l’abri dans l’bar on s’est tell’ment plu. »

Je me souviens, lors d’un concert au théâtre Saint-Georges à Paris, du désopilant quatuor des « Frères Jacques » vêtus de collants bicolores, gants blancs, chapeaux claques et fausses moustaches, et affublés de parapluies pour évoquer, dans une chorégraphie poétique, cette histoire d’eau.

« … Il a encore plu
A la Saint Barnabé, oh ça tant et plus
Pour bien nous sécher au bar on a bu
Trois jus arrosés puis on s’est replu.
Saint Truc, Saint Machin, toujours il pleuvait
Dans le bar du coin, au sec on s’aimait.
Au bout d’quarante jours quand il a fait beau
Notre histoire d’amour est tombée à l’eau. »

Qui sont donc ces saints qui alimentent, chaque première quinzaine de juin, les sempiternelles conversations sur « le temps qu’il fait » ?
Saint Médard serait né en 456 dans le petit village picard de Salency, de l’union d’un noble franc Nectardus, et Protagia, une noble gallo-romaine. Il serait mort dans sa quatre-vingt-dixième année, longévité remarquable pour l’époque, le 8 juin 545 à Noyon. Il avait un frère jumeau Gildard qui est complètement tombé dans les oubliettes malgré une honorable « carrière » d’archevêque de Rouen puis de … saint !
Dès l’enfance, Médard manifeste beaucoup de compassion et de générosité à l’égard des plus démunis. On dit qu’il offrit ses vêtements neufs à un mendiant aveugle presque nu. Une autre fois, alors qu’il les amenait à l’abreuvoir, il donna un des chevaux de son père à un paysan qui venait de perdre le sien à la tâche. Déjà touché par la grâce, lorsqu’il ramena les chevaux et que son père les compta … il n’en manquait aucun !
Un jour de déluge pluviométrique, du Ciel bienveillant apparut un aigle qui déploya ses ailes au-dessus de lui, faisant office de parapluie. Cela explique qu’on représente parfois le saint de ce jour avec ce rapace le survolant.
A propos, l’introduction du calendrier grégorien dans l’usage officiel a provoqué la suppression des fêtes de douze saints. C’est ainsi qu’auparavant Médard était fêté le 20 juin, jour voisin du solstice d’été. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières dans le ciel parce que les plus brillantes, les étoiles du triangle d’été dont fait partie Altaïr de la constellation de l’Aigle … étrange coïncidence !
Plus grand, il fait ses études ecclésiastiques en compagnie de son frère, à Vermand près de Saint-Quentin. On prétend qu’ils assistent Saint Rémi, évêque de Reims, lors du baptême de Clovis en 496.
En 530, le même Saint Rémi qui semble le porter en haute considération, nomme Médard évêque de Vermand. L’année suivante, cause ou conséquence de cette nomination, le siège épiscopal est déplacé et Médard devient évêque de Noyon, ville voisine de Salency.
En 532, à la mort de leur évêque Saint Eleuthaire, les habitants de Tournai réclament Médard pour le remplacer. Sur l’insistance du roi mérovingien Clotaire, il finit par accepter et le pape le nomme, unifiant le diocèse de Tournai et celui de Noyon. On loue son zèle infatigable, parcourant les bourgs et villages, prêchant, consolant les fidèles, administrant les sacrements et développant le règne de la foi. La reine Radegonde reçoit le voile de ses mains quand elle se fait religieuse.
Il meurt à Noyon et ses reliques sont transportées à Soissons où sera érigée l’abbaye de Saint-Médard. Son culte rayonnera à travers l’hexagone où plus de soixante-dix communes portent le nom de Saint-Médard.
Quelques-unes de ses reliques seraient conservées en l’église Saint-Médard, située en bas de la rue Mouffetard à Paris, au sud-est de la Montagne Sainte-Geneviève. La construction de cette église s’étala du XVème au XVIIIème siécle, et fut interrompue durant les guerres de religion et notamment le « tumulte de Saint-Médard » qui entraîna le saccage de l’église par les protestants en 1561.
La légende dit que Saint-Médard institua à la fin du Vème siècle, la fête de la « rosière », à l’occasion de laquelle, on remet une couronne de roses à la jeune fille dont la conduite irréprochable, la vertu et la piété ont marqué le village. La première rosière aurait été la sœur de Saint-Médard et la tradition se perpétue encore dans certains de nos villages. On peut voir dans la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Médard à Paris, une toile de Louis Dupré représentant « Saint-Médard couronnant la première rosière ».

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Dans l’esprit de cette coutume, au XIXème siécle, pour fêter son accession au trône et sa victoire à Austerlitz, Napoléon décrète que des jeunes filles pauvres et vertueuses seront dotées par l’Etat et mariées.
Rappelez-vous aussi Guy de Maupassant : « C’était l’époque où l’on couronnait des rosières aux environs de Paris, et l’idée vint à Madame Husson d’avoir une rosière à Gisors … Pas une ne sortit intacte de cette enquête scrupuleuse. Françoise interrogeait tout le monde, les voisins, les fournisseurs, l’instituteur, les sœurs de l’école et recueillait les moindres bruits. Comme il n’est pas une fille dans l’univers sur qui les commères n’aient jasé, il ne se trouva pas dans le pays une seule personne à l’abri d’une médisance … Or, un matin, Françoise qui rentrait d’une course, dit à sa maîtresse : ‘Voyez-vous, madame, si vous voulez couronner quelqu’un, il n’y a qu’Isidore dans la contrée.’ »
C’est ainsi que l’on retrouva Bourvil, en équivalent masculin de rosière dans l’adaptation cinématographique de cette farce villageoise par Jean Boyer sur un scénario de Marcel Pagnol !
Sur Barnabé, fêté le 11 juin, on est beaucoup moins prolixe. Il nous est connu par le livre des Actes des Apôtres » : « Joseph, que les apôtres avaient surnommé Barnabé (ce qui signifie l’homme du réconfort), était un juif originaire de Chypre. Il avait une terre, il la vendit et en apporta l’argent qu’il déposa au pied des Apôtres. » Discernant le charisme de Paul, il a l’audace d’introduire auprès des apôtres, cet ancien persécuteur de chrétiens. Il participe avec lui à son premier voyage à Chypre et en Asie Mineure, et témoigne avec lui à Jérusalem devant tous les responsables de l’Eglise, des merveilles que Dieu accomplit chez les païens !!!
Nos deux héros du jour se sont-ils jamais rencontrés ? … en tout cas, chaque année, ils sont réunis dans le fameux dicton :
« S’il pleut à la Saint Médard, il pleut 40 jours plus tard (pendant quarante jours) … à moins que Saint Barnabé ne lui coupe l’herbe sous le pied. » … que dans certaines régions, on prolonge par « Mais s’il pleut à la Saint Barnabé, ce sera Saint Gervais (le 19 juin) qui fermera le robinet. »

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Parapluies de bergers en Ariège

Vous excuserez mon manque de professionnalisme sur ce dossier, je n’ai pu rencontrer aucun témoin direct qui puisse me fournir des éléments indiscutables, aussi je me contente de vous livrer pêle-mêle, quelques suppositions sur l’origine de ce conflit météorologique.
Il se dit que la Saint Médard passait pour être le jour anniversaire du Déluge et donc que la vindicte populaire l’accabla : « Saint Médard, grand Pissard ». De même, « Quand il pleut à la Saint Médard, si l’on boit du vin, on mange du lard » se justifie par le fait que la pluie nuit à la culture de la vigne mais favorise celle des choux qui accompagnent le lard dans l’assiette à la ferme ».
Certains prétendent qu’une grande sécheresse sévissant dans leur région, les habitants de Salency auraient réclamé un coup de piston à leur ancien évêque devenu saint lequel, pourtant loin de toute campagne électorale, aurait exaucé leurs prières et leur aurait envoyé des averses pendant plus d’un mois.
Ces agriculteurs, ils ne sont jamais contents, c’est bien connu … quand il pleut, il leur faut le soleil, quand Râ est généreux, c’est trop sec, et tout est prétexte à réclamer des indemnités pour catastrophe naturelle ! Je les taquine, je connais les vicissitudes du temps et je les estime pour avoir eu dans ma famille, nombre de représentants de cette valeureuse corporation (souvenez-vous ma mémé Léontine dans les portraits de famille !).
D’autres sources mettent en avant l’esprit vertueux de Médard qui, offusqué du mauvais comportement des jeunes à l’occasion des bals célébrant le retour du printemps, intercéda auprès de Dieu pour qu’il fasse tomber la pluie, quarante jours durant, jusqu’au temps des moissons.
Ses relations privilégiées avec les crachins, averses, ondées, orages ont conduit laboureurs et marchands de parapluies à le vénérer et en faire leur patron. Et lorsque la pluie miraculeuse ne tombait pas, la population pouvait se venger en aspergeant d’eau la statue de Saint Médard.
Une légende bretonne met en exergue les pépins (le mot est de circonstance) entre Saint Médard, marchand de parapluies et Saint Barnabé, vendeur d’ombrelles. Une année où il fit très beau, la conjoncture économique lui étant néfaste, Médard sollicita Dieu qu’il fasse tomber la pluie pendant au moins quarante jours. Son vœu fut exaucé, et chaque année, à l’époque de sa fête, la vente des parapluies fut florissante. Le bonheur des uns faisant dit-on le malheur des autres, le commerce d’ombrelles du pauvre Barnabé périclita. A son tour, celui-ci pria Dieu de faire briller le soleil et … il ne plut que durant trois jours.
Une autre version plus « kleenex » prétend que Saint Médard perdit un âne auquel il était très attaché, ce qui déclencha un tel torrent de larmes que villes et champs furent inondés. Heureusement, la providence plaça sur son chemin Saint Barnabé qui lui ramena l’âne trois jours plus tard.
A l’heure de la mondialisation et des cultures OGM, les dictons disparaissent peu à peu de la mémoire collective même si celui qui nous préoccupe aujourd’hui, demeure encore vivace dans nos esprits surtout si ce 8 juin 2008 est pluvieux … nous ne manquerons pas de guetter alors le bulletin météorologique de mercredi prochain.
Sont-ils le fruit de l’imagination fertile de nos ancêtres et de croyances superstitieuses ou au contraire, de précieuses connaissances accumulées au fil des siècles par des observateurs rigoureux ? Une étude accomplie à Lyon sur une durée de soixante ans, montre qu’il a plu 30 fois à la Saint-Médard et qu’il plut 15 jours sur les 40 qui suivirent. Les 30 fois où le ciel fut clément, il plut également 15 jours dans les 40 jours suivants.
En 1692, pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg, en présence de Louis XIV qui s’était déplacé personnellement, ses soldats maudirent Médard lors du siège de Namur et de sa citadelle : « La pluie tomba par torrents. La Sambre débordée se répandait dans les plaines couvertes de moissons verdoyantes. Les ponts de la Méhaigne furent emportés et entraînés dans la Meuse. Les routes se transformèrent en fondrières. Les tranchées étaient tellement engorgées d’eau et de boue qu’il fallut trois jours pour passer un canon d’une batterie à une autre. En pareille circonstance, l’autorité de Louis XIV fut nécessaire pour maintenir l’ordre. Ses soldats montrèrent beaucoup plus de respect pour lui que pour certaines choses placées sous la sauvegarde de la religion. Ils maudirent cordialement Saint Médard ou brûlèrent toutes celles de ses images qu’ils purent trouver. »
« Juin bien fleuri, vrai paradis », « Juin froid et pluvieux, tout l’an sera grincheux », « Beau mois de juin change l’herbe rare en beau foin », « Beau temps en juin, abondance de grain », « Eau de juin ruine le moulin », « Pluie de juin fait belle avoine et maigre grain » … tous ces dictons liés au temps de la fenaison et empreints d’une certaine poésie tombent en désuétude et ne font plus le bonheur que de quelques almanachs. « Ma bonne dame, avec leurs expériences dans le ciel, le temps est détraqué, il n’y a plus de saison » !!!! Ce dimanche matin, nous scruterons le ciel … S’il fait beau, ce sera barbecue dans le jardin ; si la pluie est au rendez-vous, nous ferons des claquettes avec Claude Nougaro ou chanterons et danserons avec Gene Kelly ou bien encore nous prendrons la grand-route …

« Elle cheminait sans parapluie
J’en avais un, volé, sans doute
Le matin même à un ami
Courant alors à sa rescousse
Je lui propose un peu d’abri
En séchant l’eau de sa frimousse
D’un air très doux, elle m’a dit oui.

Un p’tit coin d’parapluie
Contre un coin d’paradis
Elle avait quelque chose d’un ange
Un p’tit coin d’paradis
Contre un coin d’parapluie
Je n’perdais pas au change pardi. »

Je me sauve vite avec cet ange, je ne veux pas de pépin avec Barnabé !

 

 

 

Publié dans : Almanach |le 6 juin, 2008 |Pas de Commentaires »

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