Marc GIAI-MINIET peintre emboîteur

Une demeure au charme suranné, la façade mangée par la vigne vierge à la belle saison … nous sommes dans l’ancien village de Trappes, autrefois cité ouvrière des Yvelines, aujourd’hui banlieue à la réputation sulfureuse.
Ce matin, je rends visite à Marc Giai-Miniet, artiste peintre emboîteur. Il m’accueille, la mine joviale comme à son habitude, derrière la porte basse encastrée dans un porche de guingois. Dans la courette aux couleurs pimpantes sous le soleil d’hiver, j’accomplis les quelques pas qui mènent à l’atelier dont l’entrée est gardée par la sculpture grandeur nature d’une femme nue enceinte. L’artiste vit ici dans sa maison natale depuis un peu plus d’un demi-siècle.

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J’ai fait sa connaissance il y a près d’une dizaine d’années lors de la réalisation d’un film sur une étonnante action plastique autour des grenouilles dont je vous entretiendrai dans un billet futur. J’étais venu contempler son batracien rose appareillé d’un masque à gaz. J’eus envie quelques années plus tard, à travers un portrait vidéo, de mettre à jour ce qu’est l’artiste dans son quotidien, son environnement, dans son acte de création, bref tout ce qu’on ignore souvent en amont de l’accrochage des œuvres aux cimaises des galeries d’exposition. Ainsi sont nées une admiration pour son travail et une amitié.
Le seuil du vaste atelier franchi, le charme opère immédiatement. La lumière douce à travers la verrière révèle toiles et boîtes, achevées ou non, qui encombrent de manière anarchique cette caverne d’un Ali Baba plasticien, véritable boîte elle-même tant chaque recoin, chaque étage, chaque mur racontent des histoires et l’histoire de l’artiste. Sur un long établi, s’enchevêtrent bondieuseries, appeaux et multiples objets dérisoires et hétéroclites dont on retrouvera trace peut-être un jour dans l’une des œuvres. L’artiste aime à dire avec humour qu’à travers son amour de la chine et de l’accumulation, il constitue une collection de « Giai-Miniet » comme Picasso faisait une collection de lui-même !

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Aux murs, sont punaisées images et photographies, les ghats de Bénarès, l’observatoire de Jaîpur, des momies et des tombes égyptiennes, des cheminées d’usines en ruines, Yves Montand dans L’aveu, autant d’échos du réel au travail de l’artiste. Les nombreux tiroirs d’un curieux meuble d’imprimeur regorgent de petits portefeuilles d’aquarelles et esquisses à l’encre.

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Le regard accroche vite les peintures monumentales balisant votre chemin dans l’atelier, certaines sur bois ont même été découpées constituant de véritables tryptiques. Le décor est minimaliste et froid, sans profondeur spatiale, des tuyaux, des éléments du bain, cuvettes et baignoires, des armoires remplies de lourds dossiers, des tours. On remarque souvent des petits détails sphériques agissant comme des yeux, des loupes ou des trompes l’œil.
Y évoluent de manière récurrente, d’inquiétants personnages sans bras, emprisonnés dans une sorte de carapace, harnachés de masques à gaz ou décérébrés, ainsi que des petites formes larvaires rappelant les momies égyptiennes. « Tout tourne autour de l’homme, qu’est-ce qui fait qu’on est un homme, suffit-il d’avoir une apparence humaine pour être un homme ? » … Le peintre met en exergue l’immobilisme de l’homme et son impuissance à agir dans le monde. On est dans une constante « métamorphose de l’homme entre animalité et spiritualité ».

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Le « ballet existentiel, dramatique et pessimiste » voire morbide, évoqué par les tableaux, pourrait décourager le profane. Tout le génie de l’artiste, non dénué d’humour, est de nous familiariser avec ces « êtres étranges en attente d’une possible résurrection » comme si derrière la pollution mentale de cette société, percent quelques lueurs d’espoir. Je vous rassure, la toile qui trône dans mon domicile, me procure beaucoup plus de délectation artistique que cauchemar !
De plus en plus, ajoutant une corde à son arc créatif, Marc Giai-Miniet prolonge son travail de peintre par la confection de boîtes auxquelles est consacrée sa dernière exposition « Petits théâtres muets ».
Réminiscence possible de son désir d’adolescent de faire du théâtre ou d’être décorateur de théâtre, les boîtes apportent un éclairage indissociable de sa peinture. D’ailleurs au début de leur invention, on y retrouve les thèmes récurrents avec des petites figurines en forme de momies et de larves, découpées dans du carton, une cervelle, parfois, accrochée au bout de leur trompe. Au fil du temps, les boîtes se sont agrandies et les personnages ont laissé, peu à peu, la place au spirituel et aux outils du savoir de l’homme.

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une boîte et quelques détails

Chaque boîte est un espace clos, frontal, sans perspective, avec plusieurs strates présentées en coupe. Dans la partie supérieure, le « ciel » de la boîte, le blanc synonyme de pureté spirituelle domine avec de grandes bibliothèques où s’empilent des milliers de livres, les ouvrages du savoir, parfois aussi sans doute, ceux du savoir faire le mal. On descend vers le matériel aux étages inférieurs via des escaliers, des tuyaux, des coursives, des couloirs de la mort peut-être. On traverse des salles d’attente, d’interrogatoire, des laboratoires inquiétants, des cellules. Tout devient noir, glauque, angoissant vers des égouts, des fours, des quais de partance. L’artiste exprime « la métaphore douloureuse de la vie des hommes à la fois esprit et matière ».

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À l’inverse des alchimistes qui transformaient le plomb en or et dont il aime beaucoup les ouvrages, Marc fait évoluer son univers du blanc au noir, du brillant au noirci, au rouillé.
Autant les toiles sont peu chargées en formes et appréhendées globalement, autant les boîtes fourmillent de détails qui retiennent l’attention pendant de longues minutes. Elles racontent multiples histoires et proposent au spectateur d’en imaginer d’autres.
Au-delà du propos créatif, il faut saluer la prodigieuse minutie technique du travail de l’artiste. On peut compter par exemple, dans un espace de 20 à 30 centimètres, les centaines de minuscules morceaux de carton découpés, peints, collés pour figurer les rayons des bibliothèques.
On retrouve sans doute des bribes de l’enfance de l’artiste qui se souvient du garage de son père, encombré d ‘objets divers, aux murs noirs et graisseux. On pense aussi aux « années indicibles de notre histoire » et aux camps de concentration qui ont hanté l’esprit des générations d’entre les deux guerres et du « baby boom ».

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une autre boîte et des détails

Je m’attarde, admiratif, devant une nouvelle boîte jamais exposée : dans un hangar en briques, se dresse un peloton de momies telles l’armée de statues des soldats enterrés du premier empereur de Chine.

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Ultime privilège, l’artiste me soumet ce qui sera, peut-être une prochaine orientation de son travail. Il déballe quelques photographies fruits de l’assemblage par ordinateur de nombreux clichés de boîtes. Parmi la multiplicité d’histoires qui naissent avec ce procédé, je savoure l‘humour d’un détail dans lequel une assemblée de Giai-Miniet dans des postures variées semblent attendre le verdict d’un grand oral qui les conduira vers on ne sait quel futur très incertain.

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Midi est proche … Cette promenade dans la création s’achève par un excellent verre de Pouilly fumé.
En effet, même s’il manifeste dans son travail, une certaine fascination pour des choses effrayantes, Marc Giai-Miniet est aussi un bon vivant, amoureux de la vie qui a choisi l’art pour conjurer ses peurs et l’aider à guérir.
Qui sait si tout ne commença pas lorsqu’un instituteur de Trappes, Monsieur Mounier, emmena le petit élève Giai-Miniet à une exposition de reproductions de Rembrandt et lui expliqua le combat de l’artiste jusqu’à sa mort pour défendre ses idées.
Qui sait si parmi les écoliers qui ont le bonheur, parfois, de visiter l’atelier, ne naîtra pas une autre petite graine artistique.
En attendant, , n’hésitez surtout pas à courir à la galerie la plus proche de votre domicile où expose Marc Gai-Miniet peintre emboîteur.

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Expositions à venir : du 21 juin au 14 septembre 2008 à la Maison Elsa Triolet-Louis Aragon à Saint-Arnoult-en-Yvelines (78)

du 4 au 25 avril 2008 dans le Cloître des Archives Départementales du Rhône à Lyon (boîtes et créations numériques) et  du 5 au 26 avril à la Galerie Françoise Souchaud 35 rue Burdeau 69001 Lyon (peinture)

 

 

 

Publié dans : Coups de coeur |le 20 mars, 2008 |1 Commentaire »

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1 Commentaire Commenter.

  1. le 18 avril, 2009 à 18:21 Remlinger jean écrit:

    Salut Marc
    C’est tout à fait par hasard en faisant un nettoyage de printemps je suis tombé sur un vieil article des artistes du
     » Soleil dans la tête  » et je viens de parcourir ton petit livre sur le net, et j’aime beaucoup. Salut à toi à peut- être plus tard.

    Jean

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