Archive pour février, 2008

Michel COFFIN, mon père (époque 3)

L’HOMME PUBLIC

Au sommet de son art d’enseigner, mon père aspire à explorer de nouveaux champs d’activité et se lance dans une intense vie publique.
Le 26 avril 1958, il entre au Conseil municipal de Forges, puis accède au rang d’adjoint au maire le 4 juillet 1966. Il connaît successivement trois maires, Jean Métadier, André Bertrand, puis Pierre Blot dont il sera le proche collaborateur jusqu’en 1989. Il est vain de vouloir décrire en quelques lignes plus de trente années au cours desquelles l’élu a eu la seule volonté de rendre service et non de sublimer une carrière par les honneurs. Beaucoup parmi ceux qui l’ont cotoyé, savent la disponibilité de corps et d’esprit qu’il a manifestée pour le développement de sa ville d’adoption. Je peux prendre conscience de sa vaste contribution à la vie municipale et revivre plus de vingt années d’actualité forgionne en parcourant aujourd’hui les tomes superbement reliés de la « Revue municipale » dont papa est le créateur et le rédacteur à partir de 1972. Cette publication annuelle, abondamment illustrée, exempte de toute publicité, informe les Forgions de l’action de la municipalité. Cependant, le professeur, toujours désireux de cultiver ses lecteurs, leur raconte aussi l’histoire de la ville à travers ses écoles, ses postes et télégraphes, son chemin de fer, son éclairage public, ses rues, ses hommes illustres, sa vie associative, etc… Ce travail immense de recherche et d’écriture permet à ceux qui ont conservé ces attrayantes brochures, de détenir une incomparable « histoire contemporaine de Forges-les-Eaux ».
En 1965, mon père devient le président de l’Office de tourisme de Forges-les-Eaux. Pendant vingt-cinq ans, il multiplie les initiatives pour la reconnaissance touristique du Pays de Bray et de sa capitale. A travers ses écrits, notices, chroniques dans la presse régionale, livres, il révèle les attraits ignorés de la « boutonnière », c’est ainsi que les géographes caractérisent souvent cette région. Le professeur se mue volontiers en guide pour faire découvrir inlassablement la campagne brayonne aux clubs du troisième âge ou aux groupes d’étrangers de passage. Il devient conférencier le temps d’une veillée au Village Vacances Famille. Il s’improvise scénariste et me commande la réalisation d’un vidéogramme « Bien vivre à Forges-les-Eaux » qui sera projeté dans diverses manifestations touristiques et même sur le ferry-boat reliant Dieppe et Newhaven. Il organise des salons artistiques et de nombreuses expositions sur la gravure, la reliure, les affiches, les cartes postales, les vieux métiers. Pendant quinze ans, il est membre du Comité départemental du tourisme. Il est vice-président de « la route de la mer », vice-président, puis président honoraire de l’Association culturelle et touristique du Pays de Bray. Son dévouement et son désintéressement le conduisent à faire don à l’Office de Tourisme de la totalité des bénéfices tirés de la vente de ses ouvrages, outils de développement touristique incomparables. J’ai découvert récemment, en dépliant la carte du Pays de Bray réalisée par l’Institut Géographique National, qu’il en avait écrit la présentation physique. Ainsi, à travers cette modeste contribution, soixante ans après, il avait exaucé et exercé sa vocation manquée.

MAIRIE FORGES GPenregistrement d’une émission de France-inter avec l’animatrice Annik Beauchamps dite Madame Inter

En 1969, il accède à la présidence du Comité Cantonal du Souvenir Français, association civile patriotique née en 1887 de l’action d’un professeur alsacien, Xavier Niessen. Il peut y exprimer pleinement la noblesse d’âme et la générosité de coeur qui l’animent. Pendant vingt-deux ans, l’ancien pupille de la nation, l’ancien officier de réserve, le professeur d’histoire oeuvre inlassablement pour perpétuer sur sa terre brayonne la mémoire des soldats tombés pour la liberté. « Quand il n’y aura plus d’anciens combattants, de déportés et de résistants vivants, il ne restera que le souvenir », répète-t-il souvent. Malgré mon éloignement de Forges, je n’ignore presque rien de sa fonction tant, au cours des repas familiaux, j’ai entendu mon père évoquer avec fierté et volubilité, les cérémonies qu’il organise, les invités parfois venus de l’étranger, le nombre de porte-drapeaux, les programmes musicaux interprétés par l’harmonie, l’entretien de « son » cimetière militaire fleuri de deux cents rosiers. Il invite un ancien soldat américain que son fils rencontre fortuitement au Nouveau Mexique et qui ne connaît de la France, que la seule ville de Forges-les-Eaux pour l’avoir libérée! Sa passion pour l’écriture et l’histoire locale se traduit par la rédaction d’une monographie sur les monuments aux morts du Pays de Bray.
L’activité municipale pléthorique de Papa se prolonge encore dans la présidence de la régie de l’abattoir pendant dix ans et celle du syndicat de ramassage scolaire durant cinq années.
Lors des manifestations publiques qu’il organise, mon père apparaît souvent comme l’homme protée : tour à tour, il est régisseur veillant au bon ordonnancement du protocole, orateur prononçant le discours d’usage, photographe, journaliste écrivant quelques lignes à l’intention de la presse locale ….. quand il ne s’improvise pas agent de la circulation pour permettre au cortège de traverser la chaussée !
L’honorariat de Maire-adjoint lui sera conféré en 1989 par décret préfectoral, après proposition à l’unanimité du Conseil Municipal.

L’ECRIVAIN

En 1976, mon père connaît les premières affres du déclin physique. Victime d’une hernie discale paralysante, il perd définitivement une mobilité importante de ses membres inférieurs qu’il qualifiera souvent de « paquets de chair morte ». Papa, qui jusqu’alors débordait d’activité physique, affronte cette épreuve délicate avec courage. Il réjouit, par sa volonté et son optimisme, le personnel médical et les patients du centre de rééducation. Il faut le voir sillonner à bicyclette, les chemins aux alentours pour tenter de retrouver quelque sensibilité de ses jambes. A travers cette expérience, il conservera une indéfectible admiration pour les métiers de la santé, pas même démentie aux dernières heures de sa vie.
Son handicap physique, plutôt que de le démoraliser, le stimule pour se plonger dans l’écriture des « Promenades en Pays de Bray ». La convergence de plusieurs éléments explique cette aventure. Il s’agit d’abord de l’amour pour un coin de terre normande que ce picard a appris à connaître depuis quarante ans. C’est ensuite le goût pour la géographie et l’histoire locales révélé par la rencontre avec Eugène Anne. La fonction de président du Syndicat d’Initiative de Forges amène aussi mon père à faire découvrir les charmes de cette ville et de ses environs, aux touristes, qui y trouvent beaucoup de plaisir. Papa a commencé l’inventaire des villages brayons à travers des chroniques parues dans la presse locale. De nombreux lecteurs réclament bientôt avec insistance l’édition d’un ouvrage réunissant toutes les « promenades ».

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Pendant dix-huit ans, papa se consacre à la découverte du patrimoine brayon avec une énergie débordante. Comme autrefois, quand il préparait ses cours, je le retrouve aussi assidu à son bureau, consultant des centaines de textes et archives, rédigeant des milliers de lignes. De nouveau, la documentation envahit les placards. En guise de loisirs, il prend le volant pour parcourir les chemins vallonnés, noter les trésors artistiques d’une chapelle, les détails pittoresques d’une ferme ancienne, photographier un puits ou un colombier curieux, compulser un registre municipal, interroger une personne susceptible de fournir des renseignements intéressants. L’ayant vu souvent à l’oeuvre lors de sorties dominicales, j’admirais son esprit de curiosité et sa capacité d’étonnement devant un puits, un calvaire, une chapelle, des choses qui peuvent sembler modestes.
Il devient tout naturellement l’encyclopédiste du Pays de Bray. On le consulte de partout, même de l’étranger, à tous niveaux y compris des experts ou des étudiants en cours de préparation de thèse de doctorat. Sa disponibilité et son goût de partager s’affirment dans des circonstances parfois cocasses. Combien de repas familiaux ont été interrompus par des « rallymen du dimanche » à la recherche de renseignements ! A l’occasion de « Jeux intervilles  » du Pays de Bray, en tant que membre de « l’équipe culturelle », il fut soumis au feu des questions de Guy Lux et Léon Zitrone!
Il fut invité à un salon des écrivains normands à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres de Rouen. Quel chemin parcouru par l’ancien normalien de la rue Saint-Julien !
Cette passion de l’écriture totalement bénévole constitue le prolongement évident de sa mission d’enseignant. Grâce à une méthode pédagogique attrayante, la promenade, et un style à la portée de tous, il parvient à faire connaître et aimer aux Brayons (à d’autres aussi) les richesses insoupçonnées de leur région.
Papa nous avouait que ses livres constituaient « le but et l’oeuvre de sa vie ». Précurseur en ce domaine, il était heureux de l’effervescence culturelle qui jaillit ces dernières années dans le Pays de Bray.
L’émotion m’étreint quand, au fil de mes flâneries, je croise une personne contemplant une curiosité touristique de ma région natale, un exemplaire des « Promenades » à la main.

SES LOISIRS

En dépit de ses activités multiples, mon père n’occultait pas le temps des loisirs. Le petit écran n’étant pas encore entré massivement dans les foyers pour « nous faire rêver », bien avant les vagues déferlantes de « juilletistes » et « aoûtiens », son esprit de curiosité le porta à voyager avec son automobile dans de nombreux coins de France et d’Europe. Je crois n’avoir jamais ressenti de joies enfantines aussi pleines que lors de ces départs en vacances vers des horizons inconnus. Comme le chantait Charles Trénet, « On est heureux, Nationale 7, route des vacances….. »!
En dépliant récemment quelques unes de ces fameuses cartes Michelin à la couverture orange et bleue, j’imaginais l’ancien militaire spécialiste de la cartographie jubilant dans la préparation de ses itinéraires qui dégageaient parfois un parfum d’expédition. En 1949, le franchissement des cols alpins au volant de la majestueuse « Rosalie » ne fut pas, paraît-il, de tout repos.
Tout était prétexte à se cultiver. En présence d’une curiosité géologique, le professeur de géographie nous déclinait son cours. Lors de la visite d’un château ou d’un musée, l’historien complétait les explications du guide. Pour nous empêcher « d’oublier », l’ancien combattant nous amenait sur les « lieux de mémoire » comme le camp de déportation de Dachau et le cimetière militaire d’Arlington. Le sportif voulait entrer dans les stades mythiques des Jeux Olympiques. Pour mieux comprendre le régime d’un pays, le citoyen cherchait le dialogue avec la population . Quelle éducation active ! L’habitude que papa avait de marcher très rapidement en avant des autres, caractérisait de manière amusante sa soif de découverte.
Apothéose en 1968, mon père partit en retraite et …… vers le Nouveau Monde. Au volant d’une « belle américaine » de location, la famille effectua le « coast to coast » de New York à Los Angelès et retour. L’homme de tradition garda un souvenir ébloui de cette traversée des grands espaces américains. Ce fut son dernier grand voyage . L’essor de la télévision et des voyages organisés, l’uniformisation des modes de vie banalisaient trop l’aventure à son gré. Il s’intéressa plutôt aux beautés inexplorées ….. de la campagne brayonne pour lesquelles il trouvait, de manière touchante, presque plus de charme.
Mon père prolongeait son goût des voyages en collectionnant les cartes postales qu’il recevait. Comme s’il voulait figer le temps, quelques semaines avant sa disparition, il rangea, au grenier, dans des cartons à chaussures, ces milliers de photographies de paysages et monuments qui constituaient autant de témoignages d’amitié.
Papa « voyageait » encore à travers sa collection de timbres. Evidemment, il conservait précieusement toutes les enveloppes originales qu’on lui adressait du monde entier et il se spécialisa dans l’acquisition des nouveautés philatéliques de France et de la principauté de Monaco, ainsi que les spécimens évoquant le sport.
Bien avant l’avènement de notre civilisation de l’image, mon père pratiqua la photographie et le cinéma. S’il sacrifiait comme chacun d’entre nous au culte de la photo de famille, son intérêt se portait surtout vers le « documentaire » et le reportage. C’était le moyen de conserver des traces de ses voyages, de ses activités scolaires et péri-scolaires, de sa passion pour le sport. Je me souviens de l’un de ses premiers appareils, de marque Foca. Il participa aux activités d’un « photo-club » à Forges. Quelques jours avant sa disparition, Papa « mitraillait » encore pour l’illustration iconographique de ses « Promenades en Pays de Bray ».
Au tout début des années 50, il fit l’acquisition d’une caméra Pathé 9,5 mm. Il l’étrenna à l’occasion de plusieurs voyages successifs dans la péninsule ibérique. Nous possédons ainsi des témoignages de grande valeur sur l’Espagne franquiste de l’immédiat après-guerre. Il initia mon frère aîné à la technique du montage par collage. Le tableau noir et la craie leur étaient d’un précieux secours pour réaliser les génériques. Plusieurs armoires du domicile familial abritent toutes ces archives en images.
Ce goût prononcé qu’avait mon père pour la reproduction du réel s’opposait étonnamment à son absence d’intérêt pour les histoires romancées du 7ème Art. Cependant, par souci de cultiver ses fils, Papa n’a jamais manqué de nous accompagner dans notre prime jeunesse, pour découvrir les chefs-d’oeuvre du cinéma. Notre salle de prédilection était le cinéma « Le Dauphin » à Forges, tenu par Monsieur Berthelot, mais il n’était pas rare que l’on se rendît à « l’Omnia » à Rouen et au « Rex » à Paris. Comment pourrais-je douter de l’influence qu’a exercée mon père sur mon goût pour l’image ?
De par ses origines modestes, Papa s’intéressait aux jeux de cartes populaires. Durant sa jeunesse picarde, il consacra probablement bien des veillées à la pratique de la manille ou de la belote. Avant-guerre, fidèle à ses racines, après avoir arpenté le marché aux bestiaux de Forges, il lui arrivait encore de « taper le carton » dans un café voisin.
Toujours heureux d’apprendre, la fréquentation du milieu des officiers fit naître en lui la passion du bridge. Jusqu’à la fin des années 60, il y joua très régulièrement avec un petit cercle de « mordus » recrutés parmi les collègues et amis. Les parties acharnées se prolongeaient tardivement. L’une d’elles, mémorable entre toutes, vit l’irruption dans la maison d’un individu en état d’ébriété à la recherche de ce fameux « mort » constamment évoqué au cours du jeu !
Jusqu’à son ultime jour, Papa acheva immanquablement la lecture assidue de plusieurs journaux quotidiens et hebdomadaires par la résolution des mots croisés. Il pouvait y éprouver sa culture et son esprit de finesse. Il faisait participer ses proches en leur soumettant la subtilité d’une définition ou en sollicitant leur concours lorsqu’il « séchait ».
Le sport, qu’il soit exercice ou spectacle, tint toujours une place de choix dans les loisirs de mon père.
Il adorait le football et aimait faire partager sa passion. J’ai retrouvé une photographie de l’équipe qu’il avait formée avec ses petits élèves de Beauvoir. Peu après son arrivée à Forges en 1937, encouragé par son collègue Monsieur Naud, il créa le F.I.C. (Forges Instituteurs Club). Des rencontres amicales furent organisées, le jeudi, avec les normaliens, les étudiants de Rouen, les élèves du Cours Complémentaire et d’autres formations d’enseignants.

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Son attachement à ce sport s’exerça dans des circonstances diverses, ainsi fut-il l’un des dirigeants de l’équipe de l’armée française opposée à son homologue britannique.
De son contact avec les officiers, et notamment le frère de Jean Borotra, naquit sans doute son goût pour le tennis, sport aristocratique à l’époque. Il le pratiqua assidûment jusqu’à plus de soixante ans.
Mon père transmit à ses deux fils sa passion pour le sport. Aujourd’hui, ressurgissent des moments émerveillés de mon enfance baignée par cette distraction alors excellente école de morale et de vie.
Probablement à cause de ses racines picardes, Papa avait un faible pour l’équipe de football de Lille ( il disait  » le LOSC  » ); cependant il avait adopté le Football Club de Rouen et, dès mon plus jeune âge, je l’accompagnais sur les gradins des « Bruyères » . Je l’écoutais avec ravissement me conter les exploits de « l’attaque mitrailleuse » du F.C.R d’avant-guerre. Il m’emmenait aussi assister aux rencontres internationales à Colombes et me hissait sur ses épaules pour que je puisse admirer ces joueurs de légende qui s’appelaient Kopa, Yachine, Puskas, Kocsis.
Même en ces circonstances, il ne se départissait pas de son rôle d’éducateur; il m’inculqua le respect de l’adversaire et de l’arbitre, m’apprit la convivialité et l’écoute silencieuse des hymnes.
Peut-être parce que, dans son enfance, la bicyclette avait constitué son seul moyen de locomotion, Papa appréciait également beaucoup le cyclisme. Avec lui, je suivais les courses régionales, en particulier dans sa Picardie natale. Le Grand Prix de la Libération de Liomer, le Prix d’Hornoy, le Grand prix des 3 départements limitrophes au lieu-dit « le Coq Gaulois », près d’Aumale, étaient, comme l’on dit maintenant, des événements incontournables !
Evidemment, nous allions saluer les « géants de la route » lorsque le Tour de France passait à proximité. Papa se plaisait à raconter des anecdotes d’avant-guerre, le passage du Tour à Poix avec les touristes-routiers qui, en l’absence de dérailleur, retournaient leur roue arrière pour escalader la côte.
Ces souvenirs semblent empreints de naïveté mais notre capacité d’étonnement n’était pas encore altérée par l’invasion future des medias et l’inflation de retransmissions télévisées. Je vous parle d’un temps où l’on écoutait la T.S.F. Le rite dominical était de nous réunir à partir de 15 heures, devant le poste, afin de suivre avec ferveur  » Sports et Musique », une émission de Georges Briquet dont le générique « Chantons pour le sport, chantons en choeur l’essor de la jeunesse…… » était entonné par André Dassary. J’entends toujours la voix ensoleillée d’un reporter provençal, Bruno Delaye qui nous aidait à « visualiser » les équipes sur le terrain en indiquant leur position par rapport à ….la gauche et la droite de notre transistor !!! Probablement, par mimétisme, je faisais en solitaire dans la cour de l’école, d’interminables parties de football et de circuits à vélo agrémentés de commentaires enthousiastes à haute voix ( une vocation manquée ! ), j’en reparlerai un jour peut-être.
Papa nous a fait aussi aimer le sport à travers la lecture de revues spécialisées. Il achetait chaque semaine  » Miroir-Sprint  » et  » But-Club « . J’ai, longtemps, conservé jalousement, dans le grenier familial, ces superbes magazines de couleur bistre ou verte.
Jusqu’à ses derniers jours, mon père garda cette passion. Il ne manquait aucune retransmission télévisée mais ne fréquentait plus les stades depuis longtemps. Sa philosophie du sport ne se reconnaissait sans doute plus dans les excès en tout genre qui hantent aujourd’hui les tribunes.

LES PLUS BEAUX JOURS DE SA VIE

Je me souviens que, dans les années cinquante, mes parents écoutaient fréquemment à la T.S.F « La joie de vivre », une émission présentée par Henri Spade et Jacqueline Joubert, au cours de laquelle des personnalités narraient les plus beaux jours de leur carrière. J’en reprends le concept pour évoquer quelques événements qui comblèrent mon père de bonheur et de fierté.
Le 24 octobre 1931 est le jour de son mariage. Cette date symbolise surtout une complicité morale et intellectuelle d’une rare plénitude qui ne devait jamais se démentir pendant plus de soixante-deux ans. Vouloir l’illustrer en quelques lignes relève de la gageure.
Papa ne manquait jamais de souligner l’influence que maman ne cessa d’exercer tout au long de leur vie commune. Peu de gens savent que, derrière sa douce et discrète épouse, se cachait l’inspiration de mon père. Mon frère et moi gardons en mémoire les longues soirées studieuses où nos parents corrigeaient les devoirs et préparaient leurs cours du lendemain autour du baroque bureau à quatre places au premier étage du 8 rue Beaufils. Comme ils enseignaient dans des classes de même niveau, il était courant que l’un demande à l’autre ce que tel poème, telle page d’orthographe, telle manière d’aborder une leçon avaient produit sur leurs élèves, afin de modifier éventuellement sa propre approche. S’instaurait alors une riche réflexion pédagogique.
De même, l’homme public se plaisait, au retour d’une manifestation ou d’une réunion du conseil municipal, d’en raconter la teneur pour connaître l’interprétation de son épouse et relever ses suggestions. Il « essayait » souvent sur elle le texte d’un discours ou d’un article. Même s’il protestait parfois sous la critique toujours amène, il tenait compte invariablement des conseils.
Quelle maîtrise d’eux-mêmes possédaient-ils pour accomplir leur vie professionnelle et familiale avec autant d’efficacité, d’intelligence et de générosité ! Je vous assure : cela ne fut jamais à notre détriment.
Je ne résiste pas à vous conter cette émouvante anecdote datant de 1940 qui illustre si bien leur manière unique d’être toujours l’écho de l’autre. Dans la boîte à lettres désaffectée de l’école, maman avait trouvé un télégramme adressé par mon père, alors mobilisé, qui lui donnait « rendez-vous le soir devant la gare rue Verte de Rouen ». Depuis quand avait-on déposé ce pli ? Dans ces circonstances périlleuses, un ami lui proposa de la conduire en automobile. Trouvant bientôt la chaussée barrée par les soldats et les véhicules militaires, elle parcourut à pied les vingt derniers kilomètres. Près de la gare, entendant quelque bruit dans l’obscurité, ma mère osa : « Est-ce toi Michel ? ». En effet, c’était lui, et, main dans la main, ils effectuèrent sous les étoiles les cinq lieues les séparant de l’automobile. Ce fut une belle ….. nuit de leur vie.
Pour évoquer l’amour fraternel, j’imagine ce jour d’avril 1945 où Papa, le coup de pédale allègre, se précipite vers ses racines familiales à Villers-Campsart. Heureux, il y retrouve son frère, serein, de retour de cinquante deux mois de captivité en Allemagne. Pendant quatre ans, pour pallier son absence, mon père avait consacré ses vacances scolaires aux travaux de la ferme. Il avait retrouvé le cordeau, la faux, la fourche, la meule.
L’amour paternel est attaché au 20 avril 1967. Ce jour-là, assis sur les gradins d’un amphithéâtre de l’Université de Strasbourg, mon père écoute son fils aîné « déterminer l’ordre multipolaire des transitions électromagnétiques à l’aide d’un spectromètre magnétique à paires d’électrons »! La fierté de voir un de ses enfants obtenir ainsi le grade de Docteur ès sciences physiques se conjugue avec son admiration pour le savoir et le travail, valeurs qu’il n’a jamais cessé d’inculquer tout au long de sa carrière.
Le 20 janvier 1988, Villers-Campsart est en liesse. « Mémé Léontine », ma grand-mère, toujours rayonnante de gentillesse et de bonté, fête son centenaire dans ce petit village picard où elle est née et a vécu toute son existence. Papa, qui est resté en Picardie « le fils de Léontine », retrace la vie de sa maman devant la foule des parents et amis entassés dans la petite maison (voir article du 14/02/2008). Sans cesse dévoré par la passion de l’écriture, il rédigea une biographie pleine de tendresse de sa mère, à destination de la famille.
Maintenant que mon père et sa maman se sont absentés, leur inaltérable optimisme, leur esprit de curiosité, leur faculté d’étonnement devant les choses simples, leur goût du dialogue hantent souvent mes pensées.
Le 20 février 1993, mon père, cette fois, est le héros du jour. Le Pays de Bray s’est donné rendez-vous au théâtre municipal de Forges-les-Eaux pour la cérémonie de remise de sa Croix de Chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur. Cette décoration est le prolongement logique de sa promotion dans l’Ordre National du Mérite obtenue le 4 janvier 1984 et de son élévation en 1989 au rang de Commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques, une distinction rare. Une profonde émotion étreint Papa. En cet instant, se bousculent sans doute dans sa tête une foule d’images de joies familiales, professionnelles et municipales qui ont émaillé ses quatre vingts années d’existence.
Pour atteindre cette plénitude de vie, mon père « a chanté dans son arbre généalogique » comme le suggérait le poète Cocteau. Le petit Michel de Villers-Campsart, déjà curieux de tout, avait observé et réfléchi pour donner un sens à sa vie. Il avait appris la valeur du travail et le goût de la vie simple avec sa maman, à la ferme. Pendant la première guerre mondiale, avec la fréquentation des troupes alliées et la perte de son père, s’étaient ancrés le patriotisme, le culte des anciens, le sens du devoir, la tolérance. Sur les bancs de la communale, à travers les cours de Monsieur Bernard, lui étaient apparues toutes les vertus de l’enseignement.

L’EPILOGUE

Mon père convenait que la chance lui avait souvent souri au cours de son existence. Elle allait très brutalement lui tourner le dos.
Au cours du mois d’avril 1994, mon père commença à se sentir fatigué et à perdre l’appétit. Début mai, avec son automobile, il se rendit à l’hôpital de Bois-Guillaume pour une consultation. Le 16 mai, il y retourna en ambulance pour passer des examens approfondis. Il en sortit le 19 avec une convocation pour le 6 juin afin de déterminer un traitement adapté aux conclusions des analyses. Chaque jour qui passait, ses forces l’abandonnaient et les repas devenaient une véritable corvée. Les 22 et 23 mai, je l’ai retrouvé méconnaissable, amaigri, la voix cassée, épuisé, se mouvant avec beaucoup de difficultés au prix d’une grande volonté. Cependant, il répétait ne pas souffrir du tout et la qualité de ses conversations demeurait intacte.
Le mardi 24 mai, il prit la plume pour décrire avec précision, à son médecin spécialiste, l’évolution très rapide de son mal afin qu’il avance son rendez-vous. Le mercredi, il reçut quelques amis à son domicile. Après de rapides considérations sur son état de santé, il retrouva toute son énergie pour deviser, la tête probablement pleine de projets.
Le jeudi 26 mai au matin, l’ambulance vint le chercher à son domicile pour le transporter à l’hôpital Becquerel à Rouen. Heureux de partir pour se soigner, il fit état du temps maussade, confia une lettre à son épouse et s’éloigna avec quelques petits signes de la main en guise d’au revoir. Le soir, il téléphona à ma mère pour l’assurer de son excellent moral et la dissuader de se rendre avec moi à son chevet. Il dit être entre de bonnes mains et prêt, après quelques jours de repos, à combattre le mal.
Malgré son incroyable volonté, il n’avait aucune chance dans cette ultime lutte. Mon père décéda le 27 mai à 10 heures du matin. Dans l’enveloppe reçue la veille, Maman découvrit le faire-part de décès rédigé de ses propres mains ainsi que quelques instructions. Jusque dans ses derniers instants, Papa nous avait donné une admirable leçon de courage et de dignité.

LES OBSEQUES

Les obsèques se déroulèrent le mercredi 1er juin 1994 à 15 heures en l’Eglise Saint-Eloi de Forges-les-Eaux.
Dans la matinée, la famille se rendit à Rouen, pour voir mon père une ultime fois. Il dégageait une impression exceptionnelle. Une grande fierté masquait un peu ma peine.
Sous un soleil radieux, il accomplit sa dernière promenade à travers ce Pays de Bray dont il avait tant raconté les richesses. Peu avant Forges, dans une courbe prononcée à hauteur de Roncherolles, à la vision d’un petit tertre à gauche de la route, je l’imaginais s’exclamant comme il avait coutume de le faire lors de nos sorties dominicales : « Voici le Mont aux Leux, la Motte aux Loups, on l’a escaladée ». Cet homme qui avait beaucoup voyagé, traversé les Montagnes Rocheuses aux Etats-Unis, nous aidait par ses écrits à connaître et réapprendre les beautés à portée de notre main.
Il aurait été fier de la cérémonie religieuse célébrée à sa mémoire, l’après-midi.
Amis, enseignants, anciens élèves, élus, parfois venus de loin, beaucoup avaient souhaité rendre un ultime hommage à celui qui avait marqué de son empreinte un moment de leur existence.
Mon père était comblé quand il recensait une vingtaine de porte-drapeaux lors des manifestations patriotiques qu’il organisait. Trente-trois drapeaux en provenance de tout le département, réunis dans le choeur de l’église, formaient une escorte d’honneur devant son cercueil.
Mon frère Jean-Pierre fit un éloge très émouvant de papa en retraçant sa vie passionnante et passionnée, aux multiples facettes, et en évoquant l’exceptionnelle complicité qui l’unissait à maman, son « inspiratrice ».
Touchantes autant qu’inattendues furent les paroles prononcées par l’abbé Lafon, ancien curé de Forges, venu du Pays de Caux dire adieu à son ami laïc : « un professeur patriote, républicain et intègre comme l’aurait souhaité Jules Ferry…… qui connaissait les chapelles brayonnes mieux que quiconque ». Monsieur Wimet, au nom de la Société d’Entraide de la Légion d’Honneur, Monsieur Le Roy, président du Souvenir Français, Monsieur Le Vern, député et instituteur, Monsieur Blot, maire de Forges, louèrent le combattant, le pédagogue, l’homme de coeur et de générosité, « l’honnête homme » au sens du 18ème siècle, siècle des Lumières. Des membres de l’Harmonie de Forges interprétèrent de poignantes pièces pour trompette tandis que l’assistance venait se recueillir devant le cercueil. Pour rejoindre sa dernière demeure, Papa passa devant l’Ecole de la rue Beaufils, théâtre de tant de joies familiales et professionnelles. Près de la grille d’entrée, je remarquai un majestueux sapin, arbre de Noël de mon enfance, qu’il m’avait aidé à planter. Le cortège s’arrêta quelques instants dans le cimetière militaire, parmi ceux dont il disait : « A nous le souvenir, à eux l’immortalité ». En guise d’adieu, chaque drapeau s’inclina sur la tombe symbolisant un livre, « le septième tome des promenades géographiques et historiques » comme aimait plaisanter mon père. Une page de ma vie et de l’histoire du Pays de Bray se tournait définitivement. Le 26 juin 1994, à l’occasion de la cérémonie du Souvenir Français, la municipalité de Forges-les-Eaux dévoila une plaque apposée au monument du cimetière militaire. A travers cette pierre, mon cher papa gagnait une parcelle d’immortalité. Il me revient à la mémoire ce poème de Victor Hugo que mon père aimait proposer à ses élèves :

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends…
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe,
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »

Je ressens à mon tour, aujourd’hui, toute la détresse due à la perte d’un être cher.

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Publié dans:Portraits de famille |on 27 février, 2008 |15 Commentaires »

Parc Montsouris, Paris XIVème

« C’est l’histoire d’un mec … vous la connaissez ? … ça dépend des mecs parce que y’a des mecs … alors bon, des fois, c’est l’histoire avec des bagnoles, tout ça. Et puis le mec oui, euh… Mais là non, c’est l’histoire d’un mec, mais un mec … normal … un blanc quoi … ah oui parce que dans les histoires, y’a deux genres de mecs … alors t’as le genre de mec, oui, comme moi, euh … » qui, ce matin-là, ai garé ma bagnole à l’angle des rues d’Alésia et de Tolbiac, tout près de la place Coluche … une placette triangulaire où se tient un petit marché fréquenté par des gens modestes comme les aimait le célèbre humoriste fondateur des « Restaurants du Cœur ». Vingt deux ans après sa mort, malheureusement, beaucoup ont « encore faim et encore froid » ! Il nous manque beaucoup pour brocarder notre époque « bling bling ». Il me revient à la mémoire, il y a 38 ans, assis sur un banc de fortune, dans un local de la rue d’Odessa pompeusement dénommé « Théâtre du Vrai Chic Parisien », je riais aux larmes des désopilantes aventures de « Ginette Lacaze 1970 », le spectacle qui le projeta bientôt sous les feux de la rampe.

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Le mec donc, normal … « c’est vrai qu’y a des histoires, c’est plus rigolo quand c’est un belge… si on est suisse … mais là non », le mec remonte la rue Reille puis un instant se recueille au 11 de la rue Gazan, devant un pavillon de briques écrasé entre les immeubles environnants. Dans les années 1970, quand je passais par là, je vis souvent garée à proximité, la « belle américaine « rose de l’artiste. Beaucoup de fêtes avec les copains ont dû troubler, en face, la tranquillité du Parc Montsouris dont je franchis la grille.

« Quand l’parc Montsouris ramène
Sa fraise
Les matins où l’soleil vous mord
La peau
Le dos collé à la chaise
Les pieds au bord d’la pièce d’eau
Ca m’rappelle
Cette valse autrichienne
Que papa jouait
En rentrant du boulot. »

Aujourd’hui, après avoir vagabondé quelques instants avec Coluche, ce fou disant, qui repose tout près de là au cimetière de Montrouge blotti contre le périphérique, je rejoins Jacques Higelin, le « fou enchantant Trenet » qui, en voisin, promène sa dégaine fréquemment dans les allées du parc .
Devant le lac, je ne sais si « les canards qui barbotent, parlent anglais », si « les statues tranquilles le jour, dansent la nuit sur le gazon », si « les oiseaux tiennent le buffet » mais j’ai trouvé « dans cette grande ville maussade où les touristes s’ennuient au fond de leur autocar … un lieu pour la promenade … un jardin extraordinaire » .

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Le guide promet au promeneur attentif d’y admirer, parmi la végétation luxuriante, un arbre de Judée, un tilleul argenté, un érable du Japon, des fougères, un tulipier de Virginie, un cèdre du Liban, trois catalpas, un poirier à feuilles de saule, un hêtre tortueux pleureur, un orme de Sibérie, un hêtre pourpre, un séquoia, un kaki, et d’entendre le canard colvert, le cygne tuberculé, le tadorne casarca, la mouette rieuse, la foulque macroule, la poule d’eau, la bergeronnette des ruisseaux, le roitelet huppé, la pie bavarde … un véritable inventaire à la Prévert qui écrit dans son recueil « Paroles » :

« Paris est tout petit
C’est sa grandeur
Tout le monde s’y rencontre
Les montagnes aussi
Même un beau jour, l’une d’elles
Accoucha d’une souris
Alors en son honneur
Les jardiniers tracèrent le Parc Montsouris. »

Avant de devenir ce parc, la plaine Montsouris était occupée par les carrières de Montrouge. Napoléon III souhaitait doter d’un espace vert chacun des points cardinaux de Paris et donc de créer au sud, le pendant des Buttes-Chaumont au nord. Ainsi le baron Haussmann confia à l’ingénieur Alphand ce vaste projet de jardin à l’anglaise de 15 hectares marqué par de forts dénivelés.Ce matin, les allées appartiennent aux joggers qui se décrassent les artères des mesquineries de la vie au bureau, ainsi qu’aux poneys et landaus qui promènent d’heureux bambins. Des pancartes « Pelouses au repos » font fuir les amoureux du farniente. Qu’à cela ne tienne, ceux-ci profitent tout de même du soleil d’hiver assis sur les bancs en haut du parc en face de la Cité Internationale. En récompense, mêlés aux gazouillements des oiseaux, leur parviennent via des enceintes placées sous les bancs, des « murmures », les confessions amoureuses énoncées dans leur langue maternelle par des étudiants en résidence à Paris, fruits d’une installation sonore imaginée par l’artiste Christian Boltanski.

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Non loin de là, je m’attarde devant un obélisque dite mire du Sud matérialisant le méridien de Paris qui fut longtemps le méridien d’origine pour les marins, géographes et voyageurs avant qu’en 1884, sous l’influence de la domination britannique sur les mers du globe, la convention internationale de Washington institue le méridien de Greenwich comme celui de référence. Sur le monument, on peut lire l’inscription « Du règne de … « , le nom de Napoléon ayant été gratté sous la Restauration. En écho à cette mire du Sud, il existe une mire du Nord non visible dans un jardin privé à proximité du moulin de la Galette à Montmartre.
En hommage à François Arago, le père de la vulgarisation scientifique moderne, l’artiste plasticien néerlandais Jan Dibbets a conçu en 1984, 135 médaillons en bronze de 12 centimètres de diamètre matérialisant à travers la capitale, le tracé du méridien. Chaque médaillon porte le nom d’Arago et indique le Nord et le Sud. Il en existe neuf dans l’enceinte du parc. Pour m’être piqué au jeu de les localiser, cette chasse au trésor est loin d’être évidente mais elle constitue un prétexte ludique pour flâner dans les allées odorantes du parc et découvrir nombre d’oeuvres sculpturales. Ainsi, entre pelouses et bosquets, j’ai surpris une panthère menaçante, une bergère et ses moutons, très légèrement vêtue, s’appuyant sur l’épaule d’un jeune homme, deux baigneuses se prélassant, deux hommes portant la dépouille d’un lion, et bien d’autres modèles en pierre ou de bronze.

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« Le parc Montsouris
C’est le domaine
Où je promène mes anomalies
Où j’me décrasse les antennes
Des mesquineries de la vie

Y’a même un kiosque à musique
Où des militaires jouent
A moitié faux

Je vis pas ma vie
Je la rêve
Le soleil se lève
Et moi aussi
C’est comme une maladie
Que j’aurais chopée
Quand j’étais tout petit
Et qui va pas m’lâcher »

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Ce midi, aucun musicien n’interprète de valse autrichienne dans le kiosque à musique en travaux. Par contre, un peintre « du samedi » a posé son chevalet au bord de l’eau, et , dans une palette de verts et de bleus, esquisse une échappée de verdure.
Pour prolonger sa promenade bucolique, en sortant du parc, le mec s’est perdu dans la voie pavée et feuillue du Square de Montsouris. Des pavillons de caractère, des ateliers d’artistes, des bouquets d’arbres déjà fleuris, des réverbères comme autrefois, une grille informant « Chien gentil », donnent à cette ruelle un petit air « british ».

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Cette flânerie s’achève sur un ultime coup d’œil aux élégants pavillons surmontés d’une verrière qui surplombent le réservoir d’eau de Montsouris. Créé en 1874 par Eugéne Belgrand, ingénieur du baron Haussmann, alimenté par les eaux du Loing, du Lunain et de la Vanne via l’aqueduc d’Arcueil, cet édifice approvisionne encore en eau de source, un parisien sur cinq.

Publié dans:Ma Douce France |on 21 février, 2008 |1 Commentaire »

Ma grand-mère, Mémé Léontine (2)

 

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Ma grand-mère est née Léontine, Zulma, Virginie Noblesse, le 20 janvier 1888, à Villers-Campsart (Somme), dans la maison qu’elle habita toute sa vie. Son père Eugène, Désiré Noblesse, est né en 1843 et sa mère Ulyssia, Zulma Duminil, en 1857. Elle n’a connu aucun de ses grands-parents, cultivateurs, eux-mêmes de Villers-Campsart et de Campsart, le hameau voisin. Malgré son patronyme « Noblesse », elle est d’origine complètement roturière. Son nom, sans doute un surnom, a pu naître de l’appartenance au personnel domestique d’un château. Il a pu avoir un sens ironique péjoratif ou encore, découlé de qualités morales.
Son père est un paysan se contentant de cinq à six hectares dont une partie en location, et d’un seul cheval reçu en contrat de mariage. En ce temps-là, la moisson de blé, orge, avoine, et la fenaison de trèfle, luzerne, sainfoin, se font à la faux qu’on appelle un dard. Tout se lie avec du seigle (le glui). La faucheuse à foin ou dareuse, et la moissonneuse-lieuse n’apparaissent en Picardie qu’au début du 20ème siècle. Beaucoup de paysans n’ont pas encore de chevaux. Ils se font aider par ceux qui en possèdent, qu’ils rémunèrent en journées de travail. Une majeure partie du battage s’effectue au fléau, en hiver, dans l’aire de la grange en terre battue ou en plancher. Les granges dont un certain nombre subsiste encore, se situent le long des rues pour faciliter le déchargement des chariots. La plupart sont construites en torchis, mélange de terre argileuse, paille et cailloutis, souvent perforé de trous de rats. Les plus grosses fermes ne comptent que cinq à six vaches laitières mais la plupart engraissent deux ou trois cochons dont un ira au saloir dans la buanderie ou la cave. Quelques exploitations élèvent une truie qui fait deux ou trois portées par an. Par contre, on ne recense qu’un verrat pour trois ou quatre communes, de même pour le taureau. Les plus grosses « cultures » possèdent aussi une ou deux juments reproductrices. L’étalonnier passe une fois l’an, généralement en mai, pour les saillies, avec un magnifique boulonnais, très mutin et tout enrubanné.
C’est l’époque où l’on ne parle pas encore de décalitres et hectolitres mais de boisseaux, pas de kilogrammes mais de livres, pas de francs et encore moins d’euros mais de sous, de pistoles (10 F) et de louis (20 F or). Le papier monnaie est encore rare et on ne paye ses fournisseurs et les artisans (le forgeron, le bourrelier) qu’une fois l’an.
Grand-mère est orpheline de sa maman à moins de trois ans. Son père la met, à cinq ans, en pension chez les sœurs, une école privée dans le parc du château de Brocourt situé à trois kilomètres de son domicile. De ce séjour qui dure sept ans, elle gardera des souvenirs radieux. Certaines de ses camarades sont des fillettes de la bourgeoisie picarde. Elle assiste quotidiennement à la vie de la famille noble propriétaire du château ainsi qu’aux fêtes qui s’y déroulent. Elle connaît les grandes familles nobles de la région et restera marquée par leurs noms, leurs occupations, l’équitation, la chasse. Elle y acquiert aussi la croyance et les pratiques religieuses. Son père vient la voir ou la chercher le dimanche. Ils empruntent des centaines de fois, le chemin et la côte de Saint-Jean qui domine la vallée du Liger. Durant une majeure partie de sa vie, elle fréquentera ce parcours, à pied, en carriole ou à bicyclette pour se rendre notamment, à Liomer, à la gare du « tortillard », chemin de fer économique départemental d’Aumale à Amiens.
Adolescente, ma grand-mère quitte l’école de Brocourt, à 12 ans, âge légal de la fin de scolarité obligatoire, armée d’une bonne instruction primaire. Elle aimera écrire, entretenir une correspondance rédigée dans un français très correct et sans fautes d’orthographe dont je fus le destinataire quand je vécus à l’étranger. Fille unique, elle est gâtée par son papa qui restera veuf.

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En 1907, elle se rend pour la première fois à Paris, en voyage de noces. Son époux, Emile Coffin, fils de Pharamond Coffin et de Clémence Damonneville, est né en 1881, à Dromesnil, à deux kilomètres de Villers. C’est un maçon également expert en menuiserie, charpente et toiture et … un apiculteur émérite. Il fait maintes transformations dans la demeure de sa jeune épouse qui perd son père en 1912. Progressivement, il se convertit au métier de cultivateur.
De leur union, naissent deux fils, Marcel né le 12 février 1909 et Michel mon père dont je vous ai narré la vie par ailleurs, et notamment, la période de la guerre 14-18. Grand-mère ramasse la javelle à la faucille tandis que son mari fauche le blé dans un champ à proximité de la ferme, lorsque, le 2 août 1914 à 11 heures, les cloches de l’église sonnent le tocsin. C’est la mobilisation générale et tous les paysans abandonnent immédiatement les travaux des champs pour rejoindre leur centre mobilisateur. Débute alors une ère difficile, tragique même. Les bonnes volontés se mobilisent pour achever la moisson. Bientôt, arrivent dans le village, des troupes de l’Empire britannique, en particulier des Hindous portant le turban et des lanciers du Bengale, puis affluent des réfugiés venant de l’est du département transformé en champ de bataille. Les maisons même partiellement en ruines et les pièces inoccupées dans le village sont réquisitionnées. Une seconde classe est ouverte à l’école et ce sont deux institutrices réfugiées qui en assurent le fonctionnement. Le front picard, côté allié, menace de s’effondrer et la population se rassemble, le soir, devant la maison de grand-mère, la première à l’est du village, pour observer le feu d’artifice des obus fusants à une quarantaine de kilomètres de là.
Apparaissent les cartes de rationnement, les produits de substitution comme la saccharine, les graisses végétales (la cocose). La mie de pain devient jaune safran à cause de la farine de maïs d’Indochine. Les réfugiés s’intègrent progressivement et cultivent les terres en friche à la suite de la mobilisation.

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75 ans séparent ces deux photos

En 1916, grand-mère apprend que son mari, victime d’une pleurésie est évacué du front près de Verdun, puis hospitalisé à Amélie-les-Bains dans les Pyrénées Orientales. Il y demeure un an avant d’être transféré dans le Cantal, à Santenay-les-Bains. Pour rompre l’oisiveté, il confectionne, de ses mains habiles, des objets en cuivre ciselé, des coupe-papier, des bagues, des bracelets, des colliers en perles, des chaînes pour montres ou « léontines » qu’il envoie à son épouse. Il est réformé avec pension militaire, au printemps 1918. Il devient tuberculeux mais, courageusement, reprend son travail à la ferme.
Excellent semeur à la volée, il achète aussi une poulinière pour disposer d’un attelage à deux chevaux, puis une moisssonneuse-lieuse ainsi que toute une gamme d’instruments dans les ventes à l’encan. Bien sûr, outre ses tâches ménagères et de basse-cour, grand-mère l’aide pour la fenaison, les binages, la moisson.

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Une page se tourne lorsque son mari, phtisique, décède le 1er novembre 1921. Elle obtient une pension de veuve de guerre avec majoration pour la charge de ses deux fils de 11 et 12 ans qui vont bientôt réussir leur certificat d’études.
Sur les encouragements de l’instituteur, elle envoie en pension son fils Michel pour qu’il poursuive ses études. Son autre fils Marcel se prend de passion pour l’agriculture. A 13 ans, il laboure, sème à la volée, roule les blés, repasse les scies des machines. Pour le récompenser, elle lui offre une jolie bicyclette Automoto bientôt dérobée par un inconnu, mais qu’elle s’empresse de remplacer. En octobre 1926, très fière, elle découvre la ville de Rouen en accompagnant son fils cadet pour son entrée à l’Ecole Normale d’Instituteurs. Heureuse enfin, elle voit son horizon matériel s’éclaircir. Elle ne semble pas connaître de souci d’argent, du moins, elle ne le montre jamais. Elle alimente le porte-monnaie de ses fils, chaque dimanche … c’est le temps des années folles, le pays revit après la tragédie de la guerre, les bals musette, les rencontres de longue paume et ballon au poing sur les places communales.

enregistrement audio sur sa visite à l’Exposition universelle de Paris (1937)

Peu à peu, elle abandonne à son fils Marcel, la direction des activités de la terre ; mon père leur apporte une aide précieuse lors de ses congés scolaires. Elle est experte dans la traite des vaches, à la main bien sûr. Lorsque Marcel se marie en 1938, elle lui cède l’exploitation de trois quarts des terres et herbages.
La seconde guerre mondiale se profile et son fils aîné Marcel est rappelé sous les drapeaux dés les premiers jours de septembre 1939. Fait prisonnier en Vendée en juin 1940, il est affecté en Allemagne, en décembre, dans un commando agricole où il demeurera 52 mois. C’est son épouse qui se charge de la conduite de la ferme.
Grand-mère, très inquiète du sort de ses enfants, déchirée et choquée, quitte sa maison, avec sa belle-fille, dans un chariot à foin, le 6 juin 1940. Son exode est éphémère puisqu’elle est rattrapée par les allemands, dés le 8 juin, dans le petit village de Flamets-Frétils, épisode qu’elle évoquera souvent le reste de sa vie. Le lendemain, elle retrouve son village désert et sa maison un peu bouleversée. Les années d’occupation sont aggravées par des conditions atmosphériques détestables et des hivers très rigoureux. Elle doit loger plusieurs soldats allemands. Ils la respectent physiquement mais saccagent sa maison, brisent le pavage en fendant du bois. J’ai toujours vu, accroché au mur de la salle, un portrait de mon grand-père, les yeux crevés au revolver par ces soldats au cours d’une de leurs beuveries.
Durant ces années d’occupation, mon père, enseignant, consacre toutes les vacances scolaires aux travaux de la ferme pour aider sa maman et sa belle-sœur. Il faut aussi ramasser les doryphores sur les dizaines d’hectares expropriés par les soldats allemands pour la culture intensive des pommes de terre qu’ils laisseront geler dans les granges.
Quelques jours avant la Libération, plusieurs chariots et attelages de la ferme, sont réquisitionnés par les soldats ennemis, et chargés de vivres, de saloirs, de sacs de farine, d’alcools, de vélos, en prévision de la défaite et une possible famine. Encerclés par les troupes américaines, le 1er septembre à Amiens, les Allemands abandonnent leur convoi. Les attelages prennent le chemin du retour, guidés par quelques « résistants » dont certains peu scrupuleux se partagent le butin.
Grand-mère attend encore neuf mois le retour de son fils Marcel et des prisonniers en Allemagne.
Le temps de la retraite se profile. Peu à peu, ma grand-mère abandonne ses activités agricoles, deux vaches, puis une, puis rien, sauf une chèvre pendant quelques années encore, non pour le profit mais pour perpétuer certains rites comme la traite et l’allaitement des chevreaux.
Désormais, elle consacre beaucoup de temps à sa basse-cour, à l’élevage des lapins. Experte en jardinage, les légumes de son potager sont les plus beaux du village. Elle n’en tire aucun profit financier. Elle n’a de cesse que faire plaisir à ses enfants, amis et visiteurs. Il est presque impossible de partir de chez elle sans emporter, qui un lapin, qui une douzaine d’œufs, qui une bouteille d’eau-de-vie. Toute sa vie, elle jouit du privilège du bouilleur de cru. À 95 ans, elle « bouillira » encore. La qualité de son cidre bouché est remarquable. Je possède encore quelques flacons de sa « goutte » que me réclament certains de mes invités à la fin du repas. Cuisinière émérite, sa table est appréciée. Les facteurs, accessoirement amis, commissionnaires, informateurs voire infirmiers, trouvent souvent table d’hôte chez elle. Le lapin aux pruneaux constitue un de ses plats emblématiques.
Tenant cela de son enfance et de sa condition d’orpheline de mère, ma grand-mère s’adonne aussi avec talent à la couture, le tricot et la broderie. Elle chérit sa machine à coudre que son père lui a achetée en 1910 et qui, aujourd’hui, demeure dans la famille comme relique.
Veillant très tard, souvent au-delà de minuit, elle lit quotidiennement le journal local, « Le Progrès de la Somme » puis le « Courrier Picard » dont elle deviendra la plus ancienne abonnée. Elle connaît ainsi toute l’actualité régionale et les familles des environs dont elle aime évoquer la généalogie.
Excellente cycliste, elle utilise son vélo jusqu’à 83 ans pour fréquenter les marchés, les foires, les fêtes religieuses dans un rayon de dix kilomètres. Son arrière petite fille entretient encore jalousement sa bicyclette.
La vie religieuse constitue aussi une de ses préoccupations. Elle ne manque aucun office dans la paroisse. Elle veille à l’entretien de l’église et du cimetière de son village. Le prêtre se rend souvent chez elle pour bavarder.

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À partir de 90 ans, grand-mère devient de plus en plus sédentaire … finies les sorties à bicyclette voire même à pied. Elle renonce à se rendre à l’office du dimanche ainsi qu’au cimetière. Elle accomplit juste quelques pas à l’extérieur jusqu’à son jardin où, assise, elle contemple ses enfants bêchant ou binant.
Atteinte bientôt d’une lésion de la rétine, elle supporte difficilement de ne plus pouvoir lire son journal. Son fauteuil rustique de style picard devient son compagnon inséparable.
Elle demeure très généreuse avec ses petits-enfants, ses arrière petits-enfants et ses visiteurs. Les enfants du village viennent la voir souvent glaner quelques friandises. Ainsi, elle continue à être informée de la vie locale.
Au printemps 1984, elle s’alite pour une bronchite avec récidive à l’automne. Nous craignons alors pour sa santé, mais il n’en est rien. Elle s’installe alors dans un alitement qui va durer trois ans grâce à sa vitalité, sa résistance physique, aux soins réguliers et attentifs de son docteur ainsi qu’au dévouement de ses femmes de ménage, de sa belle-fille et de ma maman qui vient à son chevet chaque semaine. Malgré son déclin physique, grand-mère conserve une grande lucidité d’esprit et son optimisme rayonnant. Elle se dit heureuse de tout. Jamais, elle n’envisage la mort … c’est un mot d’ailleurs qu’elle ne prononce jamais.
97, 98, 99 ans … se dessine la perspective de fêter son centenaire. À la mi-décembre 1987, le combat semble perdu et puis … Mémé Léontine retrouve des forces pour nous offrir son ultime cadeau. Elle commence à l’évoquer, elle compte les jours … Enfin, le grand jour arrive, le 20 janvier 1988. Mémé souffle ses 100 bougies.

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C’est la liesse dans sa maison et dans toute la commune. A la hauteur de l’événement, l’héroïne du jour quitte son alitement et s’installe dans un fauteuil de la cuisine. Comblée de fleurs et de friandises, elle est en pleine forme et se montre très gaie. Attentive aux discours prononcés et aux marques de sympathie de chacun, elle les parsème de petits commentaires avisés et affectueux.
Pendant quinze jours, grand-mère conserve ce moral qui fait plaisir à voir et à entendre. Les cent ans sont sensiblement dépassés, il est temps de tourner la page … brusquement, toutes ses fonctions s’atténuent. Elle s’installe dans un semi coma répondant malgré tout consciemment aux paroles de tendresse qui lui sont proférées.
Le 11 février 1988 à l’aube, ma grand-mère s’éteint dans le sommeil, sans la moindre douleur. Ainsi s’achève une vie de labeur, de dévouement, de dignité et de tendresse.
Mémé Léontine appartient à « cette race de gens de peu aux vies ordinaires … pleines de richesse et de noblesse » qu’a affectueusement décrite le sociologue Pierre Sansot.
Chère Mémé, comme le rappelle ton patronyme, tu avais la noblesse d’âme et de cœur.

Publié dans:Portraits de famille |on 14 février, 2008 |4 Commentaires »

Une vie de chien, celle de Maya des champs

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Maya, adorable canichette noire, entra dans la ferme familiale d’Ariège, il y a une douzaine d’années. Elle y fut placée suite à une incompatibilité d’humeur avec son précédent maître dans une maison voisine du village. Elle lui en garda d’ailleurs « un chien de sa chienne » comme on dit dans le langage des hommes et il était curieux de les voir s’observer en « chiens de faïence » lorsqu’ils se croisaient.
L’acclimatation à sa vie de néo-rurale ne fut pas immédiate. Elle succédait à plusieurs générations de chiens mâles besogneux, d’origine bâtarde, dont la fonction principale était de garder les troupeaux de vaches et prévenir la venue de visiteurs étrangers. Avec l’arrivée de Maya, nous découvrîmes, bien avant que le terme ne soit à la mode, une crise de civilisation qui allait induire une politique de rupture des habitudes canines dans la ferme. Après les chiens de terroir, place au chien de boudoir !
Joueuse, elle s’invitait aux divertissements des enfants. De son allure légère et sautillante, elle bondissait avec promptitude confisquant dans sa gueule, la balle de tennis ou un ballon de plage dégonflé. Parfois, mystifiée par une feinte de corps, elle tourneboulait et revenait penaude, sa toison frisée couverte de feuilles mortes ou d’herbe fraîchement coupée, prête à reconquérir ce que de « clairvoyants » inspecteurs de l’Education Nationale nomment de manière fumeuse le « référentiel bondissant ».
Certes, ses pitreries et facéties, dignes d’un chien de cirque, réjouissaient les petits et les grands comme nous en villégiature. Ses propriétaires affairés aux tâches agricoles les goûtaient moins.Tout était prétexte pour la vive demoiselle à faire la ferme buissonnière et à sautiller dans les pieds de ses maîtres tandis qu’ils soignaient les animaux de basse-cour ou entretenaient le potager. Curieuse, elle furetait partout et revenait souvent dans un piteux état de l’étable et des granges. De constitution fragile, son comportement virevoltant lui coûta quelques luxations des membres en sautant de chaises et chariots. Cependant, son affection débordante finissait par effacer ses élans turbulents.
Avec le temps, Maya s’assagit. Par la volonté de ses maîtres, elle renonça à une descendance. Elle circonscrit son territoire à la cour de la ferme et ses dépendances ainsi qu’au jardin ne s’aventurant que rarement et prudemment au-delà. Elle accepta d’effectuer un service minimum de surveillance en aboyant sans agressivité à l’égard des visiteurs étrangers du genre humain, de manière beaucoup plus vindicative envers ses congénères canins. Je fus toujours intrigué par son flair et sa perspicacité lors de nos retrouvailles à l’occasion des congés scolaires. À l’approche de notre arrivée, même lorsque nous changions de véhicule, elle filait en éclaireur au nez de nos parents. Nous l’apercevions bientôt virer à vive allure au coin de la grange et entamer une sarabande de petits sauts de joie autour de l’auto avant de se dresser sur ses pattes arrière à l’ouverture de la portière. Pour elle, c’était aussi le temps heureux des vacances.

Ce que femme veut … Maya l’obtint. Elle fut le premier chien à entrer dans la maison et le premier animal à y dormir la nuit. Respectant le droit d’ancienneté, elle consentit dans un premier temps, une cohabitation cordiale avec le chat gris Mistigri pourtant un peu bougon. À la mort de celui-ci, elle fit de la cuisine sa propriété privée étendant même son territoire au salon. Lovée dans son panier doudoune, elle appréciait la chaleur du feu de la cheminée en hiver, et la fraîcheur de la pièce aux heures brûlantes de l’été. À l’extérieur, elle avait une prédilection pour l’auvent de la porte d’entrée qui constituait un excellent poste de surveillance des allées et venues de sa maîtresse avec, en toile de fond, le verger, le jardin et la plaine. Quand un fauteuil était libre, elle aimait y grimper pour accompagner la sieste de l’un d’entre nous. Souvent, quand je lisais, elle s’approchait, se dressait sur ses pattes arrière, posait un de ses membres antérieurs sur l’accoudoir et de l’autre, grattait avec insistance mon bras, suppliant une caresse câline. Devant son regard attendrissant, je ne pouvais qu’acquiescer. L’heure du lever était aussi l’occasion de me manifester son affection. Quand elle entendait craquer les marches de l’escalier, elle venait se poster derrière la porte et dès l’ouverture, me souhaitait la bienvenue en se frottant de longues secondes contre moi. Elle appréciait les retransmissions télévisées des matches du Stade toulousain et du XV de France sur les genoux d’un voisin qui lui était cher !

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Hors son repas du soir constitué des excellents restes des nôtres, Maya était une adepte forcenée du grignotage. Elle consacrait l’essentiel de ses errances à dénicher quelque pitance supplémentaire. Elle connaissait tous les placards et tiroirs remplis de friandises et se précipitait dès qu’elle nous voyait s’y diriger. Les enfants devaient redoubler de vigilance car elle bondissait et engloutissait dans l’instant, tout biscuit qui leur échappait des mains.
Lors de nos repas, elle frétillait quand survenait le moment de trancher la tome de fromage de montagne. Elle venait à mes pieds attendant que je lui offre les épaisses croûtes. Le cérémonial était si bien rôdé qu’il m’est arrivé chez moi, par un réflexe pavlovien, de me débarrasser des croûtes auprès d’une chienne virtuelle !
Vous avez deviné que, par sa gentillesse et sa fantaisie, Maya trouva toute sa place dans la ferme et le cœur de ses maîtres. Ils la pleurent depuis le 28 janvier 2008. Elle repose dans la terre de la ferme qu’elle gratta souvent.
Ainsi s’achève une vie de chienne qui fut le contraire d’une chienne de vie !

Publié dans:Coups de coeur, Portraits de famille |on 6 février, 2008 |Pas de commentaires »

Allée des Brouillards … balade montmartroise avec Claude Nougaro

 

 

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… Et lorsque tu seras vieille,
Vers minuit, minuit un quart,
J’te le dis au creux de l’oreille
Il te reste un p’tit rencart,
Si t’as pas le cœur trouillard
Mon fantôme est un gaillard
Allée des Brouillards
Allée des Brouillards
Des Brouillards …

Ce samedi-ci, je vous donne rencard vers midi, midi un quart, dans ce petit coin de Montmartre, tout proche mais si loin du tumulte touristique du Sacré-Cœur et de la Place du Tertre.
J’ai invité à se joindre à nous, la « plume d’ange » de Claude Nougaro : « Je marchais, je volais … le vent de mes pas feuilletait Paris … pages de pierres, de bitume, de pavés maintenant. Ceux de la rue Saint-Vincent … les escaliers de Montmartre. Je monte, je descends et me fige devant l’école rue du Mont-Cenis. Sur le seuil, une petite fille s’est arrêtée, son cartable orange tout rebondi de mathématiques modernes … »
Le chantre de « Toulouse » est de la race des poètes marcheurs amoureux des villes. Il flâne dans « Montparis », erre dans « Paris Mai » . Loin du Capitole, il a vécu dans la capitale, l’essentiel de sa vie professionnelle, d’abord avenue des Ternes avant d’escalader la butte jusqu’à son hôtel particulier rue Junot. Il le quittera en 1987 pour « un nouveau départ, une pluie de dollars, ici Nougayork. »

Litron dans la poche, traînant la galoche
Voici que s’approche le clodo
Tous les quinze mètres, minute, il s’arrête
Pour visser sa tête à son goulot
Sur un banc bien stable de l’avenue Junot
Il se met à table, sort son livarot
Et malheur aux mouches qui ont l’eau à la bouche
Il fait toujours mouche, il les tue d ‘un rot
Clodi Clodo.

Scénarisation et autodérision de ses excès avec l’alcool … Claude, Clodi, Clodo, aucun de ces héros titubants n’arpente la large artère, plantée de tilleuls, bordée d’immeubles cossus, parfois surnommée « Champs Elysées de Montmartre ». En remontant, au 23 bis, je m’aventure quelques instants, villa Léandre, une impasse bordée de jardinets et de pavillons aux couleurs pimpantes rappelant les cottages britanniques. Au numéro 13, une plaque témoigne que vécut là le dessinateur Francisque Poulbot. La façade est parée d’une frise de bouilles de ces gamins de Paris qu’on surnomma les « poulbots ».

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Rue Norvins, je surplombe la place Marcel Aymé dont je vous parlerai plus loin, et bientôt, je dévale la rue des Saules longeant la vigne qui perpétue le souvenir du vignoble cultivé d’antan sur les pentes montmartroises. Ce clos fut créé en 1929 à l’initiative des habitants de la butte emmenés par Poulbot pour faire échec au projet de construction d’un HLM. Chaque année, en octobre, les vendanges sont célébrées d’où naît une piquette que ne désavouerait pas … le clodo de la rue Junot si ce n’était son prix prohibitif !
Quelques mètres plus bas, à l’intersection de la rue Saint-Vincent, nom prédestiné pour un coin de vigne, surgit une maison de poupée. Elle fut l’ancien cabaret des « Assassins ». En 1875, l’humoriste André Gill en peignit l’enseigne représentant un lapin s’échappant d’une casserole, spécialité culinaire de la maîtresse des lieux de l’époque. Ainsi naquit le « Lapin à Gill » bientôt « Lapin Agile ». Repris en 1902 par Aristide Bruant, le cabaret devint le foyer de la bohême montmartroise jusqu’à la guerre de 1914. Dorgelès, Carco, Picasso, Courteline, Renoir, Modigliani entre autres, le fréquentèrent assidûment. Après guerre, beaucoup d’inconnus d’alors, Pierre Brasseur, Caussimon, Lagoya, Brassens vinrent essayer leurs textes et partitions. En 1953, surmontant sa timidité, Nougaro affronte le public du cabaret en récitant et non chantant quelques uns de ses textes comme il le fit lors d’une tournée à la fin de sa carrière. Il y crée, en 1958, « Il y avait une ville », chanson prémonitoire, presque un demi-siècle avant la tragédie d’AZF de Toulouse. Il y séduit également la jeune hôtesse du vestiaire. « La petite fille en pleurs dans une ville en pluie », c’est elle ; « elle voulait un enfant, moi je n’en voulais pas », c’est encore elle !
Je rebrousse chemin, remonte l’avenue des Saules jusqu’à la fameuse « maison rose » qui fit la notoriété du peintre Utrillo, et m’engage dans la rue de l’Abreuvoir.

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Au fronton d’une des « folies » qui bordent la chaussée, je remarque un humoristique cadran solaire avec un coq et la légende « Quand tu sonneras, je chanteray ». Je me réjouis de ce clin d’œil involontaire à l’une des « fables de ma fontaine », le dernier spectacle sur scène de l’ami Claude :

Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
Il est temps de venir à bout
De cette fable ridicule
De cette crête à testicules
Qui chante l’aurore à minuit
Il avance ou bien je recule
Se disait notre horlogerie

Qui trottinait sur son cadran
Du bout de ses talons aiguille
En écoutant son don juan
Lui seriner sa séguedille
Pour imaginer son trépas
Point n’est besoin d’être devin
La pendule sonne l’heure du repas
Coq au vin.

A hauteur de la courbe où se trouvait autrefois l’abreuvoir, je parviens à la place Dalida. En 1959, la déjà célèbre chanteuse permit au jeune hôte du Lapin Agile d’effectuer sa première tournée de concerts en vedette américaine de ses récitals. Cet emplacement, en hommage à l’artiste, a été choisi en 1996, suite au refus des riverains de la proche rue d’Orchampt où elle demeurait, craignant sans doute pour leur tranquillité avec l’afflux de promeneurs.
Il est un de ces habitants qui dût être au-delà de ces querelles de voisinage:
« Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé … »
Vous reconnaissez là peut-être le début de « Passe-muraille », la nouvelle de Marcel Aymé. L’auteur des fameux Contes du Chat Perché vécut quelques années sur la placette qui porte son nom à l’angle des rues Girardon et Junot. En hommage à l’écrivain, l’acteur Jean Marais y a sculpté un Garou-Garou en bronze surgissant de la muraille de pierre de soutènement du jardin de la Cité internationale des arts.

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Place Dalida donc, le buste de la chanteuse et comédienne, ensanglanté par des tags stupides, veille à l’entrée de l’allée des Brouillards, but ultime de notre promenade.

Quand les hommes deviennent sages
Polis, polis, trop polis
Et qu’tu vois plus ton visage
Dans le miroir dépoli
De leurs yeux qui te traversent
Comme si t’étais pas devant
Ö femme, c’est que ta jeunesse
S’est envolée dans le vent
Le vent qui claque les portes
Le vent qui sait le vieil art
De larguer les feuilles mortes
Allée des Brouillards, allée des brouillards …

Les accents verlainiens de Nougaro sur la nostalgie du temps qui passe et la vieillesse qui pointe, magnifiés par un accordéon lancinant, s’accordent au charme bucolique du lieu.

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Sur la gauche de l’allée, les arbres dénudés en cette saison laissent apparaître la façade blanche surmontée d’un fronton triangulaire du « château des Brouillards » construit en 1772. Il succédait à un moulin et une ferme puis au bal champêtre baptisé des « Berceaux Verts » en raison des tonnelles et des bosquets. Le poète Gérard de Nerval dans ses « Promenades et souvenirs » évoque l’époque où il y vécut : « Ce qui me séduisait dans ce petit espace abrité par les grands arbres du Château des Brouillards … c’était le voisinage de l’abreuvoir qui, le soir, s’anime du spectacle de chevaux et de chiens que l’on y baigne, et d’une fontaine construite dans le goût antique, où les laveuses causent et chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther… On y découvre des horizons magnifiques, soit qu’ayant été vertueux, l’on aime à voir lever l’aurore qui est très belle du côté de Paris, soit qu’avec des goûts moins simples, on préfère ces teintes pourprées du couchant où les nuages déchiquetés et flottants peignent des tableaux de bataille et de transfiguration au-dessus du grand cimetière, entre l’arc de l’Etoile et les coteaux bleuâtres qui vont d’Argenteuil à Pontoise. »
L’urbanisation du 20ème siècle a altéré ces échappées panoramiques. Pour franchir l’à-pic qui borde le « château », des escaliers abrupts, une des curiosités de la butte, ont remplacé le sentier dégringolant le talus jusqu’à la place Constantin-Pecqueur, autrefois place de la Fontaine-du-But.

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Vers 1850, détériorés, les communs du château furent rasés et remplacés par des pavillons formant un long rectangle de trois étages à droite de l’allée centrale. Aujourd’hui, des grilles masquent les jardinets peut-être encore plantés de rosiers sauvages et d’arbres fruitiers.
Vers le fond de l’allée, une affichette « peinture fraîche » à l’attention des passants revêt toute sa saveur lorsqu’on sait que derrière cette grille, vécut le peintre Pierre-Auguste Renoir de 1890 à 1897, et naquit en 1894 son fils, le cinéaste Jean Renoir. Me reviennent aux oreilles, les vers impressionnistes couchés dans l’herbe d’un pique-nique près de Toulouse … Lautrec:

Tous les deux on déjeunait sur l’herbe
Et moi j’en avais fumé un peu
A travers mes paupières entrouvertes
L’air bleu
Ton visage à l’envers sur ton buste
Un baiser que tu me donnes à boire
A se croire dans un tableau d’Auguste
Renoir
Un chardonneret qui sifflote
Dans l’eau un bouchon qui flotte
Ma plume qui pêche à la ligne
Un vers insigne …

Le chardonneret répond sans doute au rossignol de la « Partie de campagne », film culte du fils Jean.
De son grenier aménagé en atelier, Auguste Renoir devait apercevoir le modèle de l’un de ses plus célèbres tableaux, le moulin de la Galette.
Il y eut au sommet de la butte Montmartre jusqu’à 30 moulins broyant le grain, le plâtre des carrières proches, pressant les raisins. Il n’en subsiste aujourd’hui que deux en haut de la rue Lepic, tout près d’ici, déployant leurs ailes pour l’unique plaisir des photographes.

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Avant de descendre les escaliers qui accèdent à la place Casadesus du nom de plusieurs générations de musiciens et comédiens, je me retourne une dernière fois vers l’allée dans le prolongement de laquelle se découpe le dôme blanc du Sacré Cœur. Je l’imagine le soir dans le faible halo des réverbères ou encore quand les lilas et les chèvrefeuilles lui redonnent au printemps, un air de campagne .
Dans « Le café de la jeunesse perdue », Patrick Modiano fait dire à son héroïne : « Quand j’ai atteint l’allée des Brouillards, j’étais sûre que quelqu’un m’avait donné rendez-vous par ici et que c’était pour moi un nouveau départ … Là-bas, la rue débouchait en plein ciel comme si elle menait au bord d’une falaise. J’avançais avec ce sentiment de légèreté qui vous prend parfois dans les rêves… Je me souviens avec une si grande netteté de ce matin-là, de cette rue et du ciel tout au bout … »

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Ce matin-là, j’avais rendez-vous avec le souffleur de vers Claude Nougaro.

« J’ai envie d’écrire, mais je ne sais quoi
La (sa) mort je l’avoue me laisse coi »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans:Ma Douce France |on 1 février, 2008 |6 Commentaires »

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