Land art en Yvelines, les « Environnementales »
Dans son « Dictionnaire des idées reçues », à l’article « nature », Gustave Flaubert écrit : « Que c’est beau, la nature ! A dire à chaque fois que l’on se trouve à la campagne. »
Aujourd’hui, je suis à la campagne, dans le parc paysager de Jouy-en-Josas, tout près de Versailles. L’Ecole de l’Environnement et du Cadre de Vie (TECOMAH) y organise les « Environnementales », une exposition d’art contemporain à ciel ouvert.
J’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir de « land art » dans un billet daté du 9 mars 2008 à propos d’une action artistique insolite dans une prairie ariégeoise. Cette fois, c’est une dizaine de créateurs d’art contemporain de renommée internationale qui interviennent dans et avec la nature, assistés techniquement par les étudiants de l’établissement horticole.
A première vue, leurs initiatives peuvent sembler incongrues tant l’histoire de la planète place la nature au début de tout, avant tout. Pourtant, n’est-il pas plus juste de penser que l’Homme a participé à sa construction … autant qu’à sa destruction d’ailleurs, ce qui suscite aujourd’hui de vives inquiétudes environnementales.
Par d’autres chemins, les artistes rejoignent les laboureurs, les cantonniers, les jardiniers, les promeneurs, les ingénieurs, le vent, la pluie, la sécheresse, tous ces agents qui agissent consciemment ou inconsciemment sur l’espace naturel. Acceptons donc les traces que les plasticiens inscrivent dans le paysage, souvent avec un certain bonheur.
Le fléchage pour localiser les œuvres, laisse à désirer mais, contre mauvaise fortune bon cœur, cela concourt très vite à un délicieux vagabondage au tour de l’étang et sous les frondaisons du parc.
Facilement repérable de loin, surgit de sous les arbres, dressée sur un petit tertre, la proposition de l’artiste ardéchoise Marie Denis, « Le Bonzaï II », un immense pot orange contenant un remarquable pin centenaire. L’artiste amène le spectateur à éprouver la difficulté enfantine pour maîtriser la proportion et l’échelle des choses. Elle a conçu un pot de fleur de quatre mètres cinquante de haut et quatre de diamètre, en harmonie avec son hôte, un résineux de vingt mètres.
Comme beaucoup d’artistes oeuvrant dans le paysage, pour réaliser son projet, elle a fait appel au savoir faire des techniciens de certaines corporations, en la circonstance, un serrurier d’art pour élaborer la structure métallique et un osiériste pour concevoir le tressage du pot. En m’approchant, je constate que l’effet vannerie est obtenu par le tressage de trois mille mètres de tuyaux d’arrosage comme un clin d’œil à l’outil de l’arroseur, élément incontournable au bon entretien des jardins.
Longeant les courts de tennis où des étudiants échangent quelques balles, je pars à la rencontre de « Toupie et cage », œuvre de Serge Bottagisio et Agnès Decoux, un couple qui vit et travaille dans le Gers. Avec un peu de difficulté, je parviens à la dénicher dans un endroit délaissé du parc, le genre d’espace où on abandonne les objets encombrants et hors d’usage. Ces deux sculpteurs, m’apprend le dossier de presse, s’inspirent dans leurs projets, de formes primaires comme les sphères, les cylindres, les carrés, les rectangles ; ici, ce sont deux cônes en béton et terre cuite, basculés sur un lit de paille, comme deux fossiles.
Taillés à la hache et travaillés de manière circulaire, gris et ridés comme une peau de pachyderme, ils procurent des sensations contraires entre lourdeur et grâce, entre le rugueux du corps de la toupie et sa face polie, entre la densité de la toupie et la fragilité du squelette de la cage voisine. La lumière matinale joue avec bonheur sur les différentes surfaces en gommant ou valorisant leur relief. Les deux formes quasi primitives ne sont pas sans rappeler par le mystère qu’elles dégagent, les statues néolithiques de Filitosa en Corse et les mégalithes de l’île de Pâques.
Je me rapproche de l’étang où un paisible pêcheur se débat avec une carpe de taille respectable. Avant de la rejeter à l’eau, il la délivre de l’hameçon et la présente devant l’objectif de mon appareil photo … poisson entre deux eaux, nature morte éphémère.
Le soleil généreux laisse à penser que je n’entendrai pas aujourd’hui, la « Conversation par jours de pluie : deux fontaines » imaginée par Gilles Bruni. Non loin d’une petite cascade au gazouillis rafraîchissant, l’artiste s’est glissé dans le paysage, créant un curieux dialogue entre deux fontaines, d’un côté, la bouche béante d’une buse de rejet des eaux pluviales, de l’autre, installée le long du toit d’un hangar de rangement de canoës, une gouttière déversant un filet d’eau dans une barque en guise de bassin. Une poule d’eau effarouchée semble signifier, « circulez, il n’y a rien à voir », il ne pleut pas ! Malgré leur mutisme, je médite quelques instants devant cette fable des fontaines, à l’ombre des saules pleureurs d’où jaillissent des iris des marais éclatants. Elle met en scène la grande « gueule » (terme ancien des fontainiers) du déversoir et la fine bouche de la gouttière. Le canoë est détourné de sa fonction primitive.
J’arpente maintenant les berges de l’étang. Sur l’autre rive, la teinte orange fluo du pot au bonzaï, utilisée par les cantonniers comme couleur signalétique, détourne encore mon regard et vibre en reflets dans la pièce d’eau.
Bientôt dans une petite combe en contre bas de la route qui sinue dans le parc, apparaît sur la page verte du paysage, un signe familier de vos claviers d’ordinateur. L’anglais Ian Baxter& a déposé un talus plaqué de gazon en forme d’esperluette comme celle qui se trouve à la fin de son nom d’artiste. Cet élément typographique qui a pour habitude de relier, associer, fait lien entre art et nature. Malheureusement, l’absence de point de vue suffisamment élevé, nuit à la clarté de la lecture. Dommage, j’aimais l’idée de cette écriture végétale rapportée à l’échelle du paysage.
Là-bas, suspendue au-dessus de l’eau de l’étang, une enseigne rouge et deux mots : « ici/là », dispositif conçu par l’artiste australienne Christine O’Loughlin. En fait, ces mots sont à l’envers et c’est leur reflet dans l’eau qui restitue le bon sens de la lecture. Au gré de la surface changeante du plan d’eau, selon l’humeur de la brise légère, les mots immatériels disparaissent « pas ici/pas là » et réapparaissent.
J’entre dans un sous-bois où Dimitri Xenakis a tendu des fils de nylon de troncs en troncs décrivant une curieuse géométrie dans l’espace forestier. Selon les moments, ils captent une lumière irisée révélant la toile tissée par d’improbables insectes. Un écureuil, peut-être interloqué, saute de branche en branche.
Je passe devant quelques installations qui m’interpellent moins et m’approche du « coin de mauvaises graines » cultivé par Isabelle Tournoud. Dans une serre, des silhouettes d’enfants surgissent d’un champ de coquelicots.
Deux élèves de bac pro sont affairés à arroser le tapis végétal. Ils participent à la vie de l’œuvre, à son évolution. Les coquelicots faneront, d’autres fleuriront d’ici la fin de l’exposition. A observer de plus près les mannequins, ne subsistent que les vêtements composés avec des graines de pavots. La narration traverse le travail de l’artiste. On imagine une bagarre récente entre ces chenapans, ces « mauvaises graines » . J’aime cette démarche de jouer sur la subtilité de la langue.
La promenade s’achève. « Que c’est beau la nature ! » aussi lorsqu’elle porte les stigmates des actions des ‘land artistes ». A porter à la réflexion de nombre d’urbanistes coupables de défigurer le paysage.
« Les Environnementales », 5ème Biennale d’art contemporain « dans » et « avec » la nature. Tous les jours sauf lundi, 10h-18h, jusqu’au 11 juillet, Parc paysager de TECOMAH, chemin de l’Orme-Rond, 78 Jouy-en-Josas.
