Archive pour avril, 2008

Le muguet

« Il est revenu le temps du muguet Comme un vieil ami retrouvé Il est revenu flâner le long des quais Jusqu’au banc où je t’attendais Et j’ai vu refleurir L’éclat de ton sourire Aujourd’hui plus beau que jamaisLe temps du muguet ne dure jamais Plus longtemps que le mois de mai Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés Pour nous deux rien n’aura changé Aussi belle qu’avant Notre chanson d’amour Chantera comme au premier jour »

 C’est l’occasion, en reprenant les premiers vers de cet hymne au muguet, de rendre hommage à son auteur Francis Lemarque. Chanteur engagé, il écrivit de nombreux succès dont l’inoubliable « A Paris », popularisés notamment par Yves Montand. Ironie de la mort, ils reposent côte à côte au cimetière du Père Lachaise.

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Le muguet de mai est une plante herbacée et vivace des régions tempérées dont les fleurs forment des grappes de clochettes blanches très odorantes. Il se multiplie facilement dans la fraîcheur des sous-bois grâce à son rhizome traçant. Il se cultive aussi à l’ombre des jardins.
Sa tige unique est une hampe glabre dressée supportant la grappe de fleurs et penchant assez fortement. De la base, s’élèvent généralement deux feuilles, d’une longueur de 10 à 20 centimètres, finissant en pointe.
Au moment de la fructification, à partir de juillet, les clochettes blanches sont remplacées par des baies rouges.
Le muguet est une plante qu’il faut apprécier avec les yeux et le nez mais en aucun cas goûter. Fleurs et fruits, tige et feuilles sont particulièrement toxiques.

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Son appellation latine de Convallaria Majalis indique qu’il pousse en mai dans les vallées.
Son nom français connu dans les textes du Moyen Age sous la forme de mugue et musguet, puis mugade et muguette, est un dérivé de musc et muscade, sans doute en raison de son parfum.
On lui connaît une multitude de noms souvent très poétiques comme clochette des bois, grelot et grillet en raison de sa fleur en forme de campanule, lys des vallées, amourette, larmes de Sainte Marie. La légende voulant qu’Apollon ait tapissé le mont Parnasse, de muguet pour que les neuf muses ne se blessent pas en marchant, est à l’origine du sobriquet de Gazon de Parnasse.
Après le « daffodil » de la jonquille, je ne résiste pas à vous livrer sa savoureuse traduction anglaise de « Lily of the valley ». Cela aurait pu être une héroïne balzacienne, c’est presque le titre de l’un de ses romans.
En Picardie, on appelle parfois « muguet bleu », la jacinthe des bois.
Dès le XVIème siècle, le muguet était un parfum très apprécié des hommes et, jusqu’au XIXème siècle, il servait à désigner un homme très élégant.
« Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides. Muguet n’était encore qu’un adolescent médiocre lorsqu’il tourna l’angle de la rue de Ségur. » C’est ainsi qu’Antoine Blondin (dont je vous ai déjà entretenu pour ses chroniques sur le Tour de France) entame « L’Europe buissonnière », son roman insolent sur la seconde guerre mondiale. Muguet et les autres personnages traversent l’Europe mais leurs seules conquêtes sont des femmes. Avec un esprit de légèreté et sa légèreté d’esprit, Blondin narre les aventures de Muguet, héros picaresque, revenant de guerre comme d’une escapade : « Muguet avait un verre dans le nez. L’ivresse créait un boulevard sous ses pas. A ses côtés, Benjamin marchait dans le scintillement des enseignes lumineuses.
-L’avenir est à la publicité, pensa Muguet ; en quoi il se trompait lourdement, car on verra par la suite que l’avenir était promis à la clandestinité. Mais pourquoi l’auraient-ils pressenti ? La lune était au-dessus d’eux, comme une réclame pour le ciel : Chez Dupont, tout est bon ; chez le bon Dieu, tout est mieux.

-C’est beau, dit Muguet, elle est pleine…
-Tu es rond !
-Elle est ronde…
-Non, Benjamin, je suis lucide.
La lune évoquait en lui l’idée de perfection. Il trouvait l’optimisme suspendu en ses contours gracieux et toute une métaphysique : à la fois, Dieu, vu par les Français, et un symbole de la femme lisse et hypocrite.
-Moi, dit Benjamin, je la trouve loin. Si on allait plutôt au bordel ? »

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Depuis très longtemps, le muguet est associé au mois de mai même si cette année, du fait de la douceur hivernale, on le trouve précoce dans les jardins.
Autrefois, on dressait devant chez quelqu’un, des « arbres de mai », des mâts enrubannés et décorés de muguet et d’aubépine, en signe d’honneur ou d’amour.
Au Moyen Age, en mai, mois des « accordailles », on accrochait un brin au-dessus de la porte de la bien-aimée.
C’est en 1561 que le roi Charles IX instaure la tradition du muguet du 1er mai. En ayant reçu à cette date, l’idée le séduisit et il décida d’en offrir aux dames de la cour en guise de porte-bonheur. De son règne, il est plus plaisant de retenir cette mesure que le massacre des protestants à la Saint-Barthélemy.

« … Le premier Mai, c’est pas gai,
Je trime a dit le muguet,
Dix fois plus que d’habitude,
Regrettable servitude,
Muguet, sois pas chicaneur,
Car tu donnes du bonheur,
Pas cher à tout un chacun,
Brin d’ muguet, tu es quelqu’un … »

Dans son « Discours aux Fleurs », Georges Brassens, avec talent et humour, associe le muguet au 1er mai, jour de la fête du travail.
Le 20 juin 1889, le congrès de la IIème Internationale socialiste, réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, décide de faire du 1er mai, un jour de lutte à travers le monde, avec pour revendication, la journée de huit heures. Dès 1890, les manifestants arborent à la boutonnière, un triangle rouge symbolisant leur objectif de 8 heures de travail, 8 heures de sommeil et 8 heures de loisirs. Bientôt, le triangle est remplacé par une fleur d’églantine puis en 1907, par un brin de muguet.
Le 24 avril 1941, la fête des travailleurs est officiellement déclarée fête du Travail et le 1er mai devient jour chômé. En avril 1947, c’est désormais, un jour férié et payé.
Ce jour-là, par une réglementation depuis 1936, les vendeurs de muguet, particuliers et associations, fleurissent au coin des rues. Pour répondre à la demande d’une nombreuse clientèle, la culture du muguet se pratique de manière intensive, dans la région nantaise.
Lorsque je me trouvais le 1er mai, chez mes parents, la sonnette ne cessait pas de tinter. Ma maman était choyée, par ses ex collègues et de nombreuses anciennes élèves, de pots de muguet qu’elle replantait souvent. J’ai encore la mémoire olfactive de ce coin de jardin ombragé qui embaumait chaque année un peu plus.
Je me souviens aussi dans mon enfance, d’une chanson dite réaliste :

« … Voilà mon cher petit homme
Tout ce qui t’attend
Parc’que j’ai croqué la pomme
Un jour de printemps
C’est peut-être une folie
Mais si tu voyais
Comm’ ta maman est jolie
Tu me pardonn’rais
D’avoir été à Chaville
Cueillir du muguet. »

Treize ans plus tard, ils fêtèrent peut-être leurs « noces de muguet » !… « Tout çà parc’ qu’au bois d’Chaville, y avait du muguet. » !
Cinquante après, avec l’urbanisation galopante et la pollution, je crains qu’à Chaville comme à Saint-Cloud, Meudon, Clamart, Vincennes, dans les « bois de mon cœur » de Brassens, il n’y ait plus guère de petites fleurs aux clochettes blanches.
Cependant, je suis persuadé que ce 1er mai encore, vous saurez offrir le brin porte-bonheur aux personnes qui vous sont chères. Si vous le glanez dans les bois, cueillez-le avec précaution sans arracher ses rhizomes qui portent les racines sous peine de ne pas le voir refleurir l’an prochain… ce serait dommage !

 

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Publié dans:Almanach, Leçons de choses |on 30 avril, 2008 |4 Commentaires »

Supplique pour être enterré sur une plage de Sète

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La Camarde qui ne m’a jamais pardonné,
D’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez,
Me poursuit d’un zèle imbécile.
Alors cerné de près par les enterrements,
J’ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille.
Trempe dans l’encre bleue du Golfe du Lion,
Trempe, trempe ta plume, ô mon vieux tabellion,
Et de ta plus belle écriture,
Note ce qu’il faudra qu’il advint de mon corps,
Lorsque mon âme et lui ne seront plus d’accord,
Que sur un seul point : la rupture.
Quand mon âme aura pris son vol à l’horizon,
Vers celle de Gavroche et de Mimi Pinson,
Celles des titis, des grisettes.
Que vers le sol natal mon corps soit ramené,
Dans un sleeping du Paris-Méditerranée,
Terminus en gare de Sète.
Mon caveau de famille, hélas ! n’est pas tout neuf,
Vulgairement parlant, il est plein comme un œuf,
Et d’ici que quelqu’un n’en sorte,
Il risque de se faire tard et je ne peux,
Dire à ces braves gens : poussez-vous donc un peu,
Place aux jeunes en quelque sorte.
Juste au bord de la mer à deux pas des flots bleus,
Creusez si c’est possible un petit trou moelleux,
Une bonne petite niche.
Auprès de mes amis d’enfance, les dauphins,
Le long de cette grève où le sable est si fin,
Sur la plage de la corniche.
C’est une plage où même à ses moments furieux,
Neptune ne se prend jamais trop au sérieux,
Où quand un bateau fait naufrage,
Le capitaine crie : « Je suis le maître à bord !
Sauve qui peut, le vin et le pastis d’abord,
Chacun sa bonbonne et courage ».
Et c’est là que jadis à quinze ans révolus,
A l’âge où s’amuser tout seul ne suffit plus,
Je connu la prime amourette.
Auprès d’une sirène, une femme-poisson,
Je reçu de l’amour la première leçon,
Avalai la première arête.
Déférence gardée envers Paul Valéry,
Moi l’humble troubadour sur lui je renchéris,
Le bon maître me le pardonne.
Et qu’au moins si ses vers valent mieux que les miens,
Mon cimetière soit plus marin que le sien,
Et n’en déplaise aux autochtones.
Cette tombe en sandwich entre le ciel et l’eau,
Ne donnera pas une ombre triste au tableau,
Mais un charme indéfinissable.
Les baigneuses s’en serviront de paravent,
Pour changer de tenue et les petits enfants,
Diront : chouette, un château de sable !
Est-ce trop demander : sur mon petit lopin,
Planter, je vous en prie une espèce de pin,
Pin parasol de préférence.
Qui saura prémunir contre l’insolation,
Les bons amis venus faire sur ma concession,
D’affectueuses révérences.

 

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Tantôt venant d’Espagne et tantôt d’Italie,
Tous chargés de parfums, de musiques jolies,
Le Mistral et la Tramontane,
Sur mon dernier sommeil verseront les échos,
De villanelle, un jour, un jour de fandango,
De tarentelle, de sardane.
Et quand prenant ma butte en guise d’oreiller,
Une ondine viendra gentiment sommeiller,
Avec rien que moins de costume,
J’en demande pardon par avance à Jésus,
Si l’ombre de sa croix s’y couche un peu dessus,
Pour un petit bonheur posthume.
Pauvres rois pharaons, pauvre Napoléon,
Pauvres grands disparus gisant au Panthéon,
Pauvres cendres de conséquence,
Vous envierez un peu l’éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la vague en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances.
Vous envierez un peu l’éternel estivant,
Qui fait du pédalo sur la plage en rêvant,
Qui passe sa mort en vacances.

Georges BRASSENS (1966)

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Georges Brassens est décédé,le 29 octobre 1981, à Saint-Gély du Fesc , petit village entre Sète et Montpellier. Il fut inhumé, le lendemain, à Sète dans l’intimité de ses amis. Il repose dans le caveau familial, au cimetière du Py dit cimetière des pauvres, et non au cimetière marin cher à Paul Valéry.

Une stèle érigée sur la plage de la Corniche rend hommage à « l’éternel estivant »..

 

Publié dans:Poésie de jadis et maintenant |on 29 avril, 2008 |3 Commentaires »

De La Villette au canal Saint-Martin … flânerie le long des canaux de Paris

« Le canal a de la mémoire, en été comme en hiver ». Écoutant Prévert, j’entreprends dans la douceur printanière d’une journée hivernale, de flâner le long des berges de la Villette jusqu’aux abords de la Place de la République, au risque de plonger dans la nostalgie du Paris des Doisneau, Carné et Simenon.
Paris est la seule ville française propriétaire d’un réseau fluvial qui s’étire sur plus de 130 kilomètres en traversant les départements de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, de l’Oise et de l’Aisne. Il se compose du canal Saint-Denis (6,6km), du canal de l’Ourcq (97km) et du canal Saint-Martin (4,5km).
Ma promenade commence derrière la Cité des sciences et de l’industrie, à hauteur de la Géode, une sphère en acier, réfléchissant la lumière, de 36 mètres de diamètre. On y projette des films au format IMAX sur un écran hémisphérique de 1000 mètres carrés … Cinéma du futur !

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Le canal rectiligne traverse le parc de la Villette parsemé de sculptures modernes. Au loin, dans l’azur du ciel, se détachent les Grands Moulins de Pantin, une friche industrielle en cours de réhabilitation. Dans ce décor moderne, des enfants goûtent au charme forain des chevaux de bois.

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Bientôt, j’assiste à la manœuvre d’une péniche, à la confluence des canaux Saint-Denis et de l’Ourcq puis m’engage le long de la première partie du bassin de la Villette. Ce bassin, tronçon aval du canal de l’Ourcq, s’inscrit dans un projet, initié par Napoléon Bonaparte et réalisé par l’architecte Pierre-Simon Girard à partir de 1802, afin d’alimenter en eau potable les fontaines parisiennes.

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Deux paisibles pêcheurs taquinent, avec un succès mitigé, le poisson de rivière. Aimables, ils me déclinent une litanie de poissons et crustacés, susceptibles d’être pêchés, une trentaine d’espèces au total dont le brochet, la carpe, le sandre, le gardon, la tanche, la brème et … l’écrevisse et la crevette d’eau douce.

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Sous l’Empire, le dimanche, les notables de l’époque se promenaient le long des berges de ce qu’on appelait « la petite Venise parisienne ». Plus tard, le paysage de ce bassin, devenu site important de transit fluvial, se modifia avec l’aménagement des quais. Le trafic atteint 400 000 tonnes en 1839, 1 300 000 tonnes en 1880 puis 2 000 000 de tonnes en 1900. La disparition des abattoirs dans les années 1970 sonne le glas des activités de transit en net déclin depuis 1900.

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Aujourd’hui, seules quelques rares façades souvent murées et taguées témoignent du passé portuaire des rives vouées de nouveau à la promenade. Au pied de la passerelle de la rue de l’Ourcq, une enseigne « Studio Marcel Carné » surmonte l’entrée d’un immeuble voué aux travaux des images numériques, clin d’oeil actuel à un cinéma du passé que nous aurons bientôt l’occasion d’évoquer.

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J’approche de la rue de Crimée qui enjambe le canal par un curieux pont qui pourrait constituer un décor inquiétant de film de série noire. Ce pont mobile, classé monument historique, fut construit en 1885 par la société Fives-Lille lors de l’élargissement et l’approfondissement du canal. Il s’agit d’une rareté technologique car c’est le premier pont à soulèvement parallèle hydraulique mû par l’eau sous pression. Une passerelle accolée au pont, permet aux piétons de franchir le canal pendant les manœuvres et offre un remarquable point de vue sur la perspective du bassin et sur les colonnes et les poulies massives du système de levage.

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Immédiatement au-delà du pont, se dressent, côté quai de Loire, les entrepôts désaffectés des Magasins Généraux. Ils étaient réservés au stockage du sucre, des grains et des alcools. A l’origine, ils étaient formés de deux corps de bâtiments, de chaque côté du canal, reliés par une passerelle à hauteur du troisième étage. Un incendie en 1990 a complètement détruit celui du quai de Seine. Jean-Jacques Beineix y tourna quelques plans de son film culte « Diva ».

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J’accède à la seconde partie du Bassin de la Villette en passant devant un curieux magasin « Vélo et Chocolat » au concept différent. Vous pouvez y louer une bicyclette pour suivre la voie de halage et vous réchauffez au retour avec un savoureux chocolat.
La promenade baptisée « Signoret-Montand», avec ses pêcheurs, ses joueurs de pétanque et de ping-pong, ses jeux d’enfants, ses pique-niqueurs, rappelle « l’atmosphère » (pourquoi ai-je choisi ce mot ?) de détente et de promenade qui égayait ces lieux au début du XIXe siècle.
Sur le plan d’eau, des rameurs évoluent dans leurs kayaks et canoës, autour des quelques péniches et bateaux de plaisance qui empruntent encore la voie fluviale.

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À quai, sont amarrées quelques péniches destinées aux spectacles ainsi que des vedettes de promenade aux noms  d’Arletty et Marcel Carné (encore !), noms illustres du « cinéma de papa ». Accosté le long de la promenade Jean Vigo, le bateau électrique « Zéro de conduite » fait la navette pour les cinéphiles, clients d’un complexe cinématographique peu banal (avec librairie spécialisée et restaurant). En effet, deux bâtiments jumeaux se font face sur les deux rives, dans l’ossature d’anciens entrepôts industriels construits à partir de charpentes métalliques d’Eiffel pour l’Exposition Universelle de 1878.

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Un néon lumineux d’un visage féminin « Sinéma, les anges sont avec toi » éclaire la façade de l’un d’eux. 39 mots graffiti très colorés habillent les pignons du bâtiment d’en face : cinéma, art, amour, lumière, démocratie, résistance, vérité, révolte, liberté, désir ….

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La façade est « taguée » de 31 citations cultes propres à réveiller les souvenirs des cinéphiles : « T’as de beaux yeux tu sais », Gabin et Morgan, « Y connaît pas le Raoul », les Tontons Flingueurs, « Et mes seins ? », Brigitte Bardot dans le Mépris, « Atmosphère », encore !!! …
Quelques pigeons picorent indifférents aux « oiseaux sont des cons », clin d’œil à Chaval, proféré par Bernard Blier dans « Buffet froid »

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Assis sur un banc, trêve dans ma promenade urbaine, je ne résiste pas à vous dérider en vous délivrant les dialogues de cette inénarrable fable de l’absurde dans une « campagne humide ».
« Respirez à fond, oxygénez-vous, profitez-en. Pour une fois qu’il ne pleut pas.
-J’sens plus mes pieds
-Moi non plus
-Vous avez mis vos grosses chaussettes de laine ?
-Deux paires
Allons faire un tour, ça nous réchauffera
-Non merci, les sous-bois ça m’inspire pas. J’préfère avancer en terrain découvert. Elle m’angoisse cette forêt.
On avait qu’si le temps s’levait, on irait faire une cueillette.
-Une cueillette de quoi ?
-De champignons !
-Le mec qui m’fera bouffer des champignons, il est pas encore né. D’ailleurs, il va pleuvoir.
-Buvons un coup d’rouge.
-Y m’fout l’estomac en l’air leur picrate, il est trop vert.
-Vous êtes chiants les gars !
-C’est pas nous qui sommes chiants, c’est la nature qui est chiante, j’m’emmerde moi, j’en ai marre de la verdure ! Tout est vert !
-Si seulement la cheminée tirait correctement, on pourrait faire un bon feu »
-Pour s’enfumer comme hier soir ?
-Y’avait du vent
-Mon cul l’vent, c’est une cheminée à la con, point final.
-Un feu, théoriquement, c’est fait pour chauffer non ?
-Evidemment.
-Bon, alors comment voulez-vous qu’on se chauffe, puisqu’il faut ouvrir toutes les fenêtres pour faire partir la fumée !
-A mon avis ça vient du bois
-Qu’est-ce qu’il a le bois ?
-Ben il est humide.
-Tout est humide, j’ai jamais vu un coin aussi humide. Le soir quand j’me couche mes draps sont humides, le matin quand j’me réveille j’peux plus arquer, j’suis qu’une douleur, tu parles d’une cure, j’suis moisi !
-Faudrait venir l’été.
-Sans moi !
-Pour l’instant c’est l’hiver et on s’les gèle !
-Vous êtes vraiment des compagnons très agréables.
-Parce que tu peux nous raconter qu’tu t’sens bien dans ce trou ?
-Et pourquoi pas, je respire, l’air est pur, tout est calme, j’me détends.
-Parce que tu trouves ça calme toi ?
-Ben oui.
-Ben merde alors. Avec tous ces oiseaux à la con, y trouve ça calme !
-Tu préfères les bagnoles ?
-Peut-être ! Y commencent à me taper sur le système ces oiseaux ! … »

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Dans une rue adjacente, je remarque une tente « quechua », ultime trace des « enfants de Don Quichotte » qui survécurent quelques mois sur la berge.
Un cliché rafraîchissant de l’échappée vers le Parc de La Villette à travers les embruns des jets d’eau de la fontaine qui barre la bassin et je longe l’écluse Jaurès, premier des neuf paliers qui compensent les 26 mètres de dénivelée jusqu’à la Seine.
Avec l’effervescence du carrefour de Stalingrad et son métro aérien, le canal semble entrer véritablement dans Paris.
De fait, la Rotonde, pavillon construit par l’architecte Ledoux en 1784, abritait les gardes d’octroi de l’enceinte des fermiers généraux. L’octroi était une taxe d’entrée que l’on devait payer pour faire entrée une marchandise dans Paris et le mur d’enceinte, construit en 1785, une barrière destinée à éviter contrebande et fraude.
Des drapeaux rouges frappés de la faucille et du marteau, déroulés à l’occasion d’une manifestation communiste, masquent les noms des anciens pavillons douaniers, gravés dans la pierre des vestiges du mur d’enceinte.

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Après la traversée délicate du tumultueux rond-point de Stalingrad, je trouve la quiétude des bords du canal Saint-Martin. A hauteur du café « L’Ephémère », un coup d’œil fugace sur un poste des sapeurs-pompiers et les camions de la propreté de Paris qui stationnent là, avant que, bientôt, ne résonne sous l’arche du pont suivant le solo mélancolique d’un saxophoniste.

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Puis, je contourne, par le mini square Varlin, l’écluse dite des « morts » en souvenir de la proximité d’un très ancien cimetière mérovingien et du tristement célèbre gibet de Montfaucon, potence des rois de France, qui inspira à François Villon, sa « Ballade des Pendus » :

« Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous merci,
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six,
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre. »

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Rappelant l’activité marinière d’antan, quelques bars et restaurants « L’Ecluse », « Le Chaland », « L’Atmosphère » (décidément !), plus ou moins « branchés », ont remplacé les vieux bistrots.
J’imagine le temps où les péniches débarquaient du sable devant les usines Exacompta et Clairefontaine aux noms évocateurs pour les gratteurs de papier
Soudain, le long du quai de Jemmapes, le canal s’incurve vers la gauche devant les vitrines colorées des magasins Antoine et Lili.
Avec la double écluse des Récollets, j’entre dans l’Histoire du cinéma. Sous l’élégante passerelle, Amélie Poulain aimait faire des ricochets sur l’onde étale du canal quand elle ne brisait pas la croûte des crèmes brûlées avec le dos de la cuillère.

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Ce jour-là, sur le pont de la Grange aux Belles, s’engage une improbable limousine, voiture de stars dans un décor mythique. Respirons fort : « Ma vie n’est pas une existence, si tu crois que mon existence est une vie ». Je grimpe les escaliers, avec un brin d’émotion, jusqu’au sommet de la passerelle. A travers les feuillages clairsemés au-dessus de l’écluse, j’entrevois « L’Hôtel du Nord ».

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« Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » … Enfin, nous y sommes, soixante dix ans après, ma compagne et moi en lieu et place d’Arletty, Madame Raymonde la prostituée, et Louis Jouvet, Monsieur Edmond, son protecteur !!!, dans l’une des plus célèbres répliques du cinéma français.
Magie du cinéma, le film de Marcel Carné a été, quasi-intégralement, tourné aux studios de Boulogne-Billancourt où l’hôtel et le canal furent reconstitués grâce au talent du décorateur Alexandre Trauner. Paradoxalement, grâce au film, le « vrai » Hôtel du Nord a été classé monument historique en 1989 pour le protéger de la démolition … ou quand la fiction vient au secours de la réalité !

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De l’autre côté du pont tournant, Garance, l’enseigne d’un bistrot relooké « bobo », répond en écho au buste du comédien Frédérick Lemaître, érigé à quelques dizaines de mètres de là. Clin d’œil à cet autre chef d’œuvre de Carné, « Les enfants du Paradis » dans lequel Garance Arletty se laisse séduire par un acteur prometteur Frédérick Lemaître joué par Pierre Brasseur.
Je vous rassure, les berges, à cet endroit, n’ont rien d’un « Boulevard du Crime » et au contraire, offrent une gracieuse enfilade d’écluses et passerelles métalliques aux arabesques art-déco., souvent immortalisée par les touristes photographes.

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Ici, s’achève la partie à ciel ouvert du canal qui s’enfonce sous terre vers le sud. En effet, sous le second empire, le préfet Haussmann, voulant créer le boulevard du Prince Eugène (aujourd’hui, Boulevard Voltaire), se heurta à la présence du canal qui aurait nécessité la construction d’un pont mobile. Pour remédier au problème, l’ingénieur Belgrand déplaça les écluses de la Bastille, deux kilomètres en amont, à hauteur de la rue du Faubourg du Temple, abaissant ainsi dans ce tronçon, le canal d’environ cinq mètres. L’approfondissement du canal supprimant toute activité portuaire, Haussmann commanda la couverture du canal, entre 1860 et 1862, au moyen d’une voûte, créant ainsi le Boulevard Richard Lenoir.
La croisière dans l’obscurité de la partie souterraine, est très insolite avec les « Echos de Lumière », œuvre d’un photographe japonais, qui a imaginé une succession d’arcs-en-ciel et de volutes produits par des projecteurs qui se déclenchent à l’approche du bateau. Deux kilomètres plus loin, nous sortons des entrailles du canal, éblouis par la lumière du port de l’Arsenal. La Seine est toute proche.
Il est temps de rebrousser chemin qui, bien évidemment, est aussi long au retour .. les moins courageux peuvent préférer emprunter la ligne 7 du métro.

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Auparavant, je jette un coup d’œil vers le square Jules Ferry et son kiosque à musique, gardé par la statue de « La Grisette de 1830 », une jeune fille du Paris pittoresque d’autrefois. La grisette est l’appellation poétique d’une jeune ouvrière ou vendeuse ambulante ou encore d’une jeune fille aux mœurs légères qui incarnait l’esprit de liberté parisien.
Je me souviens, au début des années 1980, d’avoir été l’un des curieux privilégiés ayant pu assister au nettoyage et au curage du canal avec l’appréhension de découvertes macabres.

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Me revient en mémoire « M’as-tu vu en cadavre ? », une bande dessinée de Tardi, adaptation d’une aventure de Nestor Burma qui déambule quai de Jemmapes et emprunte l’écluse des Récollets.
J’ai omis de vous dire pour ne pas vous effrayer … Ce matin, au départ de ma balade, « je l’ai eu » mon cadavre que venaient de repêcher les policiers sur une rive du canal Saint-Denis !
Que cela ne vous rebute pas ! Ecoutez Prévert, le canal a de la mémoire, été comme hiver, printemps comme automne, le soir comme le matin !

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Publié dans:Ma Douce France |on 19 avril, 2008 |1 Commentaire »

Etre supporter du PSG … ou d’ailleurs

 

Le coup de coeur du jour ressemble à un coup de gueule.

Nul citoyen français, même étranger à la chose sportive, ne peut ignorer « l’affaire » de la banderole ignoble déployée par quelques dizaines d’énergumènes à l’encontre des Ch’tis lors de la finale de la Coupe de la Ligue de football tant le battage médiatique, depuis deux semaines, a été poussé à son paroxysme.

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Au-delà du caractère odieux et misérable de cet acte éminemment condamnable, il faut bien constater la profonde faux cuterie du monde politico-médiatique et des instances sportives.
En effet, le fait est loin d’être exceptionnel et beaucoup de messages aussi insultants ont fleuri dans les stades français sans qu’ils aient été stigmatisés, ni même parfois signalés.
Ainsi, lors d’un derby récent, les « supporters » lyonnais commirent à l’égard de leurs « rivaux » stéphanois, quelques calicots tels que « Stéphanois ordures consanguines » (tiens aussi !) et « Les Gones inventaient le cinéma quand vos pères crevaient dans les mines » !
Dans une tribune bordelaise, on a pu lire aussi « Parisiens, l’hiver vous polluez nos montagnes, l’été vous polluez nos plages, aujourd’hui vous polluez notre stade, dégagez ! »
La liste des slogans à caractère injurieux et raciste proférés dans les stades, pourrait être fort longue et écornerait probablement quasiment tous les clubs de football professionnels.
Alors, au nom de quelle bonne conscience se révolte t-on cette fois-ci tandis que la dérive est ancienne ? L’hypocrisie demeure au sein même de l’issue à donner à l’affaire présente tant les autorités sportives et politiques sont ennuyées sur les sanctions à prendre. En effet, enlever des points dans le championnat au club parisien reviendrait à signifier sa descente en division inférieure. A l’époque du « foot business », il serait très dommageable d’un point de vue économique, qu’il n’y ait aucun club de la capitale dans l’élite. Très récemment, les clubs de Metz et Bastia ont été condamnés pour des faits racistes avec beaucoup plus de célérité et moins de compassion. Rappelez-vous Jean de La Fontaine et « Les animaux malades de la peste », « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » ! …
Loin de moi ici, l’intention de faire une exégèse sur les dérives du sport spectacle, des chercheurs en sociologie du sport le font avec beaucoup plus de talent.
L’amoureux du sport, école de la vie parfois, que je suis, se contentera d’évoquer quelques anecdotes qui ont jalonné cinquante ans de fréquentation des enceintes sportives.
Le Petit Larousse définit le « supporter » comme « partisan d’une équipe qu’il encourage exclusivement ». Je suis tombé sur le web, sur une définition humoristique et caricaturale en écho aux débordements actuels : « personnage dodu, niais et ivrogne, se manifestant dans les rangs du public lors de compétitions de football, en en perturbant le déroulement par des vociférations, des jets de bouteilles et de pétards » et l’on pourrait ajouter la confection de banderoles grossières !
Je vous en livre une autre que j’ai envie d’endosser: « supporter : encourager, soutenir (verbe)/amateur, passionné (substantif) ». C’est dans cet esprit que mon père m’emmena, dès l’âge de cinq ans, sur les gradins du stade des Bruyères de Rouen, aujourd’hui baptisé stade Robert Diochon. Il ne se départait pas de sa mission d’éducateur au quotidien et m’inculqua le respect envers les deux équipes et les arbitres. Mes seules manifestations étaient des « Allez Rouen » d’encouragement pour ceux qu’on surnommait les « Diables Rouges » et des applaudissements pour les actions enthousiasmantes des vingt deux joueurs.
C’était un temps où les matches se déroulaient le dimanche après-midi à 15 heures.
Nous avions une sympathie particulière pour les joueurs du F.C.R (Football Club de Rouen) qui portaient les couleurs du club phare de notre région normande (avec le Havre Athletic Club) et qui nous étaient familiers puisque évoluant régulièrement sous nos yeux. Le football n’envahissait pas « les étranges lucarnes » comme aujourd’hui. Aucun match de championnat n’était télévisé.
C’est dire la curiosité que suscitait la venue de « l’équipe visiteuse ». Mes yeux d’enfant s’écarquillaient quand apparaissaient, en chair et en os, sur la pelouse, ceux dont nous ne connaissions les faits et gestes qu’à travers les commentaires épiques des reporters de radio et la lecture des revues hebdomadaires comme France-Football en noir et blanc, et Miroir Sprint de couleur bistre.
Les joueurs ne s’échauffaient pas sur le terrain. Soudain, émergeant du tunnel à ras de la pelouse, apparaissaient en pleine lumière (pas toujours en Normandie, je reconnais !) ces maillots mythiques vierges de toute publicité : celui cerclé ciel et blanc du Racing Club de Paris, le rouge à manches blanches avec un liseré tricolore du Stade de Reims, le bleu marine à scapulaire (j’aimais ce terme synonyme de chevron) blanc des Girondins de Bordeaux.
Comment ne pas applaudir le chatoyant jeu « à la rémoise » des Kopa, Fontaine, Piantoni ? Pourquoi aurions-nous dû accompagner chaque dégagement du gardien de but visiteur d’une insulte ? En ce temps là d’ailleurs, le Stade de Reims, ambassadeur du football français dans les compétitions internationales, était ovationné sur tous les terrains de l’hexagone et jouait ses matches de Coupe d’Europe à Paris, dans un Parc des Princes acquis à sa cause. Imaginez un instant que l’Olympique de Marseille joue à Paris …
Je considérais comme un privilège et un honneur que ces « artistes du ballon rond » viennent jusqu’à nous. Nous étions ravis quand le petit poucet rouennais terrassait l’ogre d’en face et, lorsque le conte se terminait mal, nous repartions tout de même heureux avec plein d’images dans la tête.
Certes, le tableau n’était pas compètement idyllique. Il n’était pas rare qu’à la suite d’une décision arbitrale néfaste à l’équipe rouennaise, des noms d’oiseaux (c’était le terme pudibond) déferlent des tribunes .. jamais, je ne m’y associais ! … Et puis, j’ai le souvenir d’une anecdote qui trotte dans ma tête depuis près de cinquante ans. Une fois, nous nous retrouvâmes dans la tribune auprès d’un collègue enseignant de mon père. Patientant avant le coup d’envoi, ils devisaient sérieusement tous les deux sur je ne sais quel sujet de pédagogie … survint le premier coup de sifflet de l’arbitre en défaveur des couleurs rouennaises qui, en écho, déclencha la première salve d’insultes de la part de ce professeur. Il en fut ainsi tout le long de la rencontre, les seuls retours au calme étant celui de la mi-temps et immédiatement après le coup de sifflet final en quittant les travées du stade … ce voisin intempestif pensait peut-être déjà à la séquence d’instruction civique du lendemain matin !
L’enfance puis l’adolescence passèrent sans que je me départisse de mon flegme ( vous avez remarqué qu’il est toujours britannique) et de mon fair-play (il n’est britannique que lorsque les anglais gagnent !).
Coïncidence, à l’aube des années 1970, le club du Paris-Saint-Germain naquit après des années de disette de football dans la capitale suite à la disparition du Racing, tandis que mon activité professionnelle m’amena en Ile-de-France. Le projet me séduisit puisqu’il était initié par une bande d’amoureux du jeu offensif parmi lesquels Just Fontaine, un des membres de la grande époque rémoise (qui m’avait fait rêver enfant) et de l’épopée de la Coupe du Monde en Suède. Ainsi, durant la saison de la montée en première division, je rejoignis régulièrement le vétuste stade du Camp des Loges. Ma place de prédilection était contre la main courante à un mètre derrière le but. L’ambiance était bon enfant, champêtre même… « Une certaine idée du football » pour reprendre, le leitmotiv du Miroir du Football, un mensuel de l’époque, d’essence communiste.
L’année suivante, le PSG prit possession du Parc des Princes, nouvellement reconstruit. Le jeu prévalait sur l’enjeu. Malgré cela (ou à cause de !), la récompense fut une demi finale de Coupe de France à Reims contre Lens, déjà ! A cette occasion, avec deux amis, nous décidâmes d’aller « supporter notre équipe » à bord d’une automobile dépourvue de tout signe distinctif de notre sympathie pour elle (pas même un fanion au rétroviseur !). Vers Château-Thierry, un véhicule bruyant parvint à notre hauteur avec à son bord, quelques passagers aux couleurs « sang et or » se rendant manifestement au même endroit que nous, pour des raisons « opposées ». Malencontreusement, mon ami, assis sur la banquette arrière, intrépide ou inconscient, saisit une écharpe bleue et rouge et l’agita à la vitre transformant, sous la vindicte nordiste, une manifestation pacifique en un gymkhana dangereux et ordurier. Je compris, ce jour-là, le danger que pouvait revêtir d’avoir un penchant pour une équipe.
Nous arrivâmes bientôt à la fin des « seventies ». La télévision avait la fièvre verte, le mercredi soir. Toute la France encourageait les « Verts » à l’occasion des rencontres européennes. Mis en condition par les commentaires de Thierry Roland, investis d’une mission de « douzième homme », les spectateurs transformaient le stade en chaudron de manière à effrayer l’équipe adverse.
Le « foot fric » se développait et le PSG s’engluait dans une sombre affaire de double billetterie. Cependant, l’amoureux du jeu trouvait encore son compte en voyant évoluer des artistes à l’esprit irréprochable, Rocheteau un ex-« ange vert », Dahleb, Susic, plus tard, le brésilien Raï.
Comme le public devenait de plus en plus nombreux, la location des places devenait de plus en plus délicate. Ainsi, de fidèle spectateur, je devins abonné avec sur ma carte, la mention « supporter du PSG ».
Côté jardin, sur le plan du spectacle offert, durant trente ans, il y eut des moments enthousiasmants dans des ambiances festives, avec en point d’orgue, au début des années 1990, la venue des plus grands clubs européens, Barcelone, le Réal Madrid, le Milan A.C, le Bayern de Munich, la Juventus de Turin avec à sa tête, Platini stupidement sifflé car appartenant au camp opposé !

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Côté tribunes, ce fut de moins en moins réjouissant. Au début, je fréquentais le virage Boulogne niveau bas, une tribune familiale, tranquille. Son confort se dégrada avec le jet d’objets divers parfois dangereux provenant de l’étage supérieur. Nous nous installâmes alors au niveau haut du même virage. Le climat s’y détériora avec la répétition d’exactions de plus en plus violentes à caractère raciste ; aussi, nous nous réfugiâmes dans le virage opposé d’Auteuil. C’était encore une travée populaire, sans animosité, où l’on pouvait s’asseoir en compagnie de sympathisants de l’équipe adverse. Puis, des « corps constitués » de supporters parfois antagonistes, s’en emparèrent progressivement rendant l’atmosphère irrespirable. Il fut temps de nous replier vers la tribune K, l’un des derniers havres populaires à peu près tranquilles.
L’entrée dans le stade devint également de moins en moins conviviale avec la mise en place de fouilles et palpations faisant d’un débonnaire spectateur, un délinquant potentiel. Les bouteilles d’eau furent orphelines de leurs bouchons. Il fallut même se résigner à se tremper les soirs de pluie car l’accès avec un parapluie fut prohibé. Il y avait bien la possibilité de le confier à une consigne mais vous imaginez les problèmes pour le récupérer, à la sortie, parmi un millier de pépins !
Une fois, je crus vivre un instant de magie dans les yeux brillants de bonheur d’un petit maghrébin à qui j’avais offert un billet que je possédais en trop. Je déchantais rapidement … éconduit par un guichetier qui le soupçonnait d’avoir dérobé l’heureux sésame, l’enfant revint me voir attristé ! Cela s’arrangea.
Il m’arriva d’effectuer quelques déplacements en « supporter libre » car il était hors de question de m’associer aux convois organisés tant la logistique qui les régissait, me semblait détestable et incongru dans un cadre sportif. Pour être parvenu tôt aux abords du stade de Caen, je fus effaré du dispositif de sécurité mis en place digne du transfert d’un grand criminel au Palais de justice.
Une horde de motards et de véhicules de gendarmerie avaient « accueilli » les cars de supporters au péage de Dozulé à une quinzaine de kilomètres, puis accompagné, toutes sirènes hurlantes, au milieu d’une circulation arrêtée, jusqu’au stade vide. Les cars pénétrèrent dans l’enceinte et vinrent stationner au pied d’un escalier. Encadrés par des CRS et des « stewards » , les supporters prirent alors place dans la tribune qui leur était réservée, complètement protégée d’un filet anti-projectile !
Cinquante ans plus tard, un mal insidieux avait rongé la passion qu’avait inoculée un père au petit enfant des Bruyères et de Colombes. Depuis 2005, je n’hante plus les travées du Parc des Princes !
Deux anecdotes encore. La première date de l’époque où je pratiquais dans un modeste club normand amateur. Notre dernier match de la saison nous emmena rejouer une rencontre interrompue par un épais brouillard comme il en existe parfois dans la vallée de l’Eure alors que le score était de 7 à 2 en notre faveur. « L’enjeu était capital » puisque nous étions seconds à un point du leader, un club voisin de trois kilomètres de l’adversaire du jour, lui-même lanterne rouge. Vous me suivez ?
Il n’y eut sans doute pas d’enveloppe enterrée dans un jardin, au pire quelques bouteilles de champagne en prime, en tout cas, les joueurs d’en face métamorphosés, nous tenaient en échec à quelques minutes de la fin … lorsque l’arbitre nous accorda un penalty flagrant qui nous permit d’accéder à la division supérieure.
Il fallut extraire l’arbitre cadenassé dans son vestiaire aux airs de « cabane au fond du jardin ». Un « supporter » surexcité avait mis le feu à quelques fétus de paille placés au pied de la guérite en bois. La connerie n’est pas d’aujourd’hui !
Le second témoignage procède du canular. Il fut un temps où les relations entre les instances dirigeantes du football et la télévision, n’étaient pas aussi harmonieuses qu’aujourd’hui, au point d’interdire toute retransmission sur les écrans. Trois farceurs entreprirent de confectionner une banderole revendiquant plus de football à la télévision, et de la suspendre dans une tribune du Parc, ce qui ne manquait pas de cocasserie puisque nous étions des habitués inconditionnels des tribunes et que cette mesure ne nous nuisait aucunement. Notre initiative totalement individuelle eut les honneurs de nombreux journaux qui, à l’appui de la photographie, développèrent dans leurs colonnes, tout un argumentaire autour de la frustration du monde sportif dans sa grande majorité.

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Pour conclure mes tribulations de supporter par un rayon de soleil, j’emprunterai quelques couplets pleins d’humour à la gloire du rugby, sport de convivialité (pour combien de temps encore ?), entonnés dans ma jeunesse par les Frères Jacques :

Quand l’équipe de Perpignan
S’en va jouer à Montauban
Ils engrossent évidemment
Quelques filles de Montauban
Mais quand l’équipe de Montauban
S’en va jouer à Perpignan
Ben ils engrossent c’est évident
Quelques filles de Perpignan

Les fils des filles de Perpignan
Faits par les joueurs de Montauban
Font du rugby quand ils sont grands
Dans l’équipe de Perpignan
Mais les fils des filles de Montauban
Faits par ceusses de Perpignan
Ben ils font du rugby quand ils sont grands
Dans l’équipe de Montauban

Et c’est pour ça que quand Perpignan
S’en va jouer à Montauban
Et Montauban à Perpignan
Et Perpignan et Montauban
Ben se demandent si Perpignan
Ne joue pas contre Perpignan
Et Montauban contre Montauban

Honneur aux forts
C’est la loi du sport
Allez vas-y mon petit
C’est ça le rugby.

Voilà une vision du sport pacifiste et festive.

Publié dans:Coups de coeur |on 11 avril, 2008 |1 Commentaire »

Le 6 avril 2008, la Centenaire

Le 6 avril 1199, meurt Richard Cœur de Lion suite à ses blessures au siège de Chalus dans le Limousin. Son cœur repose dans la cathédrale de Rouen.
Le 6 avril 1250, Saint Louis, roi de France, est fait prisonnier en Egypte sur la route de la VIIe croisade.
Le 6 avril 1520, meurt le grand peintre Raphaël.
Le 6 avril 1768, le navigateur Bougainville débarque à Tahiti et prend possession de l’île au nom du roi de France Louis XV.
Le 6 avril 1814, l’Empereur Napoléon Ier signe son abdication au château de Fontainebleau avant d’être transféré bientôt à l’île d’Elbe.
Le 6 avril 1820, naît Nadar, le grand photographe et aérostier français.
Le 6 avril 1896, le triple sauteur James Connolly devient le premier médaillé d’or des Jeux olympiques de l’ère moderne.
Le 6 avril 1909, l’explorateur américain Robert Peary est le premier homme à atteindre le pôle Nord.
Le 6 avril 1917, le Congrès américain vote l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés de la France contre l’Allemagne.
Le 6 avril 1924, le parti fasciste de Benito Mussolini remporte pour la première fois, les élections législatives italiennes.
Le 6 avril 1944, la Gestapo, sous le commandement de Klaus Barbie, arrête 44 enfants juifs à l’orphelinat d’Izieu dans l’Ain, qui seront envoyés à Drancy puis au camp d’Auschwitz.
Le 6 avril 2000, décède Habib Bourguiba, ancien président de la République tunisienne.
Le 6 avril 2005, meurt le Prince Rainier III de Monaco.
Le 6 avril 2008, ma chère tante Reine, la « soeurette » de ma maman (comme elle t’appelait) tu es la reine de cette journée. Tu souffles, aujourd’hui, tes 100 bougies. Dans quelques jours, je te rejoindrai. Nous irons déjeuner au bord de l’étang de Thau puis, comme à chacune de mes visites, nous ferons une promenade, bras dessus bras dessous, au petit port de la Pointe Courte. Très affectueusement.

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En ce jour de fête, je vous offre cette merveilleuse chanson de la canadienne Linda Lemay :

La Centenaire

Ça fait cent longs hivers
Que j’use le même corps
J’ai eu cent ans hier
Mais qu’est-ce qu’elle fait la Mort?

J’ai encore toute ma tête
Elle est remplie de souvenirs
De gens que j’ai vu naître
Puis que j’ai vu mourir

J’ai tellement porté de deuils
Que j’en ai les idées noires
J’suis là que j’me prépare
Je choisis mon cercueil

Mais l’docteur me répète
Visite après visite
Qu’j'ai une santé parfaite
Il est là qui m’félicite

J’ai vu la première guerre
Le premier téléphone
Me voilà centenaire
Mais bon qu’est-ce que ça m’donne?

Les grands avions rugissent
Y’a une rayure au ciel
C’est comme si l’Eternel
M’avait rayé d’sa liste

Ca fait cent longs hivers
Que j’use le même corps
J’ai eu cent ans hier
Mais qu’est-ce qu’elle fait la mort

Qu’est-ce que j’ai pas fini
Qu’y faudrait que j’finisse
Perdre un dernier ami
Enterrer mes p’tits fils

J’ai eu cent ans hier
Ma place n’est plus ici
Elle est au cimetière
Elle est au Paradis

Si j’méritais l’Enfer
Alors, c’est réussi
Car je suis centenaire
Et j’suis encore en vie

Moi j’suis née aux chandelles
J’ai grandi au charbon
Bien sûr que j’me rappelle
Du tout premier néon

J’ai connu la grande crise
J’allais avoir trente ans
J’ai connu des églises
Avec du monde dedans

Moi j’ai connu les chevaux
Et les planches à laver
Un fleuve tellement beau
Qu’on pouvait s’y baigner

Moi j’ai connu le soleil
Avant qu’il soit dangereux
Faut-il que je sois vieille
Venez m’cherchez Bon Dieu

J’ai eu cent ans hier
C’est pas qu’j'ai pas prié, mais
Ca aurait tout l’air
Que Dieu m’a oubliée

Alors j’ai des gardiennes
Et des nouveaux visages
Des amis de passage
Payés à la semaine

Elles parlent un langage
Qui n’sera jamais le mien
Et ça m’fait du chagrin
D’avoir cinq fois leur âge

Et mille fois leur fatigue
Immobile à ma fenêtre
Pendant qu’elles naviguent
Tranquilles sur Internet

C’est vrai j’attends la mort
Mais c’est pas qu’je sois morbide
C’est qu’j'ai cent ans dans le corps
Et j’suis encore lucide

C’est que je suis avide
Mais qu’y'a plus rien à bord
Que mon passé déborde
Et qu’mon avenir est vide

On montre à la télé
Des fusées qui décollent
Est-ce qu’on va m’expliquer
Ce qui m’retient au sol

Je suis d’une autre école
J’appartiens à l’histoire
J’ai eu mes années folles
J’ai eu mes heures de gloire

J’ai eu un bon mari
Et tant de beaux enfants
Mais tout le monde est parti
Dormir au firmament

Y’a que moi qui veille
Qui vit, qui vit encore
Je tombe de sommeil
Mais qu’est-ce qu’elle fait la Mort?

 

 

Publié dans:Almanach, Portraits de famille |on 6 avril, 2008 |2 Commentaires »

Les cols buissonniers en Pyrénées: le Menté et le Portet d’Aspet

Aujourd’hui, la flânerie dans « ma douce France », emprunte des chemins escarpés.
A l’apogée de ma carrière infiniment modeste de cycliste du dimanche (et des autres jours !), au cœur du mois d’août, après avoir aiguisé ma forme, d’abord dans les côtes de la vallée de Chevreuse en région parisienne, ensuite dans les longs « raidards » du Couserans et du Volvestre, j’avais plaisir à filer (le mot est très impropre en ce qui me concerne !) vers la Haute-Garonne et les cols les plus proches de la ferme familiale ariégeoise.
Le mot de « col » évoque à lui seul, tout ce qui parle à un cycliste: « l’effort, le paysage, la légende. Se déplacer, se dépasser, se souvenir. »
Vers le chemin du col, je suis rapidement à l’ouvrage sous le soleil souvent brûlant de l’été, et pour parodier les calembours d’Antoine Blondin, chantre de la littérature sportive, je ne suis pas à la noce dès Figarol et, à hauteur des ruines du château de Montespan, l’amoureux de la « petite reine », hait la célèbre marquise ! Il est vrai qu’il faut digérer la « musette » copieuse servie à midi, au contrôle de ravitaillement roboratif de la ferme avant d’avaler le plat à venir : au menu, au choix, le col de Portet d’Aspet ou le col de Menté.
Avant de vous conter mes pérégrinations pédalantes, je vous rassure de suite, je ne vous impose aucun supplice masochiste et vous pourrez goûter aux deux plats dans le confort douillet des sièges de votre automobile plutôt que sur une selle. Il m’arrive d’utiliser aussi ce moyen de locomotion sur ces routes, alors au parfum de contrebande, au retour d’un approvisionnement en alcool et tabac à la frontière espagnole toute proche.

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D’Ouest en Est, en une soixantaine de kilomètres, vous passez du Luchonnais et la vallée de la Garonne au Comminges et la vallée du Ger via le col de Menté (1349 m) puis vous enchaînez, par le col de Portet d’Aspet (1069 m) jusqu’au Saint-Gironnais et la vallée du Salat. La partie proprement montagneuse est située en Haute-Garonne ; nous ne retrouvons le département de l’Ariège que peu avant le village de Saint-Lary alors que la grimpée est beaucoup plus douce.Nous traversons « le pays de l’ours ». Les quelques ursidés de Slovénie réimplantés dans les Pyrénées, fréquentent souvent les sommets alentours … quand ils ne descendent pas aux portes des villages. Ils sont d’ailleurs lâchés dans la forêt d’Arbas à un vol de gypaète barbu du sommet du Portet d’Aspet. Rassurez-vous, je n’ai pas encore vu le touriste qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ! La sculpture stylisée de l’un d’eux garde la route vers le Menté au centre de Saint-Béat, marchepied du col.

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Deux kilomètres plus loin, la pente s’accentue soudain dans la traversée de la petite commune de Boutx. La chaussée assez large bordée de sapinières offre de vastes échappées vers la vallée de la Garonne et les montagnes entourant Luchon. Vers le haut, les lacets s’enchaînent et, à 4 kilomètres du sommet, à hauteur d’un virage en épingle à cheveux, une plaque de marbre scellée dans la paroi rocheuse attire l’attention.

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Nous entrons dans la légende du Tour de France en ce lieu marqué par la terrible chute du maillot jaune Luis Ocaña, le 12 juillet 1971. Pour l’évoquer, référons-nous aux élans lyriques d’Antoine Blondin dans ses chroniques du journal L’Equipe :
« Luis Ocaña n’était peut-être pas intrinsèquement le meilleur de la course, mais il en était le soleil, formant d’ailleurs avec l’astre lui-même un couple indissociable, dont la chaleur et le rayonnement complémentaires nous éblouissaient depuis quatre jours. Il aura suffi que le ciel se couvre durant vingt minutes sur les Pyrénées pour qu’un bref cyclone, aux dimensions d’un cataclysme, couche au sol notre bel épi gorgé de lumière, qui s’apprêtait pourtant à retrouver là son terreau et son terroir de prédilection (le col du Portillon situé en partie en Espagne) …Le déluge fut, dit-on, envoyé sur la terre en punition de la folie des hommes. Depuis la veille, il régnait effectivement une certaine démence sur les premiers rangs du Tour de France … Comme le parcours devait s’offrir, hier après-midi, un petit tronçon dans la province de Lerida, on appréhendait le pire, un conflit entre la Belgique et l’Espagne, l’une envahissant l’autre pour une sorte de kermesse héroïque à rebours, où des affronts vieux de trois siècles se fussent lavés … Sur les pentes du Portet d’Aspet, les deux chefs (Merckx et Ocaña) avaient jeté les bases d’un duel au soleil qui livrerait un verdict capital à Luchon. C’est alors que les nuages commencèrent à s’accrocher aux branches des sapins, plongeant la vallée dans cette atmosphère électrique et glauque qui prélude au tonnerre de Dieu. Suivirent deux ou trois éclairs mous, puis ce fut, en un instant, le typhon ravageur, la route coupée par des cataractes ou les charriant devant soi, le paysage comme secoué par un immense sanglot. On n’y voyait pas à un mètre, des chocs sourds ébranlaient les véhicules…
Les favoris, dans le col de Mente, s’étaient frileusement regroupés pour former un peloton de Noé, comme on dit l’arche, où chaque espèce était représentée : un Bic (Ocaña), un Molteni (Merckx), un Sonolor (Van Impe), un Flandria (Zoetemelk), un Mercier (Guimard)… non pas en vue de la reproduction, mais dans l’attente du rameau d’olivier qu’une colombe ne manquerait pas de leur tendre, quand les eaux se retireraient.
Au moment où l’arc-en-ciel s’annonça, Ocaña gisait dans l’ambulance, et les habitants de Saint-Béat applaudissaient, en pleurant, au passage de son convoi terriblement silencieux. »

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Ainsi, le fier hidalgo ibérique qui possédait plus de sept minutes d’avance au classement général, voyait ruinés tous ses espoirs de mettre fin à la suprématie du « cannibale » Eddy Merckx.
Au sommet du col, une autre stèle rend hommage à Serge Lapébie, membre d’une illustre famille de coureurs cyclistes, décédé accidentellement. Une épreuve cyclotouriste à son nom ainsi que la course professionnelle « La Route du Sud » franchissent régulièrement cette difficulté.
De l’autre côté de la route, vous pouvez vous restaurer ou vous désaltérer sous les frais ombrages d’une accueillante auberge. A la saison hivernale, dans le chenil contigu, se prélassent quelques chiens de traîneau. La Soulan est le point de départ des pistes de ski de fond de la station du Mourtis située quelques centaines de mètres plus haut, ainsi que de nombreux sentiers de randonnées pédestres qui vous aménent vers le Pic du Cagire ou le Tuc de l’Etang.

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Après avoir dépassé la sapinière, la descente offre quelques jolis panoramas vers la vallée et les lacets serrés de la route qui constituent d’excellents postes d’observation lors du passage du Tour.

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Musardez quelques instants dans la petite chapelle de Ger de Boutx et son cimetière attenant, avant de plonger vers le village de Couledoux. Ce nom prédestiné pour des vacances paisibles dans les gîtes qu’il propose aux estivants, ne manque pas d’ironie pour le cycliste comme moi, qui entame en sens inverse, une raide ascension de dix kilomètres.

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Vous me retrouvez en papy cycliste faisant de la résistance aux faux plats montants à hauteur du village d’Aspet. Clin d’œil au peintre Raoul Dufy et à l’écrivain Roland Dorgelès, réfugiés à Montsaunès pendant la guerre 1939-1945 qui, avertis de leur prochaine arrestation par la Gestapo s’y cachèrent. Dorgelès, le célèbre auteur des « Croix de bois », consacra dans « Vacances forcées » quelques pages à l’hospitalité du docteur Jauréguiberry, alors maire d’Aspet.
Après avoir rempli mon bidon de l’eau très fraîche gazouillant à la pittoresque fontaine au centre du village, je m’engouffre bientôt dans le secteur de Henne-Morte. Ce coin regorge de nombreux gouffres et notamment le réseau Trombe, découvert à partir de 1956 par le spéléologue Norbert Casteret, long de plus de 30 kilomètres et profond de 880 mètres.
Le pont de l’Oule, enjambant le torrent du Ger, est en vue ; il est temps de choisir : tout à droite, en direction du col de Menté ou tout à gauche, vers l’Est, à l’assaut du col de Portet d’Aspet. J’adopte, le plus souvent, cette seconde option qui me permet plus tard de replonger vers l’Ariège.

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Me voilà face à un véritable mur, la pente accusant immédiatement une déclivité de 17% qu’un excellent revêtement en enrobé rend désormais plus « roulante ». J’y ai cassé une chaîne, secouru par un automobiliste hospitalier. Ma monture se cabrant, je fis installer un triple plateau.
La légende des cycles resurgit. Ces quelques centaines de mètres, tel un triangle des Bermudes, semblent maudits, quand il s’agit de les descendre.
Le Portet d’Aspet a été l’un des premiers cols franchis par le Tour de France. En 1910, Octave Lapize officialisa les noces du Tour avec les Pyrénées , en passant au sommet en tête. Des champions mythiques comme Gino Bartali, Federico Bahamontès et Charly Gaul l’imitèrent par la suite.
En 1934, on y vécut le remake de l’étape précédente Perpignan-Ax-les-Thermes avec le sacrifice de René Vietto offrant sa roue à son leader en jaune Antonin Magne victime d’une chute.
Dans le Tour 1973, Raymond Poulidor plonge dans le ravin. Blondin encore, … « Descendant le Portet d’Aspet à corps perdu, montant dans l’ambulance à son corps défendant, les circonstances et le climat de son renoncement participent de la même tradition héroïque. Ils ajoutent à la légende de celui qui déclarait naguère combien, contre les apparences, il estimait avoir eu de la chance dans sa carrière ».

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Ce même jour, Luis Ocaña conjurant le sort funeste de 1971, au-delà du Portet d’Aspet et du Menté, arrive en vainqueur à Luchon, bâtissant sa future victoire finale à Paris.
Un jour d’avril 1991, je fus dépassé, au volant de ma voiture, au sommet, par Laurent Fignon s’entraînant avec ses coéquipiers de l’équipe Castorama. Ils disparurent vite de mon champ de vision avant de les retrouver en bas à l’arrêt, l’un d’eux ayant basculé à son tour dans le précipice, heureusement sans gravité.

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Et puis … bien que « piochant », je lève le nez de mon guidon vers le côté gauche de la route : sur le parapet en pierre, un bouquet de fleurs artificielles surgit d’un vase en cuivre. Ici, le 18 juillet 1995, lors de la quinzième étape Saint-Girons-Cauterets, la vie de Fabio Casartelli s’arrêta à la sortie de ce virage manqué. Non loin de là dans la montée, en retrait de la route, un mémorial en marbre gris et blanc lui rend hommage. Il représente une grande roue qui s’épanouit en drapeau olympique. Le sculpteur italien a imaginé un cadran astronomique pour que la lumière puisse pénétrer par le trou et se projeter sur le sol, chaque 18 juillet.

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L’ascension moins raide sur les quatre derniers kilomètres s’effectue dans un cadre oppressant de feuillages épais et sombres qui ajoute à la dramaturgie du lieu.
Le sommet dégagé est le point de départ, au milieu des pâturages, d’une excursion vers le Pic de Paloumère.
A cet instant de « mon » étape du jour, une douce sensation m’envahit devant le large panorama qui s’étend au sud vers le Pic de la Calabasse. J’ai vaincu un des « juges de paix » qui appartiennent à la légende du Tour de France. Il ne me reste plus qu’à basculer vers la vallée et rejoindre tranquillement la ferme distante d’environ cinquante kilomètres.

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Ce versant ouest est un ravissement pour les adeptes d’un tourisme vert qui y trouveront de nombreux gîtes de caractère. On y traverse un chapelet de villages très typiques, blottis en fond de vallée en bordure de la Bouigane qui sinue à fleur des prairies verdoyantes, ou nichés à flanc de montagne à « la soulane ». Ils portent des noms chantants : Portet d’Aspet (on prononce « ette » ici) comme le col éponyme, Saint-Lary, Augirein, Galey, Orgibet, Augistrou, Illartein, Aucazein, Argein, Audressein et son sabotier d’art.

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Les maisons harmonieuses mêlent le schiste noir local à une pierre blanche, donnant un curieux effet à damier. Elles ne possèdent pas de balcons, par contre, les toits d’ardoise en forte pente, s’embellissent de nombreuses lucarnes, « lous capoucinous ».
Les églises sont souvent surmontées d’un clocher-mur dans lequel sont percées des baies pour loger les cloches.

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Je me la coule douce à hauteur du panneau « Terre courage » qui annonce le retour dans le département de l’Ariège. De tous les obstacles de montagne qu’ils franchissent, les champions cyclistes considèrent que les plus « coriaces » sont le Ventoux, le Puy-de-Dôme et … le Portet d’Aspet. Du courage, je n’en manque jamais lorsque j’escalade ce dernier.

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Mon secret ? Quelques substances dopantes comme l’eau claire des fontaines, le savoureux fromage de montagne, la charcuterie et le miel du pays. Vous trouverez tous ces produits en vente libre lorsque vous viendrez respirer l’air très pur de ces cols et vallées.

Les propos d’Antoine Blondin sont tirés de son ouvrage « Tours de France, chroniques de L’Equipe 1954-1982 », aux éditions de la Table Ronde, qu’il rédigeait souvent revêtu d’un maillot de rugby du Stade Montois offert par les frères Boniface.
Antoine Blondin était un remarquable écrivain. Il reçut le Prix Interallié pour Un singe en hiver roman adapté au cinéma avec pour acteurs principaux Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo. Il obtint le Goncourt de la nouvelle pour son recueil « Quat’saisons » et fut récompensé pour l’ensemble de son œuvre par le Grand Prix de l’Académie Française.
Ses billets sur chaque étape du Tour De France, étaient des bijoux de littérature. Il aimait leur donner un titre en maniant le calembour. Je ne résiste pas au plaisir de vous en délivrer quelques-uns : « Du pin et des jeux » (une étape dans les Landes), « L’as Hassen frappe toujours deux fois », « L’Iliade et Le Dissez », « Dur à Thuir », « Le Zubero et l’infini », « Le Soulor de la peur ».

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans:Ma Douce France |on 3 avril, 2008 |1 Commentaire »

Poisson d’avril

« Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privé, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier.
Donné à Roussillon, le neufiesme lour d’aoust, l’an de grace mil cinq cens soixante quatre. Et de notre régne de quatriesme. Ainsi signé le Roy en son Conseil. »

C’est par cet Edit de Roussillon, signé le 9 août 1564, dans cette commune de l’Isère, sous le règne de Charles IX roi de France, que le 1er janvier a été ordonné premier jour de l’année.
Jusqu’alors, le calendrier était flou et les états et provinces commençaient l’année civile à une date variable autour du 1er avril qui marquait le début du printemps.
La légende veut que certains sujets protestèrent contre le chamboulement du calendrier (les nouvelles circulaient moins vite et il n‘y avait pas internet) et s’entêtèrent à célébrer le 1er avril 1565. Pour se moquer d’eux, des facétieux leur offrirent à cette occasion, de faux cadeaux et leur jouèrent quelques tours pendables. Avec le temps, les petits cadeaux se transformèrent en farces et canulars.
Voilà une hypothèse à l’origine du poisson d’avril que les enfants continuent à accrocher, malicieusement, dans le dos des adultes

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Publié dans:Almanach |on 1 avril, 2008 |2 Commentaires »

valentin10 |
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