Fête de la Musique, rue de la Main d’Or, Paris XIème
Samedi, pour célébrer l’arrivée de l’été, on fêtait la Musique un peu partout en France et même à travers le monde, tant en un quart de siècle, l’événement a gagné en universalité. Trop souvent absent à ce rendez-vous, le soleil baigne, cette année, la capitale. Je délaisse le génie de la Bastille qui, perché sur sa colonne, écoute un concert de techno, pour entrer dans le faubourg Saint-Antoine et me glisser dans le Passage de la Main d’Or, un de ces étroits boyaux qui menaient aux ateliers d’ébénisterie, orgueil du quartier. Je détourne mon regard du théâtre éponyme dont le propriétaire est plus connu, désormais, pour ses frasques politiques douteuses que son ancienne complicité avec un rédacteur de petites annonces pour blondes à forte poitrine ! Me voici dans la rue de la Main d’Or, au milieu de la chaussée, entre deux bistrots à vin, d’un côté, « Aux petits joueurs » dont l’enseigne « Bois Charbons Vins & Liqueurs » fleure bon les bougnats d’antan ; de l’autre, « A l’Ami Pierre » que je fréquente régulièrement, notamment quand l’humeur me gagne de faire mon marché place d’Aligre.
Sur la vitrine, l’inscription « à l’ancien rebouteux » rappelle que, dans des temps pas très anciens, le tenancier de l’époque guérissait les maux de ses clients dans l’arrière-salle. A l’intérieur, accrochés aux murs, des expositions temporaires d’artistes peintres, des affiches de féria « Toros en Vic », une citation d’Antoine Blondin, un dessin de Reiser, le décor épicurien est planté.
Ici, on mange de la charcuterie d’Auvergne, un haricot de mouton, du confit de canard, des tripoux, bref, une cuisine de mémé comme l’était Marie-Jo, l’ancienne patronne qui, aujourd’hui, est présente du même côté du comptoir que ses anciens clients qu’elle photographie même. Bien évidemment, bistrot à vin oblige, on y boit bon !
Cette année, la fête débute plus tôt suite aux plaintes de quelques voisins grincheux. A la campagne, on maugrée le chant du coq trop matinal, à Paris, on voit d’un mauvais œil, les noctambules. La programmation, toujours de qualité, allie jeunes musiciens valeureux en quête de reconnaissance et bandas de ferias dont l’immuable Piston Circus.
En 1995, nous acquittâmes volontiers les « Voleurs de poules » qui répandirent « l’odeur des poivrons » (le titre de leur premier album) dans la rue. En leur sein, figurait le futur grand Sanseverino.
Aujourd’hui, à peine arrivé, ça swingue fort et les pieds battent déjà le pavé au rythme de standards américains d’avant-guerre et de compositions originales, joués et souvent chantés avec virtuosité par « Oncle Strongle ».
Ce sextet (banjo, contrebasse, batterie, trompette, saxophones) définit sa musique comme « un cocktail violemment épicé : un tiers de Bourbon Street, un tiers de Cotton Club, un tiers de Saint-James et une bonne rasade de tabasco ». On la laisse nous enivrer.
Le site web du groupe nous invite à en reprendre quelques verres: « c’est de l’authentique, de l’apache, du marlou, de l’alligator », j’ajoute plus prosaïquement, c’est virevoltant et plein d’humour ! N’hésitez pas à vous procurer le flacon cd qu’il livre cet été !
Pour l’instant, le Cheverny est rafraîchissant au comptoir de l’Ami Pierre dont je chasse les joyeux trublions du Piston Circus prêts à rejoindre leurs instruments.
Cette fanfare est née, il y a plus de trente ans, de la rencontre entre des élèves de l’Ecole Centrale (en fait, un seulement d’où le nom Piston sans s), des Beaux Arts, de l’Ecole d’Architecture et de quelques joyeux drilles du sud-ouest (d’où Circus sans doute). Ils présentent leur musique comme « une musique de jeunes par des jeunes mais pour des vieux … ou le contraire » !!!
Ils ont joué dans le monde entier et … incontournablement, aux férias de Vic-Fézensac ! Ils ont accompagné sur scène Claude Nougaro, notamment dans un sublime concert « Hombre et Lumière » (il existe en DVD, c’est merveilleux !) sur les bords de la Garonne, à Toulouse. Rappelez-vous, L’enfant Phare, Comme une hirondelle, Je suis sous … ce sont eux aux côtés du « souffleur de vers », le regretté Claude.
Ils ont joué encore la valse sautillante de Playtime, au Palais de Chaillot, dans un spectacle de Jérôme Deschamps en hommage à Jacques Tati.
Vous voyez, c’est du très lourd ! Tous les jeudis, ils se retrouvent dans une cave du quartier Charonne pour partager charcuteries de pays, fromages affinés, vins gouleyants avant de répéter les morceaux que ce soir, comme chaque année, ils interprètent, rue de la Main d’Or.
D’ailleurs, c’est ici, lors d’une précédente fête de la Musique, que furent prises certaines photographies qui illustrent leur seul album ; c’est ainsi que j’ai le privilège d’y figurer avec ma petite famille.
Foin des airs traditionnels des bandas, les Piston revisitent des classiques de la chanson française, les rimes de Nougaro évidemment, « J’aime les épines quand elles riment avec la rose », Gainsbourg et le Poinçonneur des Lilas, Léo Ferré et Jolie môme, Yves Montand et Francis Lemarque avec A Paris ; ils franchissent les frontières et les mers avec Eleanor Rigby des Beatles et le ciel bleu de Mexicoooooo !. Toutes générations confondues, le cercle de danseurs s’est formé autour des cuivres.
Au bout d’une heure, les Piston cèdent le trottoir à une fanfare amie venue des Pays-Bas, les « Chaupiques de Maastricht », non sans avoir scellé auparavant le traité européen des fanfares en interprétant un morceau en leur compagnie.
Sous la chaleur étouffante, les Chaupiques jouent stoîques dans leurs blazers blancs tandis que les Piston avaient renoncé à leurs redingotes noires. Ils nous « emmènent jusqu’au bout de la terre » avec Aznavour, sur la place rouge avec la Nathalie de Bécaud, puis ils ramènent en pleine lumière leurs cuivres bataves pour une interprétation lascive d’Amsterdam.
Longtemps après, ils finiront par capituler malgré moult gobelets de bière … ils déposeront délicatement leurs vestes sur une borne du trottoir !
Bientôt, sur le trottoir d’en face, Oncle Strongle ressert ses standards du temps de la prohibition.
Dans la nuit festive du faubourg, la musique de soif étanche les assoiffés de musique. Je commande un Chiroubles pour accompagner ma pièce de bœuf du limousin et mon assiette de fromages artisanaux ! Tout à l’heure, les Piston et les Chaupiques prendront place dans l’arrière-salle pour leur « troisième mi-temps ». Musique de bars, musique de tables, musique de rues, musique de places….
Vivement l’année prochaine !