Le muguet
« Il est revenu le temps du muguet Comme un vieil ami retrouvé Il est revenu flâner le long des quais Jusqu’au banc où je t’attendais Et j’ai vu refleurir L’éclat de ton sourire Aujourd’hui plus beau que jamais. Le temps du muguet ne dure jamais Plus longtemps que le mois de mai Quand tous ses bouquets déjà se sont fanés Pour nous deux rien n’aura changé Aussi belle qu’avant Notre chanson d’amour Chantera comme au premier jour … »
C’est l’occasion, en reprenant les premiers vers de cet hymne au muguet, de rendre hommage à son auteur Francis Lemarque. Chanteur engagé, il écrivit de nombreux succès dont l’inoubliable « A Paris », popularisés notamment par Yves Montand. Ironie de la mort, ils reposent côte à côte au cimetière du Père Lachaise.
Le muguet de mai est une plante herbacée et vivace des régions tempérées dont les fleurs forment des grappes de clochettes blanches très odorantes. Il se multiplie facilement dans la fraîcheur des sous-bois grâce à son rhizome traçant. Il se cultive aussi à l’ombre des jardins.
Sa tige unique est une hampe glabre dressée supportant la grappe de fleurs et penchant assez fortement. De la base, s’élèvent généralement deux feuilles, d’une longueur de 10 à 20 centimètres, finissant en pointe.
Au moment de la fructification, à partir de juillet, les clochettes blanches sont remplacées par des baies rouges.
Le muguet est une plante qu’il faut apprécier avec les yeux et le nez mais en aucun cas goûter. Fleurs et fruits, tige et feuilles sont particulièrement toxiques.
Son appellation latine de Convallaria Majalis indique qu’il pousse en mai dans les vallées.
Son nom français connu dans les textes du Moyen Age sous la forme de mugue et musguet, puis mugade et muguette, est un dérivé de musc et muscade, sans doute en raison de son parfum.
On lui connaît une multitude de noms souvent très poétiques comme clochette des bois, grelot et grillet en raison de sa fleur en forme de campanule, lys des vallées, amourette, larmes de Sainte Marie. La légende voulant qu’Apollon ait tapissé le mont Parnasse, de muguet pour que les neuf muses ne se blessent pas en marchant, est à l’origine du sobriquet de Gazon de Parnasse.
Après le « daffodil » de la jonquille, je ne résiste pas à vous livrer sa savoureuse traduction anglaise de « Lily of the valley ». Cela aurait pu être une héroïne balzacienne, c’est presque le titre de l’un de ses romans.
En Picardie, on appelle parfois « muguet bleu », la jacinthe des bois.
Dès le XVIème siècle, le muguet était un parfum très apprécié des hommes et, jusqu’au XIXème siècle, il servait à désigner un homme très élégant.
« Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides. Muguet n’était encore qu’un adolescent médiocre lorsqu’il tourna l’angle de la rue de Ségur. » C’est ainsi qu’Antoine Blondin (dont je vous ai déjà entretenu pour ses chroniques sur le Tour de France) entame « L’Europe buissonnière », son roman insolent sur la seconde guerre mondiale. Muguet et les autres personnages traversent l’Europe mais leurs seules conquêtes sont des femmes. Avec un esprit de légèreté et sa légèreté d’esprit, Blondin narre les aventures de Muguet, héros picaresque, revenant de guerre comme d’une escapade : « Muguet avait un verre dans le nez. L’ivresse créait un boulevard sous ses pas. A ses côtés, Benjamin marchait dans le scintillement des enseignes lumineuses.
-L’avenir est à la publicité, pensa Muguet ; en quoi il se trompait lourdement, car on verra par la suite que l’avenir était promis à la clandestinité. Mais pourquoi l’auraient-ils pressenti ? La lune était au-dessus d’eux, comme une réclame pour le ciel : Chez Dupont, tout est bon ; chez le bon Dieu, tout est mieux.
-C’est beau, dit Muguet, elle est pleine…
-Tu es rond !
-Elle est ronde…
-Non, Benjamin, je suis lucide.
La lune évoquait en lui l’idée de perfection. Il trouvait l’optimisme suspendu en ses contours gracieux et toute une métaphysique : à la fois, Dieu, vu par les Français, et un symbole de la femme lisse et hypocrite.
-Moi, dit Benjamin, je la trouve loin. Si on allait plutôt au bordel ? »
Depuis très longtemps, le muguet est associé au mois de mai même si cette année, du fait de la douceur hivernale, on le trouve précoce dans les jardins.
Autrefois, on dressait devant chez quelqu’un, des « arbres de mai », des mâts enrubannés et décorés de muguet et d’aubépine, en signe d’honneur ou d’amour.
Au Moyen Age, en mai, mois des « accordailles », on accrochait un brin au-dessus de la porte de la bien-aimée.
C’est en 1561 que le roi Charles IX instaure la tradition du muguet du 1er mai. En ayant reçu à cette date, l’idée le séduisit et il décida d’en offrir aux dames de la cour en guise de porte-bonheur. De son règne, il est plus plaisant de retenir cette mesure que le massacre des protestants à la Saint-Barthélemy.
« … Le premier Mai, c’est pas gai,
Je trime a dit le muguet,
Dix fois plus que d’habitude,
Regrettable servitude,
Muguet, sois pas chicaneur,
Car tu donnes du bonheur,
Pas cher à tout un chacun,
Brin d’ muguet, tu es quelqu’un … »
Dans son « Discours aux Fleurs », Georges Brassens, avec talent et humour, associe le muguet au 1er mai, jour de la fête du travail.
Le 20 juin 1889, le congrès de la IIème Internationale socialiste, réuni à Paris pour le centenaire de la Révolution française, décide de faire du 1er mai, un jour de lutte à travers le monde, avec pour revendication, la journée de huit heures. Dès 1890, les manifestants arborent à la boutonnière, un triangle rouge symbolisant leur objectif de 8 heures de travail, 8 heures de sommeil et 8 heures de loisirs. Bientôt, le triangle est remplacé par une fleur d’églantine puis en 1907, par un brin de muguet.
Le 24 avril 1941, la fête des travailleurs est officiellement déclarée fête du Travail et le 1er mai devient jour chômé. En avril 1947, c’est désormais, un jour férié et payé.
Ce jour-là, par une réglementation depuis 1936, les vendeurs de muguet, particuliers et associations, fleurissent au coin des rues. Pour répondre à la demande d’une nombreuse clientèle, la culture du muguet se pratique de manière intensive, dans la région nantaise.
Lorsque je me trouvais le 1er mai, chez mes parents, la sonnette ne cessait pas de tinter. Ma maman était choyée, par ses ex collègues et de nombreuses anciennes élèves, de pots de muguet qu’elle replantait souvent. J’ai encore la mémoire olfactive de ce coin de jardin ombragé qui embaumait chaque année un peu plus.
Je me souviens aussi dans mon enfance, d’une chanson dite réaliste :
« … Voilà mon cher petit homme
Tout ce qui t’attend
Parc’que j’ai croqué la pomme
Un jour de printemps
C’est peut-être une folie
Mais si tu voyais
Comm’ ta maman est jolie
Tu me pardonn’rais
D’avoir été à Chaville
Cueillir du muguet. »
Treize ans plus tard, ils fêtèrent peut-être leurs « noces de muguet » !… « Tout çà parc’ qu’au bois d’Chaville, y avait du muguet. » !
Cinquante après, avec l’urbanisation galopante et la pollution, je crains qu’à Chaville comme à Saint-Cloud, Meudon, Clamart, Vincennes, dans les « bois de mon cœur » de Brassens, il n’y ait plus guère de petites fleurs aux clochettes blanches.
Cependant, je suis persuadé que ce 1er mai encore, vous saurez offrir le brin porte-bonheur aux personnes qui vous sont chères. Si vous le glanez dans les bois, cueillez-le avec précaution sans arracher ses rhizomes qui portent les racines sous peine de ne pas le voir refleurir l’an prochain… ce serait dommage !