Les cabanes de Lansargues (Hérault)
A un vol de foulque des pyramides de la Grande Motte qu’on devine à l’horizon, le cinéaste Léos Carax eut, il y a près de 20 ans, le projet hollywoodien de construire à l’identique le Pont Neuf de Paris pour, fi des fastidieuses autorisations de tournage dans la capitale, y faire valser Juliette Binoche et Denis Lavant. Il n’en reste aucun vestige et les célèbres amants ont laissé place nette aux amoureux de la nature.
Ainsi, je les invite, aujourd’hui, à abandonner la route du littoral aux touristes pressés, pour se perdre, entre mer et garrigue, derrière l’étang d’Or ou de Mauguio, un de ces nombreux étangs qui ourlent le lido languedocien.
Pour y accéder, il suffit de suivre au centre du village de Lansargues, la direction des cabanes jusqu’à un pont surplombant le canal du même nom. De là, après avoir stationné votre véhicule (pitié pas de 4 x 4 !), la flânerie commence en longeant l’une des deux rives du canal qu’un pont modeste permettra de franchir à hauteur des cabanes.
Nous pénétrons alors dans la « sansouïre », un étrange monde entre terre et eau, cheminant au milieu des roselières. Bientôt, un héron démarre devant nous et survole l’eau saumâtre du canal à l’affût de quelque poisson. De l’autre côté des « roubines », ces rigoles creusées par l’homme pour le drainage de l’eau, paissent paisiblement des « toros » camarguais. Ils s’enfuient dès qu’ils nous repèrent… ils ne sont pas aussi « bravo » que cela, comme on dit dans le langage des aficionados. Quelques chevaux aux allures de « Crin Blanc » galopent en soulevant nuages de poussière et gerbes d’eau. Une colonie de flamants rosit l’eau grise d’un marais. Ce n’est pas un hasard si ce coin porte le nom de « Petite Camargue ».
Après environ deux kilomètres de marche, surgissent des roseaux, les toits des premières cabanes. On en dénombre une trentaine, un peu disséminées, les plus anciennes datant du début du 20ème siècle. Certaines sont en planches et sur pilotis, d’autres en pierres possèdent un étage. Autrefois, au rez-de-chaussée, on mettait le cheval à l’abri et on y entreposait le matériel de chasse et de pêche tandis que l’étage était réservé à l’habitation.
En ce samedi de fin septembre, aucune âme ne vit dans ce minuscule hameau fantôme. A l’heure du pique-nique de midi, nous squattons la table et les bancs de bois devant la cabane des Joyeux dont la porte et les contrevents sont décorés de peintures naïves de la faune environnante. L’intérieur est aménagé sommairement avec du mobilier disparate. Quelques exemplaires de la revue « La Sauvagine » attestent de l’activité de chasse et accessoirement de pêche des « cabaniers ».
La cabane en face, sur l’autre rive du canal, est affublée du sobriquet de « Mairie annexe » ; un peu plus loin, en amont, le propriétaire a cloué un modeste écriteau prévenant le visiteur qu’il entre dans « son petit coin de rêve ». Un barbecue de fortune, un frigo, une table et des chaises de récupération, une tonnelle, quelques cadavres de bouteilles, laissent imaginer les moments de divertissement et de convivialité, les dimanches en famille, les repas de grillades des poissons pêchés le matin, des parties de pétanque.
La plupart des cabanes sont des propriétés privées mais certaines sont construites sur des terrains communaux. Elles ne possèdent ni eau ni électricité.
Les cabanes au bord de l’eau possèdent un ponton auquel sont amarrés le « négafol », barque étroite à fond plat, mue par une longue perche de bois ou « partègue » ainsi que le « gabion », abri flottant recouvert de roseaux où se dissimulent les chasseurs de gibier d’eau. Dans l’eau, on repère des enclos grillagés où sont enfermés les « appelants » vivants en période de chasse. Au fond d’une barque, s’entassent d’autres appelants artificiels destinés également à leurrer canards et foulques, gibier le plus couramment chassé quoique de plus en plus rare.
Rampent au sol, quelques « trabaques », filets adaptés à la capture des anguilles. Carpes, jols, muges ou mulets sont aussi très prisés. Poissons d’eau douce et poissons de mer entrant par les graus, cohabitent dans la canalette.
En aval, après le franchissement délicat d’une roubine par une passerelle branlante, nous longeons un autre groupe de cabanes très précaires constituées de tôles ondulées, palettes et bidons. La sente étroite mal balisée dans les roseaux et le sol spongieux nous font renoncer, ce jour-là, à poursuivre jusqu’à l’étang proche.
Sur le chemin du retour, nous cueillons quelques touffes de saladelle ou lavande de mer qui tapisse les talus, en cette fin d’été. Le bouquet sec confectionné avec, constituera un souvenir original de cette promenade.
La « cabanisation » est un art de vivre subtil, une espèce de précarité qui dure, à la frontière de la norme, revendiquée par les « cabaniers » absents ce jour-là mais que j’imagine hospitaliers.
Alors venez goûter, un jour à cette poétique de la récupération, de l’accumulation, de l’enchevêtrement. Frayez-vous un passage entre roseaux et tamaris, à la rencontre de l’esprit cabanier. Attardez-vous à écouter la nature et surprendre des échassiers à la quête de quelque pitance dans les roseaux. Dépaysement garanti.
