Fête des Mères et Collier de nouilles
Aujourd’hui, c’est la fête des mamans, l’un des évènements les plus populaires du calendrier. Traditionnellement, elle se célèbre le dernier dimanche de mai sauf lorsque celui-ci coïncide avec la Pentecôte ; elle est alors reportée au premier dimanche de juin.Un demi siècle fut nécessaire, en France, pour officialiser cette manifestation.
Cependant, les premiers germes apparaissent dans les sociétés anciennes. Ainsi, dans la Grèce antique, au printemps, sont organisées des cérémonies en l’honneur de Rhéa, femme de Cronos et mère de tous les dieux, notamment Poséidon et Zeus.. Dans la mythologie romaine, Rhéa est assimilée à Cybèle, l’aïeule de tous les dieux ; elle est surnommée la déesse des Bérécynthes. Dans son recueil « Les antiquités de Rome », le poète Du Bellay lui rend hommage :
« Telle que dans son char la Bérécynthienne
Couronnée de tours, et joyeuse d’avoir
Enfanté tant de dieux, telle se faisait voir
En ses jours plus heureux cette ville ancienne … »
A Rome, justement, jusqu’au Vème siècle avant Jésus-Christ, au mois de juin, sont célébrées les « Matralia », la fête des femmes et des mères. Rassemblées au temple de Mater Matuta, la « Mère du Matin », les romaines offrent à la déesse des galettes jaunes symbolisant le soleil puis portent dans leurs bras, les enfants de leurs sœurs et non pas les leurs.
L’émergence de la religion chrétienne entraîne la disparition de tous ces rites.
En Grande-Bretagne, entre le XVème et XVIIème siècle, lors du « Mothering Sunday », organisé d’abord au début du carême puis au quatrième dimanche de printemps, les mères qui travaillent comme domestiques dans les familles fortunées, ont congé pour retourner à leur domicile, passer cette journée avec leur famille.
Cependant, la véritable origine moderne de la Fête des Mères, nous arrive des Etats-Unis (comme beaucoup de choses, malheureusement pas toujours aussi heureuses !).
En 1872, l’écrivain Julia Ward Howe lance l’idée, à Boston, d’octroyer un jour de l’année aux mères pour les célébrer. Jugée trop originale, l’initiative est assez rapidement abandonnée avant d’être reprise en 1907 par Anna Jarvis, une habitante de Philadelphie. Elle demande aux autorités de la Virginie qu’un office religieux en l’honneur de toutes les mères soit organisé chaque second dimanche de mai, date anniversaire de la mort de sa maman. Cette fois, la coutume prend son essor et le président Wilson l’officialise par décret, en 1914.
En 1917, les soldats américains, engagés sur le vieux continent, dans la première guerre mondiale, envoient des cartes à leurs mamans à l’occasion de la Fête des Mères et exportent ainsi le concept.
En fait, l’idée germe en France depuis quelques années. Dès 1897, l’Alliance Nationale contre la dépopulation suggère de fêter les familles nombreuses. Ainsi, fleurissent quelques « Fêtes des Enfants » où l’on récompense plus l’enfant, fruit de l’union, que la mère qui a donné le jour.
En juin 1906, à l’initiative de « l’Union fraternelle des pères de familles méritants » d’Artas, en Isère, se déroule la première célébration des mères avec remise de diplômes et décorations aux plus méritantes.
Le 16 juin 1918, est créée la première « Journée des Mères », à Lyon. Plusieurs familles reçoivent des récompenses notamment offertes par le Président de la République.
Le 9 mai 1920, dans un contexte de politique nataliste, le ministre de l’Intérieur autorise la première « Journée Nationale des Mères de familles nombreuses ». Une collecte publique est organisée avec succès dont les fonds récompensent les familles qui repeuplent la France. Cette année-là, des enseignants d’Alsace proposent à leurs élèves, de fabriquer un objet et rédiger un compliment en l’honneur de leur maman.
Le succès grandissant de cette manifestation conduit le gouvernement à décider la mise sur pied, chaque année, de la « Journée des Mères » dont la première cérémonie se tient le 20 avril 1926 avec remise de médailles.
En 1941, le régime de Vichy inscrit la Fête des Mères au calendrier. La nouveauté est qu’on y honore toutes les mamans
Enfin, une loi du 24 mai 1950 signée par le Président de la République Vincent Auriol, institue la Fête des Mères sous la forme que l’on connaît actuellement.
En bref, il aura fallu attendre la fin des colliers de tickets de rationnement pour connaître et commettre … les colliers de nouilles que nous-mêmes d’abord, nos chers enfants ensuite, ont fabriqué avec amour.
Il est, aujourd’hui, de bon ton d’ironiser sur tous ces petits cadeaux bricolés à l’école dans la quinzaine précédant la fête. Qui ne s’est pas tordu de rire avec le dessinateur Reiser devant ses caricatures hilarantes de parents interloqués par les objets d’un goût plus que douteux que leur rejeton a imaginés avec la complicité d’une maîtresse « sadique » ! Qui sait, d’ailleurs, si cette bande dessinée de la fin des années 1970, n’a pas contribué à une prise de conscience artistique et à la disparition progressive du collier de nouilles. Il constitue une telle caricature qu’aucun enseignant n’oserait aujourd’hui en proposer la confection.
C’est d’ailleurs la savoureuse réflexion proposée dans le cadre d’une « conphérence singulière » de Mademoiselle Morot, chercheuse au Conservatoire des Curiosités, à laquelle j’ai eu le bonheur d’assister il y a quelques semaines.
Ce spectacle décalé, monté par le Théâtre de la Marionnette, se tenait dans un lieu appuyant le propos, en l’occurrence, la salle de classe 1900 reconstituée au Musée départemental de l’Education du Val d’Oise.
Pour y avoir réalisé plusieurs films, je peux témoigner de la qualité de l’ équipe d’animation qui organise de remarquables manifestations culturelles en perspective avec les riches archives scolaires dont recèle le musée.
Les deux acteurs jouent sur la limite entre le vrai et le faux, faisant, par exemple, déjà de l’entrée dans la salle, un moment de représentation. Ainsi, la personne dont j’ignore encore qu’elle est la fameuse Mademoiselle Morot, m’accueille de manière quelque peu infantilisante en m’imposant, vu ma taille, de m’installer à un banc de la dernière rangée. A jouer le jeu, je me mets dans la peau du cancre de service et choisis évidemment la table près du radiateur, un beau pupitre avec encrier de porcelaine et banc à dossier, sentant bon l’encaustique et … l’encre violette ! Je passe sur les mines interloquées et penaudes des quelques retardataires devant les remarques acerbes proférées par l’inflexible enseignante. L’autre acteur, au regard peu éveillé, mâchouillant inlassablement son chewing-gum, assis près du tableau, interprète un emploi consolidé qui assistera la conférencière dans une présentation maladroite de différents supports iconographiques et la lecture hésitante et monocorde de quelques poèmes d’enfants.
Bientôt, dans ce décor nostalgique, Mlle Morot entame son analyse des colliers de nouilles en approfondissant la problématique écrite au tableau: « Le cadeau de fête des mères, élément récurrent de l’art scolaire et des patrimoines familiaux, peut-il encore débrider les imaginaires tant dans les sphères éducatives que privées ? »
S’en suit une désopilante et magistrale apologie, abondamment illustrée, du bijou en coquillettes dont les « élèves » ressortent enrichis de moult connaissances sur l’origine de ce rituel, sur l’amour filial, sur les techniques de collage et le design des pâtes, sur les limites de la créativité en milieu scolaire et les responsabilités éducatives des uns et des autres.
A l’issue de la conférence, les spectateurs sont invités à découvrir dans la salle voisine, « 45 ans de cadeaux en nouilles collées », une incroyable exposition qui a été confiée au Conservatoire des Curiosités par Madame Ferretti, habitante de l’île bretonne de Molène. La conférencière et son stagiaire ainsi que Madame Ferretti elle-même via une video, nous font profiter de leurs commentaires éclairés ! Outre les incontournables colliers et parures jalousement enfermés dans des vitrines (leur valeur s’est accrue considérablement ces derniers mois avec l’explosion du prix du blé !!!), nous découvrons de surprenants objets en nouilles séchées tels un buste-baromètre, un téléphone, un voilier, un phare et même un cercueil (la bière de Molène !). Ces objets loufoques et souvent d’un mauvais goût profond constituent de véritables pièces à conviction pour raconter une farce … convaincante.
La représentation s’achève par un verre de l’amitié (un cidre, île de Molène oblige !) au cours duquel surgit encore la distance théâtrale à travers quelques gags.
Au-delà de ce spectacle, sans vouloir réhabiliter les colliers de nouilles, les paniers en boîte de camembert, les bougeoirs en pots de yaourt, soyons tout à fait honnêtes, quelle est la jeune maman qui n’a pas eu un instant d’émotion devant l’objet, témoignage de tendresse de leur enfant ?
Les enseignants ont développé d’autres activités artistiques et sont souvent devenus réfractaires à régler le calendrier scolaire sur les fêtes religieuses et commerciales. La croissance des situations familiales compliquées peut expliquer également la désaffection de la coutume.
Le temps a effacé de ma mémoire ce que mes petites mains de l’époque, confectionnaient pour ma chère maman. Je me souviens seulement qu’au matin de ce jour , j’accompagnais mon papa chez le fleuriste pour choisir un bouquet ou une plante que j’offrais rayonnant à l’heure du repas.
Dans ma vie adulte, je n’ai dû manquer que deux fêtes pour cause d’éloignement à l’étranger. Je ne saurais trop l’expliquer, j’avais besoin des yeux de ma mère, plus brillants encore qu’à l’accoutumée.
Cela me fait penser aux vers infiniment tendres et émouvants qu’éructe le chanteur belge Arno :
« Ma mère elle a quelque chose
Quelque chose dangereuse
Quelque chose d’une allumeuse
Quelque chose d’une emmerdeuse…
Dans les yeux de ma mère
Il y a toujours une lumière
L’amour je trouve ça toujours
Dans les yeux de ma mère…
Ma mère elle m’écoute toujours
Quand je suis dans la merde
Dans les yeux de ma mère
Il y a toujours une lumière… »
La mienne n’était ni dangereuse, ni allumeuse (ou alors d’incendies de douceur), encore moins emmerdeuse ! Lorsqu’elle s’est absentée à jamais, nombre de « mes » présents me sont revenus. Bien au-delà du « filialement correct » et des récupérations commerciales, ils jalonnent une vie de tendresse indéfectible et témoignent de jours heureux dont je suis terriblement orphelin.
Je connais une petite fille qui écrivit à sa maman, « Maman, tu es ma DS » et avouant ses lacunes orthographiques, elle ajouta entre parenthèses, «je ne sais pas écrire DS mais ce n’est pas ma console » !
Bonne fête à toutes les mamans qui me liront. Elles ne sont sans doute pas toutes heureuses mais chacune est unique car elle est celle qui a donné la vie.
Un petit complément tendre et émouvant: voir billet « Bonne Fête Mamans » du 6 juin 2009